Les Banshees d’Inisherin marque les retrouvailles du réalisateur Martin McDonagh et des deux acteurs Colin Farrell et Brendan Gleeson. Tous trois avaient commis Bons baisers de Bruges en 2008. Leur nouveau film est triste, sombre mais plein d’humanité. L’histoire captivante est émouvante tout en réservant de nombreuses plages d’humour noir. Les Banshees d’Inisherin sort en salles ce 28 décembre.

Brendan Gleeson et Colin Farrell jouent deux amis qui se séparent dans Les Banshees d'Inisherin

Brendan Gleeson et Colin Farrell

L’histoire

Fin 2019, Martin McDonagh achève d’écrire Les Banshees d’Inisherin. Sur une île fictive au large de la côte ouest de l’Irlande, deux amis se séparent, semant le désastre et le chaos dans leur village et leur communauté. “Pádraic (Colin Farrell) ne comprend pas pourquoi Colm (Brendan Gleeson) ne veut plus être son ami et ne l’accepte pas,” résume le scénariste et réalisateur Martin McDonagh. “On éprouve des sentiments similaires quand on se fait plaquer dans une relation amoureuse. On pense : ‘Cette personne m’a-t-elle jamais aimé(e) ? Ai-je imaginé que nous étions amoureux ?’ C’est intéressant de voir vers qui le public va pencher. Pourront-ils comprendre la ligne dure adoptée par celui qui rompt ? Ou vont-ils s’identifier au gars sympathique qui a le cœur brisé ?”

Mais Colm, le joueur de violon, a ses raisons. Il ne veut plus perdre un temps qu’il entend consacrer à son art, la musique. Pádraic subit les conséquences de cette décision. Colm est aussi plus âgé que Pádraic de 15 ou 20 ans. Il prend conscience que le temps est précieux et voit en Pádraic une perte de temps. “Faut-il se dévouer totalement à la vie d’artiste, au point d’ignorer ses amis, ses amants, sa famille ?,” s’interroge Martin McDonagh. “Le travail est-il tout pour vous ? