Dans Les survivants de Guillaume Renusson, Samuel (Denis Ménochet), endeuillé par le décès de sa femme, se retrouve à aider Chehreh (Zar Amir Ebrahimi), une jeune Afghane qui veut traverser les Alpes italiennes pour rejoindre la France. Ils devront affronter les dangers de la nature et l’hostilité des hommes. Guillaume Renusson raconte la création et le tournage de son film. Les survivants sort en salles ce 4 janvier. [SPOILERS]

Denis Ménochet et Zar Amir Ebrahimi dans Les survivants

Denis Ménochet et Zar Amir Ebrahimi

L’idée de départ des Survivants

“Quand j’étais étudiant, j’ai accompagné une famille qui venait d’Angola, une mère et ses deux enfants. Le père était décédé. Je me suis occupé de leurs démarches administratives et j’ai accompagné les enfants en soutien scolaire. A Paris, j’étais dans une association où je faisais des courts-métrages avec des exilés. J’ai été frappé de voir que la dynamique du deuil telle qu’on la connaît s’apparentait au deuil de leur pays. Avec Clément Peny, mon co-scénariste, on a un jour imaginé une scène : un homme donnant la carte d’identité de sa femme décédée à une réfugiée pour lui permettre d’essayer de passer une frontière. Il y avait selon moi la concentration de plein d’enjeux, à la fois sociaux, politiques, intimes… Je crois que c’est pour cette scène que j’ai fait ce film. Elle a toujours été là. Le scénario a été construit autour d’elle.”

Denis Ménochet et Zar Amir Ebrahimi dans Les survivantsQui sont les survivants du titre ?

“Dans la rencontre de ces deux personnages, Samuel (Denis Ménochet) est à l’arrêt dans sa vie, isolé, statique, alors que Chehreh (Zar Amir Ebrahimi) est en fuite, en mouvement incessant, arrachée à son pays. Pour elle, c’est l’histoire d’un retour impossible, pour lui, d’un retour possible. Elle le remet en mouvement. Il la sauve, mais il est aussi sauvé par elle. D’où le titre Les Survivants. S’il annonce en partie le genre survival, il caractérise aussi les personnages. Ce n’est pas tant qu’ils vont survivre, c’est qu’ils sont déjà en survie quand le film commence.”

Un western contemporain et social

“Le monde se polarise, se radicalise, on le sait. La frontière, c’est une sorte de thermomètre de l’état social d’un pays. En repérages, j’ai rencontré des gens solidaires, des montagnards qui, comme les marins ne laissent personne se noyer, mais je me suis aussi heurté à l’indifférence et à la xénophobie. J’ai voulu interroger cette violence, jusqu’où elle peut vriller. Et le genre s’est imposé à l’écriture. J’ai le sentiment que ça nous a permis de prendre du recul sur l’actualité tout en la traitant frontalement, sans transposer littéralement ces jeunes de Génération Identitaire qui se sont improvisés milices. Sur place, dans ces grands espaces peu habités, j’ai vu ces réfugiés en survie, pris la nuit dans les phares des dameuses, traqués par la police aux frontières montée sur des motos-neige. On aurait dit des fantômes. Et je pensais à Samuel, ce lonesome cow-boy endeuillé, presque en rédemption… Ça m’a semblé homogène, ça m’a conduit vers le western. Un western contemporain, social.”

Le casting de Denis Ménochet

“Denis peut être à la fois inquiétant, rassurant, menaçant, protecteur. Je lui avais dit qu’on ferait la trajectoire inverse de Jusqu’à la garde. Les comédiens portent souvent leurs films d’avant. Entre Jusqu’à la garde et le début des Survivants, il y a comme une continuité : on se méfie de lui, ça nourrit aussi la méfiance de Chehreh. Grâce à Denis, j’ai pu essentiellement fabriquer le film au tournage et faire du scénario qu’une base. Je ne suis pas du tout du genre à vouloir que les dialogues écrits soient respectés à la virgule près. Plein d’idées ont surgi sur le plateau, plein de choses se sont incarnées là.”


Le casting de Zar Amir Ebrahimi, actrice iranienne exilée en France depuis des années

“On en avait parlé avec mes producteurs, on voulait un visage inconnu. Si Zar est connue en Iran, elle était inconnue en France. Au casting, elle a joué son essai en me regardant droit dans les yeux. Elle n’était pas craintive ou victime mais très forte. Je me suis dit que face au colosse aux pieds d’argile qu’est Samuel, c’était bien qu’il y ait cette femme toute frêle en apparence mais résiliente. Zar a aussi la faculté de changer de visage. Les trois fois où je l’ai vue au casting, j’ai eu l’impression de voir trois femmes différentes… C’était bien pour le film, car l’idée était que Chehreh devienne de plus en plus la femme défunte de Samuel.” [Lors du Festival de Cannes 2022, Zar Amir Ebrahimi reçu le prix d’interprétation féminine, pour son rôle dans Les nuits de Mashhad d’Ali Abbasi.]

Le casting des “méchants”, Luca Terracciano, Oscar Copp et Victoire Du Bois

“Je voulais trois visages “normaux” au physique passe-partout. On n’est pas face à des crânes rasés patibulaires. J’avais vu un selfie d’un jeune couple de Génération Identitaire qui prétendait appliquer la loi à la frontière franco-italienne. La femme était maquillée, avec une doudoune rose. Elle et lui avaient l’air d’un petit couple banal. J’ai tenu à ce que mes “méchants” ne fassent pas peur au premier abord. Victoire, je l’avais vue dans d’autres films et je savais qu’elle pouvait jouer ce personnage, qui est un vrai rôle de composition dans la mesure où il se situe à l’exact opposé de ses convictions. Dans la scène finale, quand elle est au-dessus de Samuel, on sent que le personnage n’a pas le contrôle de ce qui se passe. En fait, les trois jeunes sont dépassés par leur violence et la violence de Samuel qu’ils ont suscitée. Je voulais que Les Survivants soit un film de genre auquel on croit parce qu’ancré dans le réel. Et à l’inverse, je ne voulais pas le réduire à un sujet social et politique mais convoquer du cinéma, partout.”

