Les scénaristes et réalisateurs Julien Maury et Alexandre Bustillo relèvent le défi artistique et technique de faire peur avec une maison hantée sous l’eau. La complexité pour mettre en scène The Deep House aurait pu leur faire boire la tasse. Il n’en est rien. Le film sort en salles ce 30 juin.

 

Julien Maury et Alexandre Bustillo font des longs métrages qu’ils ont envie de voir. De préférence extrêmes et bien gore. A l’intérieur, Livide, Aux yeux des vivants, Leatherface, Kandisha (en attente d’une date de sortie) débordent d’hémoglobine. The Deep House n’en montre que quelques gouttes. Avec une maison hantée aquatique, le sujet ne s’y prêtait pas. Ils retrouveront leur premier amour sanglant dans leurs projets suivants.

Julien et Alexandre se sont rencontrés en 2005, par l’intermédiaire d’un ami copain. Le premier, diplômé de l’ESRA, réalise des courts métrages de genre et est fan de ce que le second écrit. Ledit second, diplômé d’une maîtrise en cinéma et audiovisuel, en est à sa première version de A l’intérieur et ronge son frein et ses ongles en attendant de trouver un réalisateur pour démarcher les producteurs avec son scénario. Le futur duo découvre qu’ils ont les mêmes goûts, qu’ils aiment les mêmes films, qu’ils partagent les mêmes ambitions de mise en scène. Leur amitié est une évidence, elle se transforme très vite en complicité. Aujourd’hui, s’ils n’en sont pas jusqu’à finir les phrases de l’autre, l’osmose est totale entre les deux cerveaux.

Julien Maury et Alexandre Bustillo

Quasiment tous vos longs métrages ont une maison comme lieu important voire comme personnage à part entière. Aves The Deep House, vous vous attaquez à une maison hantée aquatique. Vous aimez vraiment enfermer les gens.

Alexandre Bustillo : (Rires) C’est aussi une question de budget. Nous n’aurons jamais 10 ou 15 millions d’euros, nous serons toujours dans une fourchette de prix assez restreinte. Nous nous retrouvons donc très vite dans la configuration du huis clos, forcément moins cher. Mais nous ne nous faisons pas violence non plus avec Julien. Nous avons écrit des scénarios « aérés » mais nous n’avons pas réussi à les monter. C’est vrai que le motif récurrent de la maison hantée nous passionne. Il revient donc souvent sous différentes formes.

Julien Maury : La maison a un truc auquel les spectateurs peuvent s’identifier facilement – moins ici avec une maison sous l’eau. Ils peuvent se projeter dans la maison du voisin ou la maison lambda. C’est hyper fort. Réussir à faire peur avec un environnement très quotidien est assez génial.

Il existe des films de bateaux, de sous-marins, de stations de recherche ou de forage ou autre sous l’eau, hantés ou surnaturels, mais pas de maison.

A.B. : Un long métrage sur une maison hantée sous l’eau est inédit mais il y a déjà eu des scènes dans des maisons ou des villages immergés. Une de nos références premières est l’introduction de Prémonitions de Neil Jordan – une de nos œuvres préférées de Neil Jordan. Quel que soit le sujet que nous abordons, nous y revenons forcément à un moment dans la conversation soit pour sa photo complètement hallucinante de beauté soit pour son ton totalement nihiliste et malsain. Sa scène d’intro nous a toujours fascinés. Deux plongeurs se retrouvent dans un village immergé et ils visitent une maison. Cela dure cinq minutes mais c’est fascinant.

Le concept de The Deep House est un peu parti de là : nous adorons les séquences sous-marines dans les films et les histoires de maison hantée. Nous voulions combiner les deux mais sur la longueur et pas sur une scène comme aussi dans Inferno de Dario Argento, une autre de nos références. La séquence du début où une jeune fille plonge dans un sous-sol inondé dans le but de chercher des clés. C’est pour moi une des meilleures scènes de toute la filmographie d’Argento. Mais c’est cinq minutes. Notre but était de transformer ces cinq minutes en long métrage.

