En 2002, Richard Linklater se lance dans un projet unique : suivre pendant 12 ans la vie d’un enfant fictif et tourner des instants de cette existence avec un même acteur. Cet acteur s’appelle Ellar Coltrane. Pendant ces 12 ans, chaque année, il reprenait son personnage de Mason pour quelques jours. Voici ce qu’il est devenu aujourd’hui, près de 10 ans après la fin du tournage du film. 6Ter diffuse Boyhood ce 10 novembre, à 21h05.
La genèse de Boyhood
Richard Linklater a voulu explorer le terrain rocailleux de l’enfance à travers les yeux d’un jeune garçon, Mason, que l’on suit de ses 6 ans à ses 18 ans. Pour ce faire, le réalisateur a filmé pendant 12 ans les mêmes acteurs. Ellar Coltrane Kinney Salmon a ainsi incarné Mason pendant toutes ces années. A ses côtés Ethan Hawke et Patricia Arquette jouaient ses parents Mason Sr et Olivia et Lorelei Linklater – la fille de 9 ans de Richard Linklater – interprétait sa sœur aînée Samantha. Le metteur en scène a inventé des instantanés de cette adolescence fictive comme les dîners en famille, les anniversaires, les remises de diplômes, les vacances, les déménagements, les premiers amours… Des événements et incidents qui façonnent une personne.
En pratique, les acteurs et l’équipe se sont réunis chaque année pour des tournages de trois à quatre jours. Richard Linklater écrivait et montait (avec Sandra Adair, sa collaboratrice de longue date) en cours de route. Personne en dehors de ce petit monde n’a su ce qu’ils étaient en train de créer pendant ces 144 mois. Rien n’a été montré avant le montage final. Les acteurs ont dû s’arranger avec leurs emplois du temps et trouver un moment chaque année pendant 12 ans. Ils étaient surtout prêts à explorer leur personnage sur une période très étendue. Ils les revisitaient à nouveau chaque année dans des circonstances toujours changeantes.
Ellar Coltrane : année 2002
L’un des premiers points cruciaux de Boyhood a été de trouver le garçon. “Nous cherchions quelqu’un pour nous accompagner pendant 12 ans,” note Richard Linklater. “Ce n’est pas quelque chose qu’un enfant peut imaginer à 6 ou 7 ans. J’avais cependant le sentiment qu’Ellar allait devenir un artiste, même à cet âge. En partie parce que ses parents sont tous deux artistes [son père est musicien et sa mère est danseuse et peintre], mais aussi parce qu’il y avait quelque chose d’unique en lui. Et je sentais que le monde dans lequel il grandissait se prêterait à ce que nous faisions. Il est devenu de plus en plus évident à quel point Ellar était intelligent et intéressant, et c’était un plaisir de voir sa vie se dérouler. Il est devenu chaque année un collaborateur de plus en plus actif.”
Pour Ellar Coltrane, faire partie de Boyhood signifiait avoir une enfance différente de toutes les autres et exposée à l’écran. Au début, il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait, ni de ce que cela signifiait. “Ce n’était pas possible de l’imaginer,” explique le jeune homme. “12 ans, c’était déjà le double de ma vie au moment où nous avons commencé. C’était déjà assez difficile d’envisager les 12 prochaines années pour moi à cet âge-là, ou probablement à tout âge. Ce n’est que plusieurs années plus tard que j’ai commencé à comprendre ce qu’était le film et pourquoi il était si différent.”
Ellar Coltrane : de 2002 à 2013
Au début, Ellar Coltrane était fortement guidé par Richard Linklater. Puis, en grandissant avec Mason, son processus de jeu s’est progressivement ouvert. Il affirmait de plus en plus ses propres instincts créatifs. “Rick et moi commencions généralement chaque nouvelle année en discutant de ma situation, de mon état d’esprit et en incorporant une partie de ceux-ci au personnage, “ se souvient le comédien. “Au fil du temps, ma vie et celle de Mason ont commencé à se rencontrer et j’ai pris une part plus importante dans la création de sa personnalité. Enfant, tout semble beaucoup plus simple. Maintenant, il y a tellement plus de choses que je peux voir dans la vie de Mason, dans la densité et la complexité des relations de cette famille. De bien des façons, faire partie du film m’a donné plus de plus de perspective, en particulier sur ma relation avec ma propre mère qui, comme pour Mason, est compliquée. “
Ellar Coltrane a été scolarisé à domicile jusqu’à l’âge de 16 ans. Il a ensuite fréquenté une école privée pendant deux ans et demi. Il alors abandonné ses études mais a quand même obtenu son diplôme de fin d’études secondaires. Le jeune homme s’est également essayé à la photographie et à la peinture et a fait des travaux d’aménagement paysager pour son beau-père (ses parents ont divorcé quand il avait 9 ans). Pendant ces 12 ans, il a aussi obtenu des petits rôles dans d’autres films, dont Fast Food Nation (2006) de Richard Linklater. Il portait alors son “vrai” nom : Ellar Salmon. A partir de Boyhood, il a préféré utiliser son deuxième prénom comme nom de famille et ainsi dissocier sa famille – un élément trop personnel – du long métrage.
Ellar Coltrane : de 2014 à aujourd’hui
Depuis la fin de Boyhood, Ellar Coltrane a joué dans des films peu remarqués par la critique et le public tels que Barry (2016) sur la vie de Barack Obama pendant ses années à l’université de Columbia, The Circle (2017) avec Emma Watson et Tom Hanks, un thriller de science-fiction sur la vie sociale digitale, Blood Money (2017) avec John Cusack, un thriller où trois amis sont pourchassés par un criminel, L’homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot (2018) avec Sam Elliott un thriller d’aventure où tout est dans le titre ou plus récemment Shoplifters of the World (2021) une comédie dramatique où quatre amis ne se remettent pas de la séparation du groupe britannique The Smiths en 1987.
Ellar Coltrane, 28 ans, a quitté son Texas natal – il est né à Austin – il y a deux ans afin d’emménager au Nouveau Mexique. Il se réfère désormais comme une personne du genre neutre et préfère l’utilisation du pronom “iel”. “Je ne suis pas vraiment un homme,” prévient le comédien. “J’aime travailler dur, faire tout ce que les hommes sont censés faire et m’amuser en le faisant, mais il y a quelque chose d’incroyablement libérateur et valorisant dans le fait de me détacher de cet archétype et de ne pas sentir que je dois être comme ça tout le temps. Il y a certainement des gens qui sont des hommes jusqu’au bout des ongles, et c’est génial, mais j’ai toujours ressenti la démarcation binaire entre les sexes comme une sorte de comédie, comme un personnage que je dois jouer.”