Un roman graphique, une pandémie, une conspiration mondiale sur le contrôle de la natalité et le changement climatique. Que demandez de plus ? Thriller britannique à l’humour plus que noir, Utopia mêle une intrigue aussi tordue que captivante. Ses personnages complexes, son histoire pleine de rebondissements et de suspenses, son style visuel unique et son ton effroyablement sombre ont attiré une communauté de fans dès sa première diffusion sur Channel 4, au Royaume-Uni, en 2013. Quelques scènes restent inoubliables des années après leur visionnage et vous ne regarderez plus jamais une petite cuillère de la même façon. Les deux saisons d’Utopia, la série créée par Dennis Kelly, sont disponibles sur Arte.tv du 12 mai au 31 octobre 2024. [SPOILERS]

Paul Ready torture avec une cuillère dans Utopia

Paul Ready et sa cuillère

Une intrigue captivante

Un mystérieux roman graphique intitulé Utopia semble prédire des catastrophes dans le monde réel. Becky, Bejan, Ian, Wilson et Grant, tous membres d’un forum en ligne concernant cet ouvrage – qui compte 780 membres -, organisent une rencontre après que Bejan a mis la main sur le manuscrit du second tome. Celui-ci est censé livrer des informations sur de prochains événements dévastateurs pour l’humanité. Alors qu’ils se rapprochent du nouveau recueil de dessins, ils découvrent qu’une organisation secrète baptisée le Network est prête à tout pour l’obtenir. Leur seul espoir de survie serait de s’allier avec la très recherchée Jessica Hyde.

Alexandra Roach et Adeel Akhtar dans Utopia

Alexandra Roach et Adeel Akhtar

Un concept inquiétant

Qui n’aime pas une bonne théorie du complot ? Qui plus est quand elle est cachée dans un roman graphique. Utopia développe une intrigue sombre et complexe emplie de paranoïa et de conspirations qui se déroule dans une banale banlieue britannique. Oscillant entre une étrangeté farfelue et un réalisme inquiétant, la série apparaît pourtant totalement crédible. Plus encore depuis la pandémie internationale de la Covid-19. Par ailleurs, Utopia fait référence à un certain nombre d’événements réels – épidémie de la vache folle, assassinat politique, catastrophe aérienne, accident nucléaire… – et laisse à penser qu’il existe une théorie du complot derrière chaque grand mal que notre planète a connu ces dernières décennies.

Un dilemme moral

Dans la saison 1 d’Utopia, le Network possède un vaccin destiné à rendre stérile la majeure partie de la population mondiale. Le thème central de la saison 1 s’avère être la surpopulation de la Terre, cause sous-jacente du réchauffement climatique. Quand Dennis Kelly a écrit sa série, il savait que la planète allait atteindre les sept milliards d’habitants. Il avait alors le sentiment que personne n’évoquait cette problématique. Pour lui, l’environnement était un sujet permanent, cependant personne ne parlait “de la chose la plus évidente, à savoir que les pressions exercées sur l’environnement sont en grande partie causées par une population importante”.

Neil Maskell et Fiona O’Shaughnessy dans Utopia

Neil Maskell et Fiona O’Shaughnessy

Episode après épisode, les détails de la conspiration se dévoilent et le public découvre la pertinence de certaines réflexions des protagonistes. Parmi ces derniers, quelques uns changent d’ailleurs de camp, passant du Bien au Mal ou inversement tandis que les gentils utilisent des méthodes aussi odieuses que les méchants. Mais au final, le dilemme reste entier pour les personnages et pour les téléspectateurs : la planète, avec sa faune – humaine ou non – et sa flore, peut-elle survivre à la victoire des gentils ? Les méchants pourraient-ils avoir raison ?

Un ton sombre et intense

Utopia explore des thèmes dérangeants de la société d’aujourd’hui comme les théories du complot, l’ambiguïté morale et la violence. Cette dernière – jugée gratuite par de nombreux téléspectateurs – est représentée avec une grande désinvolture, voire de l’humour particulièrement noir, et ajoute à la charge émotionnelle et à la tension dramatique de la série. Œil arraché à la petite cuillère, crânes défoncés, gorges tranchées mais aussi ados gazés ou encore tuerie dans une école. Les enfants ne sont, en effet, pas épargnés, qu’ils soient victimes ou meurtriers.

Une cinématographie stylisée

Oliver Woollford

Pour imiter l’esthétique des romans graphiques, le réalisateur Marc Munden et les directeurs de la photographie Ole Bratt Birkeland (saison 1) et Lol Crawley (saison 2) se sont inspiré de la palette Technicolor du Hollywood des années 1950, composée de couleurs opposées : jaunes, cyan, magentas. Puis, en postproduction, le coloriste Aidan Farrell a utilisé le logiciel d’étalonnage Nucoda Film Master pour peindre des couleurs plus audacieuses et vibrantes dans les plans. Résultat : du ciel bleu sur un champ violet, une boîte aux lettres rouge sur un gazon vert… Les nuances vives, presque psychédéliques, donnent un côté décalée et frappent les esprits au milieu de scènes sombres et flippantes. Le monde lumineux et coloré est finalement loin d’être apaisant.