J.M. : Nous avions envie d’un projet de maison hantée très classique. L’originalité de The Deep House vient vraiment de son décorum, du fait que ce soit sous l’eau. Nous voulions contourner les figures du film d‘horreur classique et les amener dans un univers différent et inattendu. Et voir comment nous pouvions faire encore peur. Une porte qui grince dans une maison hantée est banale et attendue alors que sous l’eau, c’est impossible. Tout est plus lent, tout possède une inertie différente. Il faut trouver d’autres moyens de rendre le lieu effrayant.

Derrière le masque

Comment avez-vous développé le concept de The Deep House ?

A.B. : Notre producteur, Clément Miserez, trouvait génial le concept de maison hantée sous l’eau. Mais notre première approche était de faire un long métrage 100% sous l’eau, sans scène au sec, entièrement muet, avec un langage des signes de plongeurs sous-titré et où les plongeurs ont des détendeurs dans la bouche. Mais le cinéma, c’est l’art de la concession car nous ne sommes pas nos propres producteurs. Clément était partant mais à certaines conditions. Il préférait que nous présentions nos personnages au sec pendant un petit quart d’heure afin que le spectateur s’attache à eux, qu’ils puissent communiquer sous l’eau évitant ainsi que ce soit trop high concept et space pour le public « lambda ».

Nous avons revu notre copie et développé nos personnages qui, à la base, n’avaient même pas de nom. C’était l’homme et la femme, le plongeur et la plongeuse. Ben et Tina sont venus naturellement. Nous les avons imaginés, visualisés. Dans cette nouvelle configuration de scénario, ce premier quart d’heure est essentiel car les protagonistes deviennent rapidement des silhouettes « masquées ». Le plus dur était de trouver les bons acteurs car une fois masqués, ils se privent d’une part d’émotions. La chance a été de rencontrer Camille Rowe et James Jagger. Ils ont apporté de la chair et de la vie à des personnages finalement assez « communs » sur le papier.

J.M. : C’était un des premiers défis : comment faire ressentir leurs émotions alors qu’ils sont derrière des masques, avec juste leur voix et leur langage corporel. Il nous fallait des acteurs avec des regards très expressifs, pouvant faire passer beaucoup de choses par les yeux. Et qu’ils sachent donner beaucoup avec la voix sans en faire trop, en étant justes. Travailler avec Camille et James a été un soulagement car avec eux, cela fonctionne. Ils ont fait s’envoler nos doutes.

James Jagger et Camille Rowe

Camille et James ont-ils reçu un entraînement particulier pour The Deep House ?

A.B. : Ils ont été encadrés par deux plongeurs professionnels qui sont aussi leur doublure. Nous tournions presque dix heures par jour. Nous alternions entre les acteurs et les plongeurs professionnels. C’est impossible de faire plonger un comédien dix heures sous l’eau. Les gens normalement constitués sont morts après une heure de plongée.

Et vous deux ?

A.B. : Non. Contractuellement, nous n’avions pas le droit de plonger à cause des assurances. La maison était immergée à plus de six mètres de profondeur. Nous n’avions pas les diplômes de plongée requis. Nous nous sommes quand même un peu « baignés » afin d’aller voir le décor mais nous ne pouvions pas y aller à foison comme sur un plateau normal. Ce qui était très frustrant car nous sommes très proches de nos acteurs pendant les prises, nous aimons toucher à l’environnement, nous sommes très présents sur le set… Là, avant d’immerger la structure, nous passions des heures à répéter avec les acteurs au sec, à ajuster tous les éléments car nous savions qu’une fois sous l’eau, ce serait très compliqué de bouger un simple livre.

