Dans ce thriller psychologique, une femme part en convalescence en Ecosse après une opération chirurgicale qui l’a menée à un questionnement existentiel et a fait ressurgir ses traumatismes d’enfance. Grâce à la nature et à la connexion aux femmes d’antan, elle va trouver la force de donner une voix à sa rage. She Will de Charlotte Colbert sort en salles ce 30 novembre.
Charlotte Colbert : Un esprit libre
Les influences de la réalisatrice vont de Nicolas Roeg à Stanley Kubrick en passant par Dario Argento. Plasticienne à la base, Charlotte Colbert fait des sculptures et des installations. Après des études au Canada, cette jeune artiste franco-britannique a commencé par le journalisme avant de se lancer dans l’écriture et la réalisation de courts-métrages. She Will, son premier long-métrage, a reçu le Prix pour la meilleure première œuvre au Festival international du film de Locarno en 2021.
Avez-vous toujours rêvé d’être réalisatrice ?
Charlotte Colbert : J’ai toujours rêvé de raconter des histoires, de faire partie d’une histoire d’une manière ou d’une autre. C’est un bon médium pour les gens confus ou qui se posent des questions. On prend un chemin en pensant qu’il va nous mener quelque part puis il engendre de nouveaux questionnements. C’est une façon de former un rapport au monde.
Quelle est la genèse de She Will ?
Le producteur Ed Clarke m’a mise en contact avec la scénariste Kitty Percy qui avait écrit le début de ce script. Il nous trouvait suffisamment folles pour nous mettre ensemble dans une pièce afin de créer quelque chose de magique. Il nous a mis dans un pot, nous a secouées et arrosées de temps en temps. On est sorties avec notre sorte de créature. On l’a ensuite mise dans le monde pour voir qui s’accroche, qui répond au matériel. Les choses prennent vie d’elles-mêmes.
Dario Argento est crédité en tant que producteur exécutif. Comment a-t-il été impliqué dans She Will ?
Dario était au Festival international du film de Locarno, l’édition de 2021. Il y recevait un Lifetime Achievement Award pour l’ensemble de sa carrière. She Will était en compétition et a remporté le Prix pour la meilleure première œuvre. Dario a vu mon film. On s’est ensuite rencontrés. Il m’a dit vouloir soutenir le film. Il nous a aidé à le distribuer. J’adore son Suspiria. La musique, l’audace des couleurs, de la mise en scène… C’est une œuvre d’art.
Pour les non anglophones, que signifie le titre She Will ?
C’est un double sens en anglais. “She will” un fois traduit, veut dire “Elle va” dans le sens du futur mais cela fait aussi référence au pouvoir féminin, à une volonté féminine. Le titre joue sur les deux sens.
La force de la nature
Comment décririez-vous She Will ?
C’est l’histoire d’une femme qui revisite un traumatisme. L’horreur semblait le genre le plus juste pour cette expérience. Le traumatisme psychologique est souvent exploré dans le drame, comme quelque chose de linéaire alors qu’il m’a toujours semblé que le traumatisme cassait la notion linéaire du temps. La douleur de quelque chose qui s’est passé s’expérimente toujours au présent et non dans le passé. Ce genre semblait approprié pour casser certaines logiques narratives et jouer un peu plus avec les éléments.
Ce qui est génial avec l’horreur, c’est le fait que personne ne lève un sourcil si un ver de terre sort du nez de quelqu’un. Cela fait partie du monde que l’on crée. Dans ce sens là, c’est créativement hyper libérant. Je vois aussi un peu She Will comme un conte de fées, avec la répétition des images et la manière de les unir et de les réunir. A chaque fois que l’on voit ces images, elles veulent dire quelque chose d’autre. J’adore les contes de fées. Ce sont des histoires codées. Un conte de fées doit être interprété, un peu comme une carte de tarot.
Dans She Will, vous montrez la solidarité féminine, la sororité, une forêt qui semble protéger les femmes et l’histoire autour de Hathbourne, joué par Malcolm McDowell, n’est pas sans rappeler la vague #MeToo. Avez-vous vous réalisé un film féministe ?
