Gareth Edwards a découvert le cinéma quand il était petit. La magie a fait le reste. Il évoque son parcours de réalisateur, depuis ses premiers émois de spectateurs à son nouveau long métrage, The Creator. Ce projet, qu’il estime à mi-chemin entre le blockbuster et le film d’auteur, pose notamment la question des bienfaits et des dangers de l’intelligence artificielle. The Creator sort en salles ce 27 septembre.

John David Washington et Madeleine Yuna Voyles dans The Creator

John David Washington et Madeleine Yuna Voyles

L’illusion était parfaite

« Quand j’étais petit, la plupart des films que j’allais voir au cinéma étaient des blockbusters originaux, » se remémore Gareth Edwards. « Tous les mois, je découvrais un nouveau chef d’œuvre de science-fiction, comme s’il tombait du ciel grâce aux dieux du septième art ! Des films dont les images et les personnages continuent à me hanter même après plusieurs dizaines d’années et à nourrir mon imaginaire pour le restant de mes jours.

Je ne me souviens plus de l’âge que j’avais quand j’ai vu Star Wars pour la première fois, mais c’est comme si ce film existait depuis toujours. Sa découverte était presque une expérience mystique. En étant confronté à ce métissage entre une ancienne mythologie et un futur technologique lointain, j’ai tout de suite compris quelle était ma vocation. J’allais intégrer l’Alliance rebelle et détruire l’Etoile de la mort !

Madeleine Yuna Voyles et Gareth Edwards sur le tournage de The Creator

Madeleine Yuna Voyles et Gareth Edwards

Et puis, peu à peu, j’ai commencé à prendre conscience que ces récits qu’on appelle des films n’étaient pas réels. L’Alliance rebelle n’existait pas, et toute cette machinerie qui s’appelle le ‘cinéma’ n’était qu’une gigantesque supercherie. Par conséquent, après un grand moment de désarroi, j’ai décidé de me consacrer à ce qui me semblait un pis-aller. J’allais moi-même devenir illusionniste et faire des films. Seulement voilà, comment donc devient-on cinéaste ? »

Un ado et une caméra vidéo

« J’ai grandi dans le centre de l’Angleterre, si bien qu’Hollywood me paraissait à des années-lumière. Puis un jour, alors que j’entrais dans l’adolescence, mon père nous a annoncé qu’on allait tous passer des vacances en Asie. Et il a ajouté, avec plus d’empressement encore, qu’il allait faire l’acquisition d’une caméra vidéo pour filmer le voyage !

Et voilà… Dans ma famille, personne n’avait la moindre chance à côté de moi. Dès l’instant où celle-ci a été achetée, je ne l’ai plus lâchée. J’ai filmé chaque moment de notre périple à travers les mégalopoles de Hong Kong et Bangkok sans oublier les plages tropicales et les jungles de Thaïlande. Ce voyage m’a considérablement marqué et était totalement nouveau pour moi. Je n’avais aucun point de repère dans ces civilisations, qu’il s’agisse de la signalétique ou des publicités. J’avais le sentiment d’être un parfait étranger – et cela m’a beaucoup plu. »

John David Washington incarne Joshua dans The Creator

John David Washington

La fascination des effets visuels

« A 18 ans, j’avais tourné toute une série de courts métrages que je gardais sous forme de VHS. Ils m’ont permis d’intégrer une école de cinéma. Il se trouve que je vivais en colocation avec un étudiant de cinéma qui étudiait une nouvelle matière intitulée ‘animation infographique’. On était en 1993. Quand j’ai vu ce qu’il arrivait à faire sur son ordinateur personnel, j’ai été époustouflé. Il était évident à mes yeux que cet outil allait démocratiser la réalisation de films. Si Hollywood ne me sollicitait pas, cela n’avait plus d’importance. Plus rien ne pourrait empêcher quiconque de faire un film de science-fiction spectaculaire depuis sa chambre !

Hollywood ne m’a jamais sollicité. Comme je n’arrivais pas à décrocher de boulot dans la réalisation, je me suis endetté et j’ai acheté un ordinateur. Après avoir passé beaucoup trop de temps à m’initier aux effets visuels, je me suis retrouvé avec bien plus d’offres d’emploi en infographie qu’en réalisation ou en prises de vue. A la BBC, j’ai même fini par avoir la réputation d’être ‘ce jeune qui réalise des effets visuels depuis sa chambre’. Mais je tentais sans cesse de soudoyer les producteurs avec qui je travaillais en leur disant : ‘Si vous acceptez que je mette en scène l’une de vos séries télé, je vous ferai tous les effets visuels à l’œil’. »

Gemma Chan interprète Maya dans The Creator

Gemma Chan

Son premier long métrage

« Au fil des années, je me trouvais sans cesse des prétextes pour ne pas démissionner. Jusqu’au moment où j’ai atteint un point critique. La peur d’échouer ne prenait plus le pas sur celle de n’avoir jamais été confronté à l’expérience d’un tournage. J’ai contacté une maison de production de films à petit budget. Je leur ai montré ma bande démo d’effets visuels et de courts métrages. J’ai réussi à les convaincre que le secteur traversait une période décisive et qu’on pouvait désormais réaliser un film spectaculaire sans beaucoup de moyens. Pour une raison que je ne m’explique pas, ils m’ont cru… Trois mois plus tard, je me suis retrouvé en Amérique centrale pour tourner mon premier long métrage, Monsters.