Donc, nous dirigions tout de la surface avec un retour vidéo bricolé par les assistants de génie de notre chef opérateur Jacques Ballard. Nous communiquions avec tout le monde par micro. Les acteurs avaient un retour audio dans leur casque. Nous avions un deuxième micro qui projetait un son dans toute la surface de la piscine pour les techniciens. Tout le monde entendait sous l’eau. C’était un bassin de cinéma donc sonorisé.

Imaginer une maison sous-marine

Comment avez-vous procédé concrètement pour le tournage ?

J.M. : Nous avons fait le tour des bassins de tournage dans le monde. Nous avons trouvé le bon à Vilvorde, en Belgique. Il était ouvert depuis un an. Il avait tous les atouts que nous recherchions pour The Deep House : la profondeur, toutes les infrastructures autour nécessaires à un tournage. Nous avons ensuite réfléchi à comment construire la maison en parties, étage par étage, pièce par pièce, puis comment l’immerger.

A.B. : Nous ne vidions pas ni ne remplissions la piscine à chaque fois. Nous n’avons jamais changé l’eau de tout le tournage. Il s’agit de millions de mètres cubes d’eau. Cela prend des jours à remplir. Le vider signifie prévenir la commune de Vilvorde, fermer tous les égouts de la ville pour qu’il n’y ait pas d’autres arrivées d’eau sinon cela fait exploser les canalisations.

Il y a un système de grille qui prend toute la surface du bassin, qui monte et qui descend, sur laquelle nous avons construit notre décor. Toute la décoration et la construction étaient à côté, dans un autre studio. L’équipe y construisait les structures puis elle les remontait sur la grille quand nous devions tourner. Cela prenait deux ou trois jours. Nous prenions une demie à une journée dedans au sec afin de répéter, de vérifier les chorégraphies et de bien connaître notre décor car nous ne pouvions plus y accéder une fois dans l’eau. Nous l’immergions lentement sans quoi la pression l’aurait fait exploser. Cela prenait des heures.

Une fois en place, nous tournions deux ou trois jours. Ensuite, nous le démontions et nous montions le suivant. Nous avons tourné The Deep House en 38 jours étalés sur plusieurs mois car nous avions beaucoup de days off dus aux changements et rotations de décors.

Comment avez-vous meublé et accessoirisé la maison de The Deep House car il faut une certaine cohérence dans votre milieu aquatique entre ce qui flotte et ce qui coule, entre ce qui est abîmé par l’eau et ce qui ne l’est pas…

A.B. : Le premier côté étrange, c’est que tout n’est pas pourri. La maison est encore vivante. Nous avons fait un petit court métrage que nous avons gardé en interne afin de nous entraîner sous l’eau et de tester des matières pourries ou non sous l’eau. Nous avons immergé des objets façon Double-Face dans le Joker : une moitié était normale et une moitié était abîmée par le temps. Nous voyions ce que la texture donnait sous les lampes. Le spectateur allait s’attendre à ce que tout soit pourri et proche de l’urbex [exploration urbaine, ndlr] au sec, c’est-à-dire des lieux de désolation, de pourriture… Des ruines, quoi. Nous nous disions que ce serait plus intéressant et original de garder une maison normale, ce qui ajoute un côté étrange et fantastique au lieu, ce qui montre que tout ne va pas se passer comme prévu.

Tout est vrai

Quels tests avez-vous menés concernant l’image ?

J.M. : Nous avons fait plein de tests d’opacité de l’eau avec des matières comme du lait. Pour les matières en suspension, nous avions de nombreuses possibilités avec des sables noirs ou gris, des matières végétales comme les choux de Bruxelles. Hachés finement, ils restent entre deux eaux. Ce n’est pas mal à l’image. Nous avons fait tous ces tests à l’avance, dans le bassin, en condition. Nous avons surtout déterminé à l’avance quelle visibilité nous voulions dans chaque pièce. A l’instar de Livide, la maison est un vrai personnage. Nos héros s’enfoncent dans ses profondeurs et nous voulions que chaque pièce ait une ambiance un peu différente au niveau de sa luminosité et des particules. Le côté un peu pourri et dégoutant varie selon que vous êtes plus ou moins profond dans la maison, que vous êtes au grenier ou à la cave. Rien n’était laissé au hasard.

