Dans Au revoir là-haut, un dessinateur de génie et un modeste comptable, tous deux survivants des tranchées de la Première Guerre mondiale, montent une arnaque aux monuments aux morts. Albert Dupontel a trouvé que le livre écrit par Pierre Lemaitre était un pamphlet élégamment déguisé contre l’époque actuelle où une petite minorité, cupide et avide, domine le monde. Il y lisait aussi une histoire universelle, dans le rapport d’un père plein de remords, à un fils délaissé et incompris. Et enfin, il trouvait que l’escroquerie créait un fil rouge donnant rythme et suspens au récit. Le cinéaste a donc voulu adapter ce roman noir picaresque. Et voici comment il a fait. France 2 diffuse Au revoir là-haut ce 6 novembre à 21h10.

Au revoir là-haut d'Albert Dupontel

Albert Dupontel, Héloïse Balster et Nahuel Perez Biscayart dans Au revoir là-haut

1 – L’écriture d’Au revoir là-haut

Albert Dupontel raconte que “le livre de Pierre Lemaitre est un véritable mode d’emploi pour un scénario tant son écriture est visuelle et ses personnages parfaitement définis psychologiquement, le tout dans une narration aux rebondissements continus.” Il a écrit une version 0 en trois semaines. Il a tourné la version 13.

Afin d’adapter ce livre de 600 pages, Albert Dupontel a choisi d’aller à l’essentiel, à savoir la relation forte et passionnée entre Albert et Edouard. Il a positionné très tôt dans son scénario l’arnaque – qui n’arrive que dans le dernier tiers du livre. Estimant que “le spectateur est beaucoup plus paresseux que le lecteur”, et pour garder rythme et attention, il a relié tous les personnages entre eux, encore plus que dans le livre. Il a aussi ajouté des transitions, des rencontres et des événements qui n’existent pas dans le livre.

Albert Dupontel, scénariste, réalisateur et acteur dans Au revoir là-haut

Albert Dupontel

Pierre Lemaitre lui a laissé une liberté totale. Ils ne se sont vus que deux fois et ce, pour discuter de la fin. Albert Dupontel ne voulait pas la modifier sans son aval. De son côté, l’auteur affirme qu’il “n’avait pas à être d’accord ou pas d’accord. Quand on confie à un artiste le soin d’adapter une de vos histoires, on accepte le risque d’être compris ou incompris. C’est la règle du jeu. L’adaptation n’a d’intérêt que si le film propose une plus-value artistique par rapport au roman. Et pour cela il est inévitable de changer des éléments, d’en enlever, d’en ajouter. Ce doit être la même histoire mais racontée autrement et par quelqu’un d’autre ! Je trouve que les solutions narratives proposées par Albert sont toujours bien vues”.

2 – Le casting

Albert Dupontel recherchait des qualités bien précises chez chacun de ses acteurs.

Pour Laurent Lafitte (Lieutenant Pradelle) : son mélange d’humour, de tragique et de noirceur. Son jeu distancié, froid, rigoureux, précis. Albert Dupontel explique que “sa force d’acteur est de ne pas juger moralement ses personnages. Cela lui donne une grande liberté de jeu.” “Oui, pour tous les personnages que j’interprète,” confirme Laurent Lafitte. “Surtout ceux dont je ne comprends pas les agissements ou qui sont très éloignés de moi. J’essaie de ne pas les juger parce que eux ne se jugent pas. Sinon, ils ne feraient pas ce qu’ils font.”

Niels Arestrup et Laurent Lafitte

Pour Nahuel Perez Biscayart (Edouard Péricourt) : son regard, sa façon de bouger, sa mine impertinente et ironique. Sa maturité, la constance de son travail, son absolue rigueur sur le plateau. Albert Dupontel révèle que l’acteur “a fini par condenser tout son personnage dans son regard.” Nahuel Perez Biscayart a abordé un personnage sans visage et sans voix. “Pour trouver une voix de gorge, j’ai regardé beaucoup de vidéos sur la voix oesophagienne,” commente le comédien. “C’est une nouvelle manière de produire des sons que les personnes à qui on a enlevé les cordes vocales pour des raisons de santé, doivent apprendre si elles veulent continuer à parler. Cela consiste en un enchaînement de rots. Cela prend beaucoup de temps à apprendre. Pour les besoins du film, ce n’était pas nécessaire d’aller aussi loin. Mais cela m’a permis de trouver une couleur gutturale, un son profond et caverneux.”