Une bande originale déroutante

Utopia offre un spectacle musical époustouflant signé par Cristobal Tapia de Veer qui capture à la perfection sa nature troublante et dérangeante. La bande originale est diaboliquement inventive et peu orthodoxe, oscillant entre l’expérimental et l’ésotérisme. Les instruments sont aussi surprenants que la musique. Le compositeur a, en effet, été jusqu’à utiliser une trutruka chilienne (une trompe cylindrique constituée d’un long tube en bambou couvert avec un intestin de cheval et terminé par un pavillon en corne de vache) et une percussion créée à partir d’étrons de rhinocéros zimbabwéens. Aux sonorités électroniques angoissantes s’ajoutent d’étranges sons déformés mais aussi des voix supposées humaines. Est-ce un murmure ? un gémissement ? un hurlement ?

Cristobal Tapia de Veer a mis en libre écoute la bande originale d’Utopia sur sa chaine Youtube : Saison 1 et Saison 2

Nathan Stewart-Jarrett

Des personnages et des acteurs excellents

Becky (Alexandra Roach) : étudiante en médecine. Elle est atteinte du mystérieux “syndrome de Deel”, une maladie incurable qui a emporté son père. Elle est convaincue que la mort de ce dernier est liée au manuscrit d’Utopia et au Network. Depuis Utopia, Alexandra Roach est notamment apparue dans la série No Offence.

Ian Johnson (Nathan Stewart-Jarrett) : consultant en informatique. Il se croit plus intelligent que les autres mais, à 28 ans, il vit toujours chez sa mère. Anxiété doit être son deuxième prénom. Nathan Stewart-Jarrett a récemment joué dans la série Généra+ion et dans le film d’horreur Candyman.

Wilson Wilson (Adeel Akhtar) : hacker de génie et conspirationniste survivaliste. Plus il en apprend sur les motifs du Network, plus il se demande s’il est dans le bon camp. Depuis Utopia, Adeel Akhtar interprète notamment Lestrade dans Enola Holmes.

Grant Leetham (Oliver Woollford) : délinquant au cœur d’or. Il a 11 ans mais, sur Internet, il se fait passer pour un adulte qui travaille à la City, conduit une Porsche et séduit des supermodèles. Depuis Utopia, Oliver Woollford a notamment joué dans la série de science-fiction Eve.

Jessica Hyde (Fiona O’Shaughnessy) : résistante ou terroriste ? Elle fuit le Network depuis sa naissance. Elle est la fille de Philip Carvel, l’auteur d’Utopia. Fiona O’Shaughnessy est récemment apparue dans la série Halo.

Paul Higgins

Arby (Neil Maskell) : tueur à gages envoyé par le Network qui l’a formé depuis ses plus jeunes années. Sa mission est de retrouver, coûte que coûte, le manuscrit et Jessica Hyde. Il aime les raisins enrobés de chocolat. Neil Maskell a récemment joué Winston Churchill dans la série Peaky Blinders et est apparu dans la mini-série Litvinenko.

Lee (Paul Ready) : tueur à gages envoyé par le Network et expert en torture. Avec son costume coloré, on pourrait le prendre pour un chanteur rock des années 1950. Depuis Utopia, Paul Ready a notamment joué dans la mini-série Bodyguard et dans la série Motherland.

Michael Dugdale (Paul Higgins) : directeur du cabinet du ministre de la Santé. Il est victime d’un chantage de la part du Network et devient leur pion. Depuis Utopia, Paul Higgins est notamment apparu dans les saisons 1 et 4 de Line of Duty.

Milner (Geraldine James) : agent du MI5. Elle est une alliée précieuse dans la lutte contre le Network. Quoique. Depuis Utopia, Geraldine James a notamment joué dans les séries Anne with an “E” et Silo et incarné la reine Mary dans les films Downton Abbey et Downton Abbey : Une nouvelle ère.

Le complot de l’annulation

Neil Maskell

Channel 4 a annulé Utopia le 12 août 2014, après deux saisons. Cet arrêt semble avoir plusieurs raisons dont son côté sombre et violent. L’Ofcom, l’autorité britannique de régulation des médias, a reçu 44 plaintes concernant la série, notamment pour violence, langage offensant et participation d’enfants acteurs à des scènes de contenu adulte. Trente-sept d’entre elles faisaient référence à la tuerie dans l’école de l’épisode 3 de la saison 1.

C’était également une série de niche par son sujet. Le public attiré par l’aspect thriller aurait été rebuté par le côté conspirationniste trop complexe et tortueux. Utopia a finalement attiré peu de téléspectateurs mais ils sont devenus de vrais fans. Les producteurs de télévision ont d’ailleurs accusé les fans d’avoir tué eux-mêmes la série en la regardant via des sites de piratage et en replay sur la plateforme Channel 4 (dont l’audience n’était pas comptabilisée) et non pas en direct sur Channel 4. Ils ont ainsi fait passer les taux d’audience officiels sous la barre du million de téléspectateurs et contribué à la mort d’Utopia.

Une théorie du complot est enfin née stipulant que le Network fictif d’Utopia existait vraiment et avait condamné la série parce qu’elle était trop proche de la vérité.

Une saison 3 est-elle encore possible ?

Selon Dennis Kelly, il y a toujours une possibilité d’une saison 3, histoire de donner une vraie fin à la série. Cependant, dix ans après, les acteurs sont plus âgés et le showrunner admet lui-même être aujourd’hui une personne différente de celle qui a écrit Utopia à l’époque. Il redoute de produire un récit qui ne soit que l’ombre de ce qu’Utopia était en 2013.

Crédit photos : © Channel 4

Les deux saisons d’Utopia sont disponibles sur Arte.tv du 12 mai au 31 octobre 2024.