Dans Sabotage, huit jeunes activistes en lutte contre le réchauffement climatique pensent que pour être entendu, il faut tout faire sauter. Ils décident donc de saboter un pipeline qui achemine du pétrole dans tous les Etats-Unis. Daniel Goldhaber livre une histoire qui parle de notre quotidien à la fois divertissante et porteuse d’un discours politique. Son long métrage est aussi captivant que réaliste. Sabotage sort en salles ce 26 juillet.

Les jeunes activistes de Sabotage

1 – La genèse

Sabotage est librement inspiré du livre Comment saboter un pipeline ? d’Andreas Malm. Le chercheur suédois y lance une discussion critique des principes et des pratiques du mouvement pour le climat. La plupart des théoriciens plaident pour la non-violence. Selon Andreas Malm, la question n’est pas de choisir entre violence ou non-violence mais de distinguer les différents types de violence. Et de savoir quand et comment y recourir à dessein. Il faut notamment s’attaquer à l’infrastructure fossile, c’est-à-dire aux équipements pétroliers et gaziers.

Jordan Sjol, co-scénariste de Sabotage et universitaire spécialisé en économie, a recommandé ce manifeste théorique à l’auteur-réalisateur Daniel Goldhaber. Ce dernier a tout de suite imaginé des gamins dans le désert fabricant une bombe. Il a alors pensé incarner littéralement le titre du livre.

Forrest Goodluck et Marcus Scribner dans Sabotage

Forrest Goodluck et Marcus Scribner

2 – Entre le film de braquage et le western

“Les films de braquage reposent sur le même principe que le livre, celui d’un processus expliqué point par point,” remarque Daniel Goldhaber. “Ils possèdent généralement un sous-texte social ou politique. A bien des égards, la colonne vertébrale de Sabotage est celle d’un western. Le long métrage parle de hors-la-loi vus sous un jour favorable. Ces personnes prennent les armes pour protéger leur communauté. Mais ces narrations restent matricielles. La trame d’un gang qui prépare un hold-up pour se venger d’un shérif véreux ou d’institutions corrompues a engendré les films de braquage en milieu urbain. En combinant les deux genres, le film revient sur la définition de l’identité américaine pour la confronter aux révolutions sociales actuelles.”

3 – Une production ultra indépendante

De son origine au résultat final, Sabotage a demandé 19 mois, loin du système hollywoodien des studios. Personne ou presque dans l’équipe n’a d’agent. Aucune session de pitch à des producteurs n’a été organisée. Le financement a commencé quand Daniel Goldhaber s’est incrusté dans des fêtes au festival de Cannes pour rencontrer des gens. Le réalisateur a aussi mis l’argent gagné avec un jeu-vidéo qu’il a conçu. Tout le monde a été payé la même somme et a eu son mot à dire. L’actrice Ariela Barer a développé le scénario avec Daniel Goldhaber et Jordan Sjol. Les comédiens Sasha Lane et Forrest Goodluck ont tant apporté à l’écriture de leur personnage qu’ils sont crédités en tant que producteurs exécutifs.

Jayme Lawson et Sasha Lane dans Sabotage

Jayme Lawson et Sasha Lane

4 – L’activisme en question

Pour Daniel Goldhaber, Sabotage pose deux questions.

Peut-on ou doit-on passer par la violence et la destruction pour détourner l’arme que les pratiques persistantes des industries envers les énergies fossiles pointent sur le monde ?

Des personnes d’univers très différents peuvent-elles tomber d’accord sur ce qui leur paraît nécessaire de faire juste pour défendre leur cause ?

5 – Un film sans méchant

Daniel Goldhaber ne pointe pas du doigt un personnage, une société, un gouvernement ou une institution comme le “méchant” responsable du réchauffement climatique. “Dans la réalité, ce méchant n’existe pas,” affirme-t-il. “A un degré ou un autre, nous avons tous participé, en tant qu’individus, au dérèglement climatique. Sabotage essaie de démontrer ce que suggère le livre d’Andreas Malm : il ne sert à rien d’attaquer les gens ou les machines qui ont mené à cette situation. Ce sont les infrastructures qui sont nos ennemies, donc c’est à elles qu’il faut s’attaquer pour régler le problème. Et il n’est pas trop tard pour ça.”

Ariela Barer, Lukas Gage, Kristine Froseth, Jake Weary dans Sabotage

Ariela Barer, Lukas Gage, Kristine Froseth et Jake Weary

6 – Un tournage en 16 mm

Daniel Goldhaber évoque plusieurs raisons dans son choix de tourner Sabotage en 16 mm et non en numérique. “A commencer par un changement de paradigme : c’est la première année depuis l’avènement du numérique, que Kodak a augmenté sa production de pellicule. C’est un signe… Par ailleurs, si cette génération a très clairement intégré un rapport à la technologie, elle va arriver à un point de rupture. Il suffit de voir l’inquiétude croissante à propos des dérives des intelligences artificielles. Je suis convaincu que l’on va assister à un retour à l’analogique dans les médias. Ce sera en effet le seul moyen d’avoir confiance en eux. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu tourner en pellicule.

Une autre repose sur les décors naturels : je voulais que Sabotage donne l’impression d’une immédiateté de ce qui s’y déroule. Si j’avais tourné en numérique, l’image aurait été comme lissée, uniforme. La pellicule pouvait capter les nuances de chaque instant, notamment en termes de lumières, selon que l’on tourne de jour ou de nuit. Et plus encore, c’était aussi une manière d’inscrire Sabotage dans l’héritage d’un certain cinéma militant des années 60-70, en retrouvant son grain d’image.”

7 – Un film potentiellement polémique

“Je suis convaincu qu’en France, certains médias vont tenter de le rapprocher du climat social actuel,” souligne Daniel Goldhaber. “J’espère juste que votre public pourra se rendre compte en allant voir ce film que l’ébullition est la même chez vous que chez nous, que les masses populaires sont en colère contre la même chose : le système néo-libéral qui est en train de détruire la possibilité de vivre sur Terre comme de s’organiser en société.

Cela dit, si Sabotage devait devenir un film polémique en France, ce ne serait pas forcément une mauvaise chose. Pour tout vous dire, j’espère même que cela arrivera car cela fait partie du processus de construction des contre-cultures. S’il y a des débats virulents autour de ce film, cela incitera des gens à aller le voir. Et cela leur ouvrira peut-être les yeux sur les véritables enjeux. J’ai le sentiment que la mouvance actuelle de cancel culture par exemple, même si elle part d’une bonne volonté, nous amène sur le chemin inverse, voire ouvre la voie à un dangereux néofascisme. Alors oui, ça ne me dérangerait pas que Sabotage trouve son chemin vers le public à travers des gens que ce film mettra en rogne.”

Crédit photos : © Tandem