Le tournage des Survivants dans le froid et la neigeLe tournage dans la neige et le froid

“On a tout fait dans la neige et en fonction des conditions météo réelles. Il fallait tout le temps s’adapter et respecter l’impact considérable de la logistique sur l’artistique. La scène où Denis change Zar pour la sauver de l’hypothermie… Le matin, impossible de monter les camions, la cantine, tellement le sol était gelé ! On a dû faire venir des tracteurs, on a pris quatre heures de retard. Mon découpage prévu a éclaté, j’ai dû tout repenser. Denis mobilisait les troupes en criant : “Ce qui arrive le jour J arrive le jour J !”. On a alors tourné la scène en plan-séquence, on a répété les mouvements, puis on a bossé dessus pendant cinq heures. Denis et Zar se sont donnés à fond, c’était intense. J’ai vraiment affronté cette aventure avec eux deux, beaucoup d’éléments du film leur appartiennent.”

Les influences cinématographiques de Guillaume Renusson

Essential Killing de Jerzy Skolimowski est passionnant sur la traque en situation de guerre. Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa, j’y pensais en écrivant : deux personnages que tout oppose et qui deviennent amis. C’est un film déchirant sur l’amitié, la nature. Je pourrais citer aussi Gerry de Gus Van Sant, la dernière partie de La grande illusion de Jean Renoir. Et puis Le grand silence de Sergio Corbucci, un western dans la neige. Le mutisme des Survivants renvoyait à ce film qui m’a beaucoup inspiré. Je pense aussi à The Revenant bien sûr, ou Un Lac de Philippe Grandrieux, un film difficile mais une vraie claque.”

Denis Ménochet et Guillaume Renusson, le réalisateur des Survivants

Denis Ménochet et le réalisateur Guillaume Renusson

La photographie de Pierre Maïllis-Laval

“On a commencé à tourner Les survivants en mars 2020. Le 16 mars : confinement, arrêt du tournage. Je me retrouve à dire à quarante personnes que c’est fini. On a été arrêtés dix mois. J’avais un autre chef-opérateur lors de cette première session qui n’a pas pu reprendre… Il a donc fallu repenser l’équipe image. On m’a parlé de la caméra B du directeur de la photographie Julien Poupard : Pierre Maïllis-Laval. Il vient du documentaire, c’est un gars bourré d’énergie, qui a fait un super travail. On ne voit pas les dix mois d’interruption. En janvier 2021, le premier “action” de reprise était bouleversant de solidarité. Ce film s’est fait avec une très forte envie collective.”

La musique des Survivants, signée Rob

“Je savais que la musique allait porter Les survivants et souligner son genre. Rob a vu le film sans musique et il a accepté de le faire. Notre relation de travail a été incroyable. Je trouve intéressant d’avoir de la musique électro sur les scènes de traque, c’était son idée pour moderniser le western. Mais il y a aussi de grands thèmes plus classiques, avec des cordes. La musique de film est essentielle pour moi. Mon chemin vers le cinéma est en partie passé par elle. Je suis très reconnaissant envers Rob d’avoir des thèmes de cette qualité-là. Je trouve que ça a hissé le film.”

Denis Ménochet et Zar Amir Ebrahimi dans Les survivantsLe symbole des clés de la maison

“A la fin, Chehreh a simplement disparu, pris le train avant que Samuel ne se réveille. Pas de happy end amoureux. Mais elle lui a laissé les clés de sa maison. Il y a ce photographe, Bruno Fert, qui a travaillé sur la jungle de Calais, l’intérieur des tentes et des baraquements. L’une de ces photos montrait les clés d’un Irakien. Cet homme disait en légende : “Voici les clés de chez moi, je n’ai jamais eu le courage de m’en débarrasser”. C’était très émouvant. Chehreh donne à Samuel les clés de son foyer pour lui dire de rentrer chez lui.”

Des astuces pour créer l’émotion dans Les survivants

“A un moment, au refuge, Samuel écoute un message de son frère qui lui dit que ce serait bien qu’il rentre parce que c’est dur pour sa fille. Samuel est ému. J’avais pré-enregistré un certain nombre de messages sur le téléphone, je les avais numérotés, et après avoir mis en place ce plan, j’ai dit à Denis d’écouter le message n°5 : c’était Mélanie Laurent qui lui disait “Samuel, faut que tu rentres, ta fille est triste, etc…”. Je savais que Denis et Mélanie étaient très liés depuis Inglourious Basterds. Je savais aussi que Denis aime bien travailler comme ça, à partir du réel, conservé dans la fiction. Pareil avec Zar, qui ne pourra peut-être jamais rentrer en Iran. Dans la dernière scène, au moment du passage de la frontière, Chehreh pleure. Et dans la voiture passe une des chansons iraniennes préférées de Zar, qui raconte la nostalgie d’une femme qui ne peut pas rentrer chez elle. Ça a créé des moments très forts sur le plateau.”

Crédits photos : ©Les Films Velvet – Baxter Films – Pierre Maïllis-Laval/Noé Bach