Près de 50 ans après la série télé, Nicolas Vanier tourne une version cinéma de Belle et Sébastien. Un enfant, un chien et des montagnes. Du sur mesure pour le réalisateur du Dernier trappeur et de Loup.

Félix Bossuet

La production de Belle et Sébastien avait dit : « Le tournage se passe en extérieurs sur un glacier : il faut prévoir un équipement adapté pour les tournages dans le froid et en altitude. Les températures peuvent descendre à -30°. » Résultat : -7°C à 1 750 m. C’était presque décevant. « Il fait trop chaud, remarque le réalisateur Nicolas Vanier. Je préfèrerais moins de degrés et moins de soleil. Il est plus facile de tourner à -20° car à 0° ou -1°, c’est très vite humide et la neige fond. » Et le décor avec.

Félix Bossuet

Le décor en question est une fausse crevasse de 40 m de long creusée dans le sol et la neige par l’équipe décoration, à 1 km de Bessans, dans la Haute Maurienne Vanoise. Au plus profond, elle fait 7 m. Les parois ont été recouvertes de géotextile puis de neige et d’eau légèrement pigmentée de bleu pour créer le « glaçage ». Un pont artificiel en bois et polystyrène couvert de neige et de glace a ensuite été construit entre les deux parois. Dans quelques jours, ce pont sera démonté et remplacé par un autre identique mais fait de blocs pour qu’il s’effondre.

La France est belle

Nicolas Vanier voulait tourner sur un vrai glacier. Pour des raisons de coûts, d’accessibilité et surtout de sécurité, les producteurs (Gaumont, Radar Films et Epithète Films) lui ont refusé ce plaisir. « Nous ne pouvons pas prendre Nicolas et lui demander de tourner en studio, souligne Clément Miserez de Radar Films. Nous savons ce qu’il aime et nous l’avons suivi. Il sait ce qu’il veut et nous savons qu’il a raison quand vous voyez les images qu’il donne à l’arrivée. Nous l’avons cependant contraint à faire la crevasse ici. » Ce qui n’a pas entamé l’enthousiasme du réalisateur : « Cette montagne en toile de fond me plaît énormément. J’ai toujours été un amoureux de la nature et je suis content pour une fois de faire un film qui montre mon pays. Plus vous voyagez, plus vous vous rendez compte que la France est belle. »

Medhi et Félix Bossuet

Approché il y a plus d’un an pour réaliser Belle et Sébastien, Nicolas Vanier a co-écrit le scénario, en conservant l’esprit de la série créée en 1965 par Cécile Aubry. « Dans cette relation entre un enfant et un chien, je retrouve quelque chose qui me ressemble. Ce film était fait pour moi. » Il a situé l’histoire pendant la Seconde Guerre mondiale pour ce qu’il avoue être une raison esthétique : « Vous avez vu les combinaisons en montagne aujourd’hui ? Je n’avais pas envie de montrer ça. Ce que j’aime, ce sont les toiles, les cuirs, les skis en bois, les chaussures en cuir… Il y a une harmonie esthétique extraordinaire. Du coup, cela a servi ma dramaturgie, même si l’histoire parle très peu de la guerre. » « C’est une bonne idée de transposer l’histoire dans les années 40 avec ce fond dramatique sur le passage de réfugiés juifs dans les montagnes, admet Medhi, fils et ayant droit de Cécile Aubry, et l’interprète du Sébastien de 1965. Nous ne sommes plus dans les années 60, nous ne pouvons plus raconter l’histoire de la même manière. »

Dans cette nouvelle version, Medhi incarne André, un forestier mordu par une bête, supposée être Belle, ce qui provoque l’organisation d’une battue contre l’animal. « C’est un vrai rôle et non un simple clin d’œil. Je suis quasiment né médiatiquement avec Sébastien, c’est dans mon ADN mais je ne ressens aucune nostalgie. J’avais une appréhension car la série a marqué plusieurs générations et parce que je ne voulais pas trahir ma maman. Mais je ne suis pas le gardien du temple et j’approuve cette idée de renouveler l’image de la série. Il faut une certaine modernité pour les jeunes d’aujourd’hui et accrocher ce nouveau public. »