Une scène de The Deep House montre la maison de loin avec les deux plongeurs devant.

A.B. : Ce sont les seuls plans numériquement truqués du film car nous n’avions pas les moyens financiers de construire une maison entière sous l’eau. Mais une fois que vous êtes dans la maison, tout est en dur, tout est vrai. Juste avant de tourner, Underwater est sorti. Ils ont utilisé la technique du dry for wet : ils tournent des scènes sous-marines au sec, sur des fonds verts, au ralenti, et après, ils ajoutent des textures d’eau et de particules en numérique. C’est pratique parce que tu ne te mouilles pas et que c’est rapide. Mais quand nous avons vu le résultat, c’était exactement ce que nous ne voulions pas faire.

Le métrage de William Eubank coûte entre 15 et 20 millions de dollars et The Deep House 5 millions d’euros. Je trouve que nous arrivons à être plus crédibles qu’eux car nous avons tourné véritablement sous l’eau. Dans Underwater, tu as plus l’impression qu’ils sont dans l’espace que sous l’eau.

J.M. : En termes de références, The Deep House est plus proche d’Abyss où tu sens vraiment que c’est sous l’eau. Il y a quelque chose de très organique qui fait que tu y crois et du coup, tu as peur pour les personnages. C’est hyper important que le public ait de l’empathie. C’est un de nos ressorts en tant que réalisateurs.

Le pouvoir aux femmes

Camille Rowe

Votre personnage principal est encore une héroïne, Tina.

A.B. : Nous nous sentons plus à l’aise avec des héroïnes car elles nous touchent plus. Avoir une femme ou un homme change fondamentalement la donne en tant que personnage principal.

J.M. : Quand nous traitons un personnage féminin, nous ne faisons pas de distinction avec un personnage masculin car nous voyons notre protagoniste principal par rapport à son environnement. C’est ce qui change avec une héroïne : comment vont-être les gens autour d’elle, quels vont être le regard et le comportement des hommes ? Depuis A l’intérieur, cela nous a toujours intéressés d’avoir des figures masculines assez lâches, effacées, mauvaises et finalement sans grande envergure par rapport à nos héroïnes. Nous trouvons plus intéressant de créer un personnage féminin fort, qui a quelque chose à défendre mais sans que ce soit dans le cliché inverse comme des Sarah Connor ou des Ripley. Ces dernières sont des femmes fortes qui se comportent comme des mâles.

A.B. : Avec A l’intérieur, la première idée était de confronter une femme enceinte à un homme, un tueur en série qui traquait les femmes enceintes pour manger leur placenta afin de rester jeune. Puis, nous avons changé contre une femme qui veut un bébé. C’était tout de suite beaucoup plus fort émotionnellement. Nous aimons les héroïnes mais aussi les antagonistes féminines. C’est le cas dans A l’intérieur et Livide. Dans Aux yeux des vivants, c’est un hermaphrodite. Dans Leatherface, le vrai méchant est Verna Sawyer. Kandisha est une histoire entièrement dédiée aux femmes où une figure maléfique féminine affronte trois héroïnes.

C’est galvaudé un homme méchant. La méchanceté, la violence et l’horreur sont presque dans la nature de l’homme mais quand tu voies la méchanceté chez une femme, c’est beaucoup plus perturbant, c’est qu’il y a un vrai problème. A la base, nous sommes persuadés que les femmes sont plus civilisées que les hommes. Une femme folle et méchante me fera toujours plus flipper qu’un homme fou et méchant. Proposer une antagoniste féminin sera toujours plus fort, fascinant et terrifiant qu’un bête mec. Même si nous adorons Jason.

Crédit photos : ©Apollo Films

Article Paru dans L’Ecran fantastique reboot – N°11 – Juin 2021