Inglourious Basterds, le film de guerre uchronique de Quentin Tarantino, comporte quelques scènes marquantes. La plus célèbre est la séquence d’ouverture où un colonel SS (Christoph Waltz) interroge un fermier français (Denis Ménochet) qu’il soupçonne de cacher une famille juive. Pour cette scène, Quentin Tarantino a su créer une tension et un suspense comme rarement vus au cinéma. France 3 diffuse Inglourious Basterds ce 7 novembre à 21h10. [SPOILERS]

Denis Ménochet et Christoph Waltz dans Inglourious Basterds

Denis Ménochet et Christoph Waltz

La scène culte d’Inglourious Basterds

1941, dans la France occupée. Un homme coupe du bois devant sa ferme. Sa fille étend du linge. Des vaches paissent paisiblement. Soudain, deux motos et une voiture militaires allemandes apparaissent à l’horizon. Perrier LaPadite demande à ses trois filles de rentrer dans la maison. Le colonel SS Hans Landa descend du véhicule et se présente au fermier. Les deux hommes entrent dans la bâtisse puis entament une conversation. L’officier nazi cherche des renseignements sur une famille juive. Il sait qu’elle se cache dans la ferme et parvient à faire avouer Perrier LaPadite. Il massacre les Juifs sauf la jeune Shoshanna qui parvient à s’enfuir.

L’écriture

Christoph Waltz joue Hans Landa dans Inglourious Basterds

Christoph Waltz

La scène fait 17 pages dans le scénario d’Inglourious Basterds et dure près de 20 minutes à l’écran. Quentin Tarantino a écrit son script sur plus de dix ans, ajoutant régulièrement des séquences année après année. En 2008, il s’est senti prêt à l’achever et à le tourner. L’ouverture de son long métrage fait partie des scènes qu’il a écrites en premier. C’est également celle qu’il préfère dans toute sa filmographie. Quentin Tarantino affirme aussi que Hans Landa est le personnage le plus amusant qu’il ait jamais écrit. Il pensait cependant qu’il ne trouverait jamais un acteur capable de tenir ce rôle. Et sans ce comédien miracle, il estimait ne pas pouvoir tourner le film. 

Le casting

Pour Inglourious Basterds, Quentin Tarantino voulait que chaque acteur possède la nationalité correspondante à celle du personnage qu’il allait incarner. Il cherchait donc un Allemand pour le colonel Hans Landa –  mais qui parle aussi anglais et français – et un Français pour Perrier LaPadite – mais qui parle aussi anglais.

Christoph Waltz avait déjà 30 ans de carrière derrière lui en Allemagne – principalement à la télé – mais était alors inconnu du public international. Une directrice de casting allemande l’a proposé pour l’audition. En rencontrant Quentin Tarantino, l’acteur s’attendait à voir une pile électrique devant lui. Il a découvert un homme raffiné et poli. Le cinéaste lui a fait lire toutes les scènes de Hans Landa, interprétant de son côté tous les autres personnages. Quentin Tarantino a a su immédiatement qu’il avait trouvé son acteur parfait pour le nazi. Pour ce rôle, Christoph Waltz a notamment reçu le Prix d’interprétation à Cannes ainsi que le Bafta, le Golden Globe et l’Oscar du meilleur second rôle.

Christoph Waltz joue Hans Landa et Denis Ménochet incarne Perrier LaPadite dans Inglourious Basterds

Christoph Waltz et Denis Ménochet

C’est aussi un directeur de casting qui a proposé Denis Ménochet. Ce dernier raconte qu’il a fait une seule lecture avec Quentin Tarantino, dans une cuisine, rue de Rivoli, à Paris. Face à face, ils ont tous les deux joué la scène d’ouverture. Le réalisateur lui a dit bravo et l’a laissé partie. Trois semaines plus tard, Denis Ménochet a reçu un appel lui annonçant qu’il avait le rôle. Le producteur Lawrence Bender a confié que l’acteur a été le premier à auditionner pour ce personnage. 

Le tournage d’Inglourious Basterds

Après une période d’écriture de dix ans et une pré-production de quatorze semaines, le tournage  d’Inglourious Basterds a commencé le 9 octobre 2008. Le film a été presque entièrement filmé dans l’ordre chronologique des scènes. La séquence d’ouverture a été enregistrée près de la petite ville allemande de Bad Schandau, à la frontière tchèque. Le lieu a été choisi pour son paysage vallonné. L’intérieur de la ferme Lapadite a été construit sur un plateau du Studio Babelsberg, à Berlin.