Enfant et chien, même combat

Nicolas Vanier et Félix Bossuet

Le nouveau Sébastien a été choisi parmi 2 400 enfants. « J’en ai vu 200, raconte Nicolas Vanier. Je suis très vite passé à 12 après des essais. Je les ai invités dans mon camp dans le Vercors où je les ai mis en contact avec des chiens. Nous avons tourné quelques scènes et je suis facilement passé à trois enfants puis tout aussi facilement à un seul, Félix. C’était une évidence. Il est intelligent, il a le sens de l’image et surtout, il ne surjoue pas. » Félix Bossuet est un petit Parisien de 7 ans et demi. Un matheux qui aime autant aller à l’école qu’être acteur, « sauf quand je dois refaire les scènes parce que je commence alors un peu à m’ennuyer, confie le garçonnet. Avant, je pensais qu’un acteur avait des choses à dire mais pas grand-chose à faire. » D’où sa surprise quand il s’est retrouvé suspendu à une corde à 3 m du sol en train de se balancer afin d’atteindre un arbre pour une scène où il sauve un petit cabri.

Le casting de Belle a été tout aussi minutieux. Le dresseur Andrew Simpson et son équipe d’Instinct Animal for Film, qui ont déjà travaillé sur Loup, ont vu 220 Montagnes des Pyrénées en un mois pour en sélectionner trois. « Nicolas voulait le plus gros chien qui soit pour apparaître comme un monstre à côté de Sébastien, raconte Andrew Simpson. Garfield, 2 ans et 63 kg, était le plus photogénique, le plus fort et le plus courageux. C’est notre Brad Pitt. » Garfield a deux doublures : Fort, plus calme et concentré, et Fripon, qui mendie surtout des caresses. Leur dressage a duré six semaines. La dernière impliquait Félix. Le garçon était si petit à côté de Garfield que le chien a tout de suite cherché à le protéger. Sur le tournage, personne ne doit approcher Garfield en dehors des dresseurs et de Félix pour que rien n’interfère dans sa complicité avec le garçon.

Fausse tempête de vraie neige

Félix Bossuet

Les scènes vont s’enchaîner toute la journée. Belle guide Sébastien et des réfugiés juifs dans la montagne pour rejoindre la Suisse. Poursuivis par des soldats allemands, ils sont pris dans une tempête de neige et doivent traverser un pont enjambant une crevasse dans laquelle va tomber Belle. Nicolas Vanier tourne avec deux caméras dont une au bout d’une grue posée sur des rails de travelling pour trouver des angles au-dessus et au-dessous du pont sans abîmer le décor. Il ajoute une troisième caméra quand ses scènes requièrent des effets spéciaux (une avalanche a été recréée dans la montagne quelques jours plus tôt) et des cascades (la chute de Belle qu’il filmera le lendemain). L’équipe mise en scène a testé les caméras dans des réfrigérateurs pour connaître leur résistance au grand froid. Sur le plateau, tout le matériel est conservé dans des glacières afin d’éviter les chauds et froids.

Trois gros ventilateurs placés de part et d’autre de la crevasse fonctionnent à plein régime et créent un vent puissant. Une forte odeur de carburant se répand sur le plateau. Un accessoiriste jette des pelletés de neige devant les ventilateurs, la tempête s’intensifie et le froid s’installe sur le décor. L’équipe des effets spéciaux ajoute de la fumée pour cacher le soleil. Des matelas ont été placés au fond de la crevasse par sécurité. Andrew Simpson tient Garfield au bout d’une corde d’un côté du pont. Son assistante Megan Valinote est de l’autre côté et donne les ordres, en anglais, à Garfield. Ils doivent lui faire traverser le pont tout en lui faisant comprendre qu’il doit hésiter à le faire. Le plan est laborieux à obtenir : la fumée est trop ou pas assez épaisse, la tempête est trop ou pas assez forte, le chien est trop ou pas assez rapide… Après chaque prise, un accessoiriste balaye le pont pour effacer les traces de Belle.

Félix Bossuet

La même scène est ensuite tournée cette fois sans Belle mais avec Sébastien. Félix Bossuet se retrouve à son tour au bord de la crevasse, près du pont. Le cascadeur Rémi Escoffier est de l’autre côté. Chacun tient un bout de la corde. Le garçon imagine qu’il encourage Belle à traverser le pont tandis que Rémi Escoffier, qui joue Belle, tire ou relâche la corde pour figurer les hésitations de la chienne. « Je me disais tout le temps : ‘Je vais pas tomber. Je vais pas tomber’ », sourit le jeune acteur qui conclut en riant que sa scène préférée reste décidément celle, nettement plus calme, où il mange du saucisson. Tout simplement.

Article paru dans Studio Ciné Live – N°46 – Février 2013

Crédit photos : Gaumont/Radar Films/Epithète Films