Dans Le menu, des invités triés sur le volet se rendent sur une île isolée pour un dîner dans un des restaurants les plus en vogue du moment. Dans le rôle du chef, Ralph Fiennes a concocté un repas plein de surprises qui laissera ses convives sans voix. Le réalisateur Mark Mylod signe un long métrage à la fois sombre et amusant qui rend hommage à l’art culinaire tout en dénonçant la culture du privilège. Il y mêle satire de classe, humour mordant, noirceur et absurde. Le menu sort en salles ce 30 novembre.
La mise en bouche du Menu
Le scénariste Will Tracy a eu l’idée du Menu lors d’un voyage à Bergen, en Norvège. Il a pris un bateau pour se rendre dans un restaurant chic situé sur une île privée voisine. “Je suis un peu claustrophobe, et quand nous nous sommes assis pour manger, j’ai vu le bateau quitter le quai,” raconte-t-il. “C’était une petite île. Et j’ai réalisé : ‘Mon Dieu, nous sommes coincés ici pendant quatre heures. Et si quelque chose tournait mal ?’.” Avec son partenaire d’écriture de longue date Seth Reiss, il a ensuite écrit un thriller satire sur l’industrie hôtelière qui échappe aux conventions. Les deux auteurs ont construit une structure narrative qui s’accorde avec les plats du menu d’un restaurant haut de gamme. De l’amuse-bouche au dessert, ils font monter la tension en injectant des situations de plus en plus étranges.
De son côté, le réalisateur Mark Mylod s’est inspiré de Gosford Park de Robert Altman pour sa mise en scène. “C’est-à-dire avec tout le monde sur le plateau tout le temps,” explique le cinéaste. “J’avais besoin d’acteurs suffisamment intelligents et sûrs d’eux pour se prêter à cela et pour laisser de la place à l’improvisation. Je me suis aussi plongé dans ce monde pour m’instruire sur la manière dont il fonctionne, sur le niveau d’engagement qu’il exige et le stress qu’il produit pour maintenir, soir après soir, ce niveau extraordinaire d’art culinaire. Cela peut détruire les gens. La pression est incroyablement forte. Nous avons marché sur une corde raide, entre piques et respect profond pour cette forme d’art et ceux qui la font vivre.”
La préparation du chef
Ralph Fiennes incarne le célèbre chef Julian Slowik, le cerveau du restaurant Hawthorn. L’acteur a imaginé tout un passé à son personnage dont la pureté artistique a été compromise par sa riche clientèle. Il est au sommet de son art mais a dû conclure un pacte faustien pour s’élever dans l’industrie et diriger Hawthorn. Il ne possède pas ce restaurant, ce qui le met à la merci des investisseurs. “Slowik en est venu à haïr ces clients du gotha et il se déteste lui-même pour s’être laissé corrompre par eux,” souligne Ralph Fiennes. “Cette clientèle n’est jamais satisfaite. Slowik est un perfectionniste. Il doit constamment maintenir un niveau de perfection pour des gens qui ne l’apprécient pas vraiment.”
Le comédien s’est notamment inspiré de l’émission “Chef’s Table” qui réunit les stars les plus créatives de la grande cuisine. Le chef Slowik ne se base pas sur un chef en particulier. Mark Mylod a cependant fait parvenir à Ralph Fiennes plusieurs épisodes de la série, dont celui sur le chef Grant Achatz, qui dirige le restaurant Alinea à Chicago, 3 étoiles au Guide Michelin. “Slowik est un personnage assez complexe,” commente le réalisateur. “Je voulais montrer comment il se dévoue pour porter son art au sommet en innovant sans cesse, au point de mettre en jeu sa propre vie. C’est fascinant et assez extraordinaire. Ralph et moi ne voulions surtout pas présenter ce personnage comme une caricature. Nous souhaitions trouver son humanité et sa douleur, comprendre ses actes. Non pas pour les pardonner ou les tolérer, mais pour au moins leur donner un contexte et une authenticité.”
Ralph Fiennes a également passé du temps sur le plateau avec la cheffe Dominique Crenn, trois étoiles au Guide Michelin pour son restaurant de San Francisco, l’Atelier Crenn, et présente dans “Chef’s Table”. Elle a ainsi servi de consultante pour éclairer l’équipe sur la dynamique qui sous-tend les relations, notamment entre un chef et sa brigade, dans toutes les cuisines professionnelles en fonction du sexe, de la race et de la hiérarchie. “J’avais en tête le cliché d’une cuisine en plein chaos avec un chef hurlant à tout propos,” remarque l’acteur. “Mais quand Dominique m’a parlé de sa cuisine et de la façon dont elle aimait travailler, j’ai vu celle de Slowik. Le contrôle et le pouvoir résident dans le dévouement du personnel de cuisine envers son chef et les plats qu’il crée. Il n’y a ni bruit ni violence. Juste un signe de tête, un regard et de petits murmures de correction ou d’encouragement.”
Le plat de résistance du Menu
Les scénaristes ont baptisé le restaurant du chef Julian Slowik Hawthorn, soit aubépine en français, une fleur magnifique qui dégage une odeur nauséabonde. Bien que l’action du Menu se joue aux frontières du réel, il fallait construire un monde cinématographique authentique, aussi réaliste que possible dans son évocation d’un temple de la gastronomie mondiale, dépouillé et contemporain. Chaque détail a été soigneusement étudié. La cuisine où le chef et sa brigade élaborent les plats évoque une église, un lieu de culte avec une véritable croix accrochée au mur du fond. Le chef Slowik prend son inspiration dans la nature. Chaque ingrédient qu’il choisit pour un plat provient des environs du restaurant parce qu’il reflète la création de Dieu avec ses formes naturelles et organiques. Un processus perverti chez lui.
La cuisine est aussi grande que la salle des invités qui ne peut accueillir que douze personnes. Le restaurant suscite d’autant plus l’intérêt qu’il est exclusif et privé. Il offre une expérience unique aux convives. Une grande partie du mobilier est volontairement inconfortable. Le feu de cheminée est une nouvelle tendance de plus en plus présente dans la cuisine des grands chefs. Au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, les angles de caméra sont légèrement décalés pour refléter chaque plat.
L’équipe de production s’est inspirée de plusieurs restaurants célèbres pour la scénographie ainsi que pour les plats eux-mêmes : le restaurant suédois Fäviken, désormais fermé, dirigé par le chef Magnus Nilsson ; le restaurant catalan renommé El Bulli, conçu par le chef Ferran Adrià ; le French Laundry de Thomas Keller situé à Sonoma ; le restaurant danois Noma du chef René Redzepi.
Le menu du Menu
A l’arrivée de chaque plat sur la table, leur conception visuelle donne deux indications au public : où en est l’histoire sur le plan émotionnel et jusqu’où le chef s’est aventuré dans l’absurde. La cheffe étoilée Dominique Crenn a donné vie au menu et créé des plats comestibles pour les acteurs. Son partenaire, le chef pâtissier exécutif Juan Contreras, l’a rejointe afin de cuisiner et de dresser les plats qui apparaissent à l’écran. La styliste culinaire Kendall Gensler a aidé à adapter chaque plat en fonction de la caméra et des éclairages. Finalement, tous les plats étaient visuellement attractifs et complètement comestibles.
“Tous les plats que nous avons créés en fonction des idées données par les scénaristes et le réalisateur, ont représenté un défi extrêmement intéressant pour moi,” avance la cheffe Dominique Crenn. “Cela m’a éloignée de ce que je fais dans la vie réelle. J’ai créé quelque chose de totalement inédit. Cela m’a beaucoup amusée.” “L’authenticité m’obsédait totalement,” ajoute Mark Mylod. “Dominique Crenn a joué un rôle clé dans ce processus. Sa cuisine est extraordinairement astucieuse, elle provoque aussi l’émotion. Nous voulions que les créations du chef Slowik aient une froideur émotionnelle, qu’elles soient belles, mais désincarnées. Comme un reflet de son âme, de sa psyché et de l’évolution de l’intrigue. Dominique a incarné Slowik le temps de créer le menu. C‘est une des raisons qui l’ont attirée dans ce projet. Elle était aussi ravie de pouvoir se moquer des excès dans l’art culinaire. Elle comprenait la plaisanterie.”
Un Menu chorégraphié
La production a également fait appel au chef local de Savannah, John Benhase. Ce dernier a enseigné aux membres de la brigade – beaucoup sont interprétés par des acteurs locaux ayant une expérience en restauration – le maniement de couteau, le dressage et l’étiquette à respecter dans une cuisine de restaurant. Les déplacements des employés du chef Slowik, aux fourneaux et en salle, forment un ballet parfaitement orchestré.
Toute l’action dans la cuisine de Hawthorn a été soigneusement étudiée. Ainsi la brigade prépare le plat suivant tandis que le drame se déroule dans la salle à manger. “Ce menu précis et fixe préparé pour douze convives, a été planifié et chorégraphié, dans la réalité comme dans le film,” note John Benhase. “Nous avons été très attentifs aux mouvements d’arrière-plan pour que rien ne semble imprévu ou flou. Ensuite, j’ai ajouté de l’authenticité à la précision, pour équilibrer et synchroniser ce ballet. Nous nous sommes concentrés sur la planification du repas. Chaque plat qu’on nous voit cuisiner est le suivant sur le menu, dans le respect de la chronologie.”
David Gelb, le créateur de “Chef’s Table”, et sa directrice photo Chloe Weaver, ont tourné les gros plans de nourriture dans le style qui a fait leur renommée. “Quand nous avons ajouté ces plans, j’ai senti que le film était fondamentalement juste,” reconnaît Mark Mylod. “J’avais l’impression d’atteindre l’équilibre entre la satire et le foodporn. La nourriture est réelle. Avec ces gros plans et le niveau d’authenticité qu’on recherchait, il était vraiment difficile de tricher. Tout ce qui apparait à la caméra est réel.”
Le look du chef Slowik
La costumière Amy Westcott a fait des recherches sur les restaurants étoilés Michelin et regardé des photographies des chefs. La directive de Mark Mylod était de s’inspirer de la réalité, sans être trop stylisé ni fantastique. “Il voulait que ce soit réaliste pour que les gens qui évoluent dans ce monde le comprennent instantanément et disent : ‘Oh oui, c’est juste!’,” révèle la costumière. “Ces détails devaient être exacts. Mais il était important de leur apporter quelque chose d’intéressant – un peu de cachet et des petits détails qu’on ne percevait qu’en les regardant de très près.”
L’uniforme du chef Slowik, comme celui de ses employés, est orné d’un “H” pour Hawthorn, et possède un col montant comme celui des prêtres. “Je ne voulais pas que son costume le définisse, mais soit à son image : aussi immaculé, droit, propre et zen que possible,” précise Amy Westcott. “Nous avons opté pour la veste à simple boutonnage, ce qui est inhabituel pour un chef. Ils portent généralement une veste à double boutonnage. Nous voulions une coupe ajustée et sur mesure, contrairement aux vestes amples et informes qu’arborent certains chefs.” “Slowik ressemble au gourou d’une secte,” admet Ralph Fiennes. “Son uniforme devait indiquer qu’il n’est pas ordinaire. Le personnage devait ressembler à un prêtre ou à un chirurgien. Nous avons supprimé tous les embellissements, les petites marques de vanité. Pour lui, la nourriture est comme une religion.”
La cerise sur le gâteau
A l’instar de ses personnages, Le menu n’est pas ce qu’il semble au départ. Chaque plat dévoile un nouvel élément de l’histoire et révèle un moment violent et inattendu du dîner. Si les événements dans le film frisent souvent l’absurde, ils donnent à réfléchir à la façon dont nous interagissons avec ceux qui nous servent. “Je suis très reconnaissante d’avoir pu participer à cette aventure,” avoue Dominique Crenn. “Il est important que les gens comprennent qu’une cuisine, ce n’est pas seulement le lieu où l’on prépare à manger. C’est tellement plus complexe que ça. En tant qu’êtres humains, nous sommes pétris de contradictions. Il faut être plus respectueux et conscients des autres, surtout quand on leur sert de la nourriture. Et ne pas prendre comme un dû le fait d’entrer dans un restaurant. Je pense que ce film va inspirer le respect pour notre industrie. C’est peut-être un film sombre, mais il pousse à réfléchir et à prendre conscience d’un certain nombre de choses.”
Crédit photos : © 20th Century Studios