On avait très peu d’argent, mais cela n’avait pas d’importance. C’était un film de science-fiction et moins on avait la maîtrise des événements, plus le résultat était réaliste. On a sillonné l’Amérique centrale. Dès qu’on repérait un endroit intéressant, on y faisait un saut et on tournait une scène. C’était spontané et efficace. Deux acteurs professionnels tournaient au milieu d’amateurs et tout ce qui, en temps normal, pouvait constituer un obstacle, est devenu une force. Au final, il y a tout un tas d’avantages à tourner un film sans moyens.

Le seul souci est qu’il fallait que je réalise moi-même l’intégralité des 250 plans d’effets visuels depuis ma chambre. En utilisant les nouveaux logiciels qui promettaient de démocratiser la mise en scène de films, j’avais le sentiment de prendre de distance des centaines d’autres réalisateurs aux quatre coins du monde et d’être pionnier en la matière.

Madeleine Yuna Voyles joue Alphie dans The Creator

Madeleine Yuna Voyles

Après avoir été refusé dans plusieurs festivals, Monsters a fini par être sélectionné au SXSW, où, par hasard, il a été vu par un agent hollywoodien qui m’a proposé de me représenter. Il fallait que je me pince pour y croire, mais dans le même temps, étonnamment, cela n’avait plus d’importance… On avait l’impression qu’une révolution numérique était en cours, que n’importe qui pouvait désormais réaliser un film… Qui avait encore besoin d’Hollywood ? Jusqu’à ce que mon tout nouvel agent m’appelle pour me demander si j’étais fan de Godzilla… »

Du film fauché au blockbuster

« Avoir la possibilité de mettre en scène l’un des plus gros films de l’été, c’est comme être directement téléporté à la finale du Super Bowl. C’est aussi éprouvant qu’exaltant. Cependant, je n’ai pas tardé à me rendre compte que tout ce qui me semblait facile dans la réalisation d’un film fauché devenait soudainement difficile, sinon impossible, avec un blockbuster. Parallèlement, tout ce qui était compliqué – comme la réalisation de 250 plans d’effets visuels – devenait cette fois très facile.

Je ne savais pas quoi penser de ce changement. C’était comme un équilibre parfait permettant d’avoir les avantages sans les inconvénients. J’avais décidé de me démarquer des grosses productions. Je voulais essayer de mettre à profit ce que j’avais appris pour tourner des films ambitieux à budget modeste sans la pression de très nombreux fans qui scrutent le moindre de vos gestes. C’est alors que mon agent m’a rappelé pour me dire ‘Tu aimes Star Wars ?’ »

Ken Watanabe

Rogue One : A Star Wars Story

« C’était un rêve qui se concrétisait. J’avais l’occasion d’évoluer dans l’univers qui m’avait donné envie de faire du cinéma. Etrangement, on aurait dit que ‘la Force’ avait fait en sorte que cela se produise. Et pourtant, pendant le tournage de Rogue One : A Star Wars Story, on cherchait sans cesse à se montrer plus audacieux, à revenir à nos sources et à nous y prendre différemment.

Greig Fraser et Industrial Light & Magic étaient partants pour repousser les limites. Ils étaient prêts par exemple à utiliser des murs LED au lieu de fonds verts pour filmer ce qu’on aperçoit à travers les fenêtres du vaisseau. Il s’agissait de tourner dans des décors réels puis de les amplifier de manière informatique. J’avais le sentiment que ce film était le point d’aboutissement de tout ce que j’avais fait jusque-là. Mais lorsqu’on a enfin la possibilité d’intégrer l’Alliance rebelle et de pulvériser l’Etoile de la mort, quelle est la prochaine étape ? Comment aller encore plus loin ? »

Une éponge dans le Midwest

John David Washington

Quand on achève un film, votre cerveau peut soudain se ‘libérer’ de l’équivalent de deux ans d’idées et d’images en un clin d’œil, un peu comme si on reformatait un disque dur. On se retrouve tout à coup avec une gigantesque toile vierge en tête, totalement ouverte aux nouvelles idées et possibilités d’intrigues. C’est l’un des moments que je préfère : l’impression d’être une éponge et d’avoir le sentiment que tout est possible.