Pour Niels Arestrup (Marcel Péricourt) : sa sensibilité qu’il sait cacher derrière un personnage sobre, austère et strict.

Pour Emilie Dequenne (Madeleine Péricourt) : son mélange de grâce, de sincérité absolue, de douceur, d’ironie et de fermeté. “Ce qui m’a énormément plu chez Madeleine, c’est sa modernité,” confie Emilie Dequenne. “Son élégance et sa singularité m’ont beaucoup aidée à la construire toute en douceur et fermeté.”

Albert Dupontel et Laurent Lafitte

Pour Mélanie Thierry (Pauline) : sa luminosité, sa pudeur et ses yeux bleus.

Pour Héloïse Balster (Louise) : son visage faussement boudeur, sa spontanéité, son enthousiasme.

De son côté, Albert Dupontel interprète Albert Maillard. Ce n’était pas du tout prévu. L’acteur qu’il avait pressenti a décliné la proposition pour cause de surmenage. Les autres comédiens auxquels il pensait étaient déjà pris. Il n’a pas trouvé ce qu’il cherchait dans les divers acteurs qu’ils a auditionnés. “Je me suis donc résolu par nécessité plus que par désir à interpréter ce rôle,” souligne le réalisateur-acteur. “Le surcroît de fatigue a été réel. Mais me calant sur  le jeu et l’écoute des autres acteurs du film, petit à petit, Albert Maillard a fini par naître. Par ailleurs, le fait de jouer et de réaliser crée souvent un effet Pont d’Arcole. J’ai le sentiment que les acteurs s’impliquent davantage quand le metteur en scène est aussi l’un des leurs.”

3 – La reconstitution historique d’Au revoir là-haut

Albert Dupontel a abordé la reconstitution historique d’Au revoir là-haut sur deux angles : intellectuellement et visuellement.

Il a lu presque tous les livres d’Erich Maria Remarque, La Peur de Gabriel Chevallier, Orages d’acier d’Ernst Jünger, Les Croix de bois de Roland Dorgelès, Le Feu d’Henri Barbusse, tous les récits autobiographiques de Maurice Genevoix… Ainsi que des livres-album de l’époque dont Brassaï (il a reconstitué une de ses photos pour la scène dite de la place Blanche).

Emilie Dequenne et Niels Arestrup

Il a aussi revu nombre de films d’époque dont les deux adaptations A l’ouest rien de nouveau de Lewis Milestone et Les Croix de bois de Raymond Bernard. Mais aussi Les Ailes de William Wellman, Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, ainsi que moult documentaires dont Apocalyspe 1ère guerre mondiale (dont il a sollicité un des coloristes pour la colorisation d’Au revoir là-haut).

Il a enfin collaboré avec Cédric Fayolle, créateur des VFX sur Au revoir là-haut. “Il s’agissait de ‘mentir’ au public pendant plus de deux heures,” précise Albert Dupontel. “Sur la base de mon storyboard, de photos, de suggestions, de décors repérés et validés, il a créé cet univers lointain que sont les années 20. Quelques performances à saluer : le rapatriement des soldats, filmé depuis une gare déserte à Versailles et la scène finale au Maroc tournée… sur le parking du studio. La qualité du travail est telle que parfois je n’arrivais plus à distinguer le vrai du faux.”