Quentin Tarantino a insisté pour que Christoph Waltz ne répète pas avec les autres acteurs du film. Il lui a aussi demandé d’en faire le minimum lors de la première lecture collective du scénario. Le cinéaste voulait garder un effet de surprise maximum pour le tournage quant à ce que l’acteur pouvait donner dans son personnage. Christoph Waltz souhaitait cependant répéter avec quelqu’un pour se préparer et c’est Quentin Tarantino lui-même qui s’est prêté à l’exercice. La seule exception a été pour la scène d’ouverture. Christoph Waltz a pu répéter avec Denis Ménochet. Quentin Tarantino savait que les répétitions entre les deux personnages seraient essentielles pour obtenir une séquence parfaite. 

Christoph Waltz

La mise en scène

La scène d’ouverture est la présentation du méchant d’Inglourious Basterds. C’est aussi une confrontation magistrale entre deux esprits, un bras de fer psychologique entre deux hommes. D’un côté Perrier LaPadite, un fermier français, résistant, qui cache des Juifs chez lui. Chaque jour, il s’attend à voir débarquer les nazis. Quand ce moment arrive, il semble résigné mais aussi plein de défi. De l‘autre côté, Hans Landa, un colonel SS, surnommé le “chasseur de Juifs”. Sous des dehors de bureaucrate charmant et obséquieux venu remplir une simple formalité administrative, se dissimule un détective rusé et fin observateur. Il n’est là que pour confirmer ce qu’il sait déjà. Et tuer ses proies. Son arrivée et la réaction de la famille LaPadite font naître un sentiment de danger qui ne fera que grandir. La tension devient proportionnelle à l’investissement émotionnel que le spectateur éprouve pour les LaPadite.

Pendant cette séquence, les cadrages, les angles et les mouvements de la caméra montrent que Hans Landa détient le pouvoir. Le nazi occupe souvent le centre de l’image quand le Français est coincé contre un bord de cadre. En outre, les dialogues s’accompagnent de silences, de regards et de gestes qui en disent plus long que les mots. Les compliments que le colonel adresse aux filles ne compensent pas le fait qu’il agrippe fermement la jeune Suzanne par le poignet ni qu’il observe avec attention les réactions de Charlotte. Il boit du lait – une boisson symbolisant la pureté et l’enfance – plutôt que du vin, il use d’une grande politesse, il pose des questions innocentes sur les Dreyfus… Tout ceci fait que Perrier LaPadite baisse sa garde et prend de l’assurance. Ses mains ne tremblent pas quand il allume sa pipe. Il ment effrontément au nazi et pense avoir réussi à le berner. 

Christoph Waltz

Quand la caméra tourne autour des deux hommes puis descend nous montrer la famille Dreyfus cachée sous le plancher de la maison, la tension se complète d’un suspense quant à l’avenir des LaPadite et des Dreyfus. Hans Landa change de sujet de conversation. Il évoque son surnom de “chasseur de juifs”, revient sur la comparaison entre les Allemands et les faucons et entre les juifs et les rats et demande une dernière permission, celle de fumer. Il sort alors une pipe identique à celle du fin limier Sherlock Holmes. Signe qu’il sait tout. A partir de là, Quentin Tarantino filme ses deux acteurs en gros plans afin d’accentuer l’importance du moment. Le sourire de Hans Landa disparaît, ses traits se durcissent et son regard devient glacial. La détresse de Perrier LaPadite apparaît, ses yeux se remplissent de larmes, d’impuissance et de terreur. Il dénonce les Dreyfus afin de sauver sa famille.

Hans Landa fait entrer ses hommes qui tirent dans le plancher et massacrent les Dreyfus. Sauf l’aînée, Shoshanna, qui parvient à s’enfuir. Le colonel SS la regarde courir et sort après elle. Il prend son temps pour la viser mais son arme s’enraye. Il la laisse partir en lui criant “Au revoir Shoshanna !”, avec son sourire carnassier. Certain que sa proie n’ira pas bien loin.

Crédit photos : © Universal Pictures International France