A la fin du tournage de Rogue One : A Star Wars Story, j’ai eu besoin de faire une pause. On s’est embarqués dans un long périple en voiture avec ma petite amie pour aller voir ses parents dans l’Iowa. Alors qu’on traversait le Middle West, j’observais les champs des fermes défiler par la fenêtre tout en écoutant des musiques de films. Et soudain s’est dressée une étrange usine au milieu d’herbes hautes. Je me souviens qu’il y avait un logo japonais dessus et me suis demandé ce qu’on pouvait y fabriquer.

Etant fan de science-fiction, j’ai aussitôt pensé à des robots. Imaginez que vous soyez un androïde fabriqué dans cette usine, que vous n’ayez jamais connu que cet environnement, qu’un jour quelque chose dysfonctionne et que vous vous retrouviez pour la première fois à l’extérieur, contraint de partir à la découverte du monde et du ciel. Si cela arrivait, que se passerait-il ? »

Pour moi, c’était le début d’un scénario. Lorsque nous sommes arrivés chez les parents de ma petite amie, j’avais presque toute la trame en tête. C’est très rare. Je l’ai interprété alors comme un signe positif, et je me suis dit que c’était peut-être mon prochain film. »

The Creator : Blade Runner au Vietnam

« Pour ma part, je déteste écrire un scénario. C’est comme avoir à faire la pire corvée au monde ! Ma seule méthode pour y parvenir est de m’enfermer dans la chambre d’un bel hôtel et de m’engager à ne pas la quitter avant que le script soit achevé. C’est très exactement ce que j’ai fait, en séjournant dans un hôtel en Thaïlande, et c’est à ce moment-là que mon ami Jordan Vogt-Roberts, qui était au Vietnam et qui a mis en scène Kong : Skull Island, m’a proposé de venir le voir.

On a passé une semaine à sillonner le pays. Comme avec l’écriture du script j’étais dans un état d’esprit créatif, mon imagination était totalement débridée. Je me suis mis à visualiser de gigantesques structures futuristes qui surgissaient des rizières ou à envisager de fascinantes questions spirituelles que pourrait se poser un moine bouddhiste qui, en réalité, est une intelligence artificielle. Ça me fascinait. J’étais enthousiaste à l’idée d’un récit à la Blade Runner situé dans le Vietnam que je découvrais. Si je ne faisais pas ce film dès à présent, quelqu’un d’autre me prendrait de vitesse… J’avais un sentiment d’urgence ! »

Le monde à l’envers

« Je suis parfaitement convaincu que le style visuel est tout aussi important que l’intrigue. Pour moi, il était essentiel d’aborder ce projet d’une manière radicalement différente. Ou, sinon, de ne pas le faire du tout. Mais tenter de convaincre un grand studio de financer un film de science-fiction original est très difficile à l’heure actuelle, voire impossible. Il était évident que notre seul véritable espoir consistait à le tourner avec un budget modeste. J’ai contacté le producteur de Monsters. J’ai essayé de lui expliquer qu’on ne tournait pas un blockbuster à petit budget, mais le film indépendant le plus ambitieux jamais produit !

C’est un genre de réflexion qu’il est facile à avoir, mais que signifie-t-il exactement ? On a expliqué au studio qu’on allait tout faire à l’envers. En général, avec un blockbuster, on commence par se réunir avec les artistes et à imaginer tout l’univers. On se rend compte ensuite qu’on ne peut pas trouver les lieux de tournage nécessaires et qu’on doit construire de gigantesques décors en studio et tourner entièrement sur fonds verts. Comme je ne voulais pas d’un tournage pareil, on a tout fait dans l’autre sens et posé nos caméras dans de véritables pays, en décors réels, avec de vrais acteurs. C’est une fois le film monté que je comptais me réunir avec les chefs de poste et peindre sur les plans pour créer l’univers de science-fiction.

Madeleine Yuna Voyles

Les studios étaient sceptiques et le pari avait l’air un peu délirant. On s’est alors mis en tête de prouver qu’on pouvait y arriver. »

Un court métrage pour convaincre

« En nous faisant passer pour une équipe qui effectuait des repérages, on est parti avec des caméras et, en toute discrétion, mon producteur Jim Spencer et moi avons tourné un court métrage. On s’est rendu sur les meilleurs lieux de tournage au monde pour chaque scène. James Clyne, l’un de nos chefs décorateurs, a peint sur les images et, par bonheur, Industrial Light & Magic a accepté d’ajouter tous les effets pour que cela ait une valeur de test.