4 – Les masques

Cécile Kretschmar a créé les masques d’Edouard, souvent différents des descriptions de ceux du livre. “L’idée était de suivre la psychologie d’Edouard tout au long du récit et d’en trouver l’expression : tristesse, ironie, délire, abstraction,” remarque Albert Dupontel. “En se référant aux années évoquées dans l’histoire, on n’avait que l’embarras du choix tant la création artistique du début du XXème siècle était en pleine mutation. Du cubisme au surréalisme, la prolixité de ces artistes nous proposait un véritable coffre à jouets dans lequel Cécile est allée piocher. Du premier masque (bleu type vénitien) qui permet à Edouard de reprendre une forme humaine au masque ironique, professeur des Beaux-Arts (louchant langue pendante) qui évoque son dédain du dessin académique, à celui de Fantômas, véritable icône des feuilletons de l’époque, on a décliné tous les états intérieurs en leur donnant un visage humain.”

Nahuel Perez Biscayart

Cécile Kretschmar a su comprendre de manière très profonde l’essence d’Edouard, ses émotions dans chaque scène,” s’émerveille l’acteur Nahuel Perez Biscayart. “J’ai découvert des regards sur les masques d’une justesse absolue au moment de visionner les scènes au combo. Elle a joué à travers moi et moi à travers ses masques.”

Au début Albert hésitait entre n’utiliser qu’un seul masque durant tout le film ou au contraire beaucoup de masques,” raconte Cécile Kretschmar. “Les masques ne devaient pas exprimer les talents divers d’Edouard mais ses sentiments.” Albert Dupontel lui mimait l’expression des masques. Les tests du premier prototype achevés, la fabrication en elle-même a représenté 120 jours de travail. Certains masques ont nécessité trois jours de fabrication, d’autres jusqu’à six jours. Les grosses têtes ont été produites en seize jours.

5 – La colorisation de l’image d’Au revoir là-haut

“La trichromie inventée par les frères Lumière est un procédé qui a permis il y a 100 ans de coloriser les premières photographies,” indique Albert Dupontel. “Beaucoup de photos subsistent de cette période (autochromes d’Albert Kahn) et on a donc des photos en couleur de poilus dans les tranchées et du Paris des années 20. Le procédé consiste à coloriser le négatif lequel, à l’époque, ne pouvait être qu’en noir et blanc. Pour ce faire, les deux coloristes Lionel Kopp et Natacha Louis ont désaturé les couleurs du film. Puis, ils ont recolorisé le long métrage plan par plan. De plus, on a ajouté un grain numérique (500 asa Kodak). Il donne le sentiment que le film a été tourné en pellicule.”

Héloïse Balster, Nahuel Perez Biscayart et Albert Dupontel dans Au revoir là-haut

Héloïse Balster, Nahuel Perez Biscayart et Albert Dupontel

6 – La bande son

Le monteur son Gurwal Coïc-Gallas s’est chargé de la bande son d’Au revoir là-haut. Le son n’existant pas encore en 1919, il n’y a aucun document sonore de l’époque. Gurwal Coïc-Gallas s’est basé sur les premiers films sonores apparus à cette époque (A l’Ouest rien de nouveau et Les Croix de bois). Il a aussi utilisé des témoignages écrits de soldats ou civils décrivant avec détails les sons sur le front ou dans les rues de Paris. Il s’est également inspiré de films muets, documentaires ou fictions, montrant l’activité des rues de Paris pour imaginer des sons cohérents.

7 – La musique

La musique originale est l’œuvre de Christophe Julien. Pendant la préparation, Albert Dupontel et lui ont évoqué les grands compositeurs de l’époque comme Ravel, Milhaud, Fauré et Gershwin. Il a surtout composé deux thèmes forts, celui de la scène Péricourt père/fils et le thème final. Le thème angoissant de Pradelle se veut une disharmonie ravelienne. La production a obtenu les droits de divers morceaux de compositeurs iconiques : Nino Rota (Raquel) pour la scène où Edouard amuse Louise avec ses masques, Ennio Morricone (Suspicion) pour le thème de Merlin, Fletcher Henderson (Variety Stomp) pour la séquence de fête au Lutetia, Rachel Portman et Debbie Wiseman.

Crédit photos : © Jérôme Prébois / ADCB Films