On raconte l’histoire d’une femme. Je serai curieuse de voir quelle interprétation serait faite s’il s’agissait de l’histoire d’un homme. Je suis contente si les gens prennent le film comme un message féministe. J’adore les femmes. On est tous portés par un inconscient collectif, par des histoires, les histoires de nos mères et de nos grands-mères. Tout ceci existe en nous. Et c’est fort. C’est génial quand la solidarité existe mais entre n’importe quels êtres humains.
La nature est un personnage à part entière dans She Will. Elle exerce un pouvoir sur les hommes.
Je pense, oui. Dans notre histoire, la nature a une opinion. Alice Krige, notre actrice principale qui interprète Veronica, est une vraie environnementaliste. Elle a un rapport incroyable avec la nature, elle le porte dans sa manière de bouger. Elle a une force intérieure incroyable. Pendant un tournage de nuit, on pouvait la voir faire des mouvements de taï chi afin de conjurer cette force, ce pouvoir qu’elle tenait de cet endroit, de cette forêt, de l’espace. Il y a quelque chose d’effrayant et de rassurant dans l’espace, dans la nature. On relativise tout de suite, on réalise qu’on est tout petit. On retrouve une échelle presque appropriée, un sentiment de paix ou de calme.
Une actrice qui donne tout
Sigourney Weaver aurait dû incarner Veronica.
En effet. Ed Pressman, un des producteurs, avait fait un film avec elle avant. Il lui avait envoyé le scénario. Trois jours après, elle a voulu me rencontrer. On a commencé à travailler sur le projet. Cela a galvanisé les choses mais il y a eu un problème d’emploi du temps [en l’occurrence avec le tournage d’Avatar, la voie de l’eau, ndlr]. J’ai alors été présentée à Alice qui a tellement donné au projet. Elle a donné toute son âme, tout son corps, tout son esprit. Elle a fourni de la force à tout le monde. Par exemple, elle a couru par -10°C pieds nus dans la boue, au milieu de la nuit, en chemise de nuit. C’est une actrice incroyable et une femme extraordinaire.
Et il y a avait un rapport intéressant dans le fait d’avoir Malcolm McDowell, dont le visage est tellement familier, et Alice qui, quelque part, n’a pas eu la reconnaissance qu’elle aurait dû avoir dans sa carrière. Cela fonctionnait bien pour l’histoire. Une fois le film achevé, on ne peut pas l’imaginer interprété par quelqu’un d’autre. Je suis tellement contente de cette rencontre. Alice fait désormais partie de ma vie.
Pourquoi avoir choisi Kota Eberhardt dans le rôle de Desi, l’aide-soignante de Veronica?
Elle est incroyable, hyper talentueuse. Elle fait aussi de la musique, elle écrit. Kota est, par ailleurs, obsédée par les renards. Elle dit avoir vu un fantôme pendant le tournage. Un technicien l’a vu également, dans la grande maison où on a tourné. C’était le fantôme d’un petit garçon. Il faudrait que je fasse plus de recherches pour savoir ce qu’il s’est passé dans cet endroit. Ils disent que c’est une apparition. Mais je me demande si l’espace et le temps ne nous permettent pas de voir à travers les couloirs temporels. J’adore me dire qu’on est tous là au présent en même temps, que vous petite fille êtes là en même temps que vous plus âgée et que vous communiquez en même temps. On sent instinctivement nos communications avec les autres mais on ne les voit pas forcément avec nos yeux.
Les personnages de Veronica et Desi se rapprochent dans l’histoire jusqu’à créer une relation mère-fille mais on sent que les deux actrices Alice et Kota ont aussi un peu vécu ça pendant le tournage.
C’est vrai. On a tourné les scènes où elles sont plus proches à la fin. Comme c’était un tournage rapide, avec une organisation un peu militaire, on est devenu une famille avec ses joies et ses complications. Kota a beaucoup appris et a beaucoup de respect et d’amitié pour Alice. C’était une relation vraiment belle. Alice a pris beaucoup de l’incroyable spontanéité de Kota. Et de sa grande fragilité qui est vraiment belle. Je suis contente que pendant le tournage Kota ait pu se sentir en sécurité afin d’explorer cette fragilité.
Un lieu réellement magique
Pouvez-vous nous parler de ces plans de coupe où l’on voit des scènes de tortures, de sorcière brûlée, de coups de scalpel et, plus étonnant, des limaces.
Je trouve cette scène avec les limaces tellement belle. Les limaces font l’amour par la tête, cette substance fluorescente vient de leur cerveau. C’est uncanny, c’est magnifique et attirant et répulsif en même temps. Dans cette séquence, Veronica et Desi se connectent au passé. J’aime l’idée qu’en dessous de tout cela, il existe une sorte de flaque d’inconscience où on se promène, où on se connecte. C’est ce qu’on essaye d’ouvrir avec ces plans de coupe. Un peu comme avec la musique de Clint Mansell. On voulait travailler avec un chœur, donner une voix à cette histoire, donner une voix au passé.
Où trouvez-vous l‘équilibre dans l’utilisation de ces plans de coupe, entre leur contenu et leur nombre ?
C’est une histoire de goût. Je suis sûre qu’il y en a trop pour certains et pas assez pour d’autres. J’adore les films imparfaits, qui semblent venir d’un être humain et non d’un conseil d’administration. Cela se passe au niveau instinctif, au niveau d’une expérience vécue, digérée et sortie dans le monde. Je suis probablement instinctive dans le montage. C’est comme un poème ou un conte de fées. J’adore revenir avec des images que l’on comprend de manière différente à chaque fois.
Dans le générique de fin, vous remerciez les esprits du Sussex ?
Cette région est la plus païenne d’Angleterre et c’est la dernière à s’être convertie à la chrétienté. C’est aussi à Lewes, une ville médiévale du Sussex connue pour avoir brûlé des hérétiques, que les gens organisent les plus grandes marches durant la Guy Fawkes Night [qui commémore l’échec de la destruction du Parlement par des catholiques et d’un attentat contre le roi James 1er, ndlr] pendant laquelle il y a les plus grands feux de joie où ils brûlent les effigies politiques. Du coup, il y a une sorte d’esprit rebelle et révolutionnaire là-bas. Je me dis toujours que les femmes rebelles de l’endroit ont murmuré à toutes les personnes suffisamment folles pour participer à l’aventure de She Will. Les esprits de l’endroit ont été propices au film.
Vous avez pourtant tourné le film en Ecosse.
L’histoire a toujours été basée en Ecosse. Le lieu de tournage est le dernier endroit où une femme a été accusée de sorcellerie. Il y a cette sorte d’atmosphère. Le ciel y est aussi plus grand qu’ailleurs. Je ne sais pas comment c’est possible mais là-bas le ciel est immense et la nuit est incroyable. La nature est insoumise. On s’attend à voir des gnomes et des créatures incroyables sortir des feuillages. C’est l’endroit des contes de fées. C’est le but de toutes ces histoires un peu tolkiennes. Il y a un côté magique.
La liberté de l’horreur
Que pensez-vous de cette nouvelle génération de femmes réalisatrices qui émerge dans le genre fantastique et horreur ?
Il doit y avoir une multitude de raisons. L’horreur est quelque chose que les femmes connaissent bien, qu’il s’agisse de leur vie, du rapport à leur corps, de leurs expériences. Il y a aussi plus d’ouverture par rapport à ce genre et plus de soutien. C’est un moment excitant pour le genre.
Allez-vous continuer dans ce genre pour votre projet suivant ?
J’adore le genre ! C’est merveilleux, c’est incroyable la liberté qu’il permet. On peut approcher des sujets hyper complexes, sociétaux, super intéressants mais de manière “divertissante”. On ne s’ennuie pas. C’est un médium incroyable. Il y a une résurgence de la comédie et de l’horreur car c’est presque la même chose en termes de surplus d’émotion et de la nécessité de partager, d’avoir ce moment cathartique ensemble. J’adore plein de genres différents mais c’est un super espace. Et la communauté est super encourageante.
Crédit photos : © Slug Love Films Ltd
Article paru dans L’Ecran fantastique reboot – N°21 – Novembre 2022