On a fait tout cela extrêmement rapidement et pour beaucoup moins d’argent que le résultat à l’image ne le laisse présumer. Le studio a été époustouflé. On a obtenu son accord et on est parti tourner The Creator… »

The Creator

Ce thriller de science-fiction se situe dans un futur proche, dans un monde où on a peur de l’autre, de ceux qui sont différents de nous. Ici, les formes d’intelligence artificielle (IA).

Au lendemain de l’anéantissement de Los Angeles par une bombe nucléaire déclenchée par l’intelligence artificielle, les Etats occidentaux – les Etats-Unis en tête – interdisent totalement l’IA. De leur côté, les pays orientaux continuent à développer cette technologie, tant et si bien que les robots sont devenus proches de l’être humain et maintenant considérés comme des égaux. La situation dégénère alors en guerre entre l’Amérique et l’Asie.

G.I. infiltré chez les IA et leurs défenseurs, Joshua (interprété par John David Washington) est séparé de sa femme Maya (Gemma Chan) au cours d’un assaut. Supposant que celle-ci est décédée, il rentre aux États-Unis, complètement dévasté. Cinq ans plus tard, l’armée américaine lui demande de revenir sur le terrain. Sa mission est de détruire une arme créée par une puissante intelligence artificielle qui permettrait à l’Orient de gagner le conflit contre l’Occident. Joshua découvre que l’arme en question est une petite fille de 6 ans, Alphie (Madeleine Yuna Voyles).

Quand la fiction rejoint la réalité

« L’actualité de The Creator est surréaliste, » reprend Gareth Edwards. « Alors qu’on développe ce projet depuis des années, il sort à un moment où le monde affronte plusieurs problèmes qu’on souhaitait soulever dans ce film. Qu’est-ce qui singularise l’être humain par rapport aux autres êtres vivants ? L’IA peut-elle avoir une conscience ? Sans compter d’autres questions éthiques concernant l’intelligence artificielle et l’humanité.

John David Washington

Imaginez des formes d’intelligence artificielle qui semblent parfaitement réelles, à tel point qu’on puisse dialoguer avec elles. Que se passerait-il si on réfutait ses décisions ? Peut-on débrancher l’IA ? Est-ce répréhensible de le faire ? Et que se passerait-il si l’IA n’appréciait pas d’être débranchée ?

Curieusement, pendant le tournage de The Creator, les médias ont parlé de plusieurs lanceurs d’alerte évoluant au sein d’importantes sociétés de haute technologie. Ces derniers voulaient mettre en garde sur le fait que l’IA était devenue très évoluée, qu’elle avait été mise au point à des fin commerciales, qu’elle risquait de se substituer à l’être humain et même de détruire des emplois. Il semble qu’on soit aujourd’hui parvenu à un moment critique où le danger est présent. On a ouvert la boîte de Pandore.

The Creator, par un extraordinaire coup de chance, aborde précisément ces enjeux. L’IA est-elle réelle ? Quelle est son importance ? Faut-il l’accepter ou au contraire faut-il la détruire ? Ces interrogations traversent le film et reflètent une actualité brûlante. »

Un méchant chez les gentils

« On a parfois le sentiment que ceux qui ne partagent pas nos idées sont les ‘méchants’, et que nous sommes les ‘gentils’. Mais de toute évidence, si on inverse le point de vue, ceux qui ne partagent pas nos valeurs ont le sentiment que nous sommes les méchants et qu’eux sont les gentils ! C’est le fonctionnement de l’être humain.

Ce qui m’intéressait avec The Creator, c’était d’explorer une situation où l’on a de très forts préjugés à l’égard d’une communauté en particulier. Puis d’y précipiter un personnage qui doit vivre parmi elle et tenter de s’en sortir vivant. Comment une telle expérience l’affecte-t-elle ? Qu’observe-t-il, en vivant en son sein, qui soit de nature à remettre en question ses préjugés ? J’aime beaucoup l’idée d’un individu qui se retrouve plongé dans une telle situation. A travers un périple qui doit le ramener chez lui, il commence à envisager les choses avec un regard différent.

Il s’agit ici d’un protagoniste qui se rend sur la zone de combat d’une guerre futuriste et qui se met à s’interroger sur ses convictions. En tant que société, nous sommes collectivement embarqués sur une même trajectoire concernant l’IA, que cela nous plaise ou pas. Est-elle une réalité concrète ? Est-ce une personne à qui on s’adresse ? »

The Creator : Blockbuster, film d’auteur, conte de fées

« Si The Creator soulève pas mal de questions sur la technologie et l’IA, le film est aussi un conte de fée. Un père malgré lui doit guider une enfant à travers une forêt métaphorique pour retrouver son épouse. Ce qu’il désire, c’est l’amour de sa femme. Mais ce dont il a réellement besoin, c’est d’aimer cette enfant. »

Crédit photos : © The Walt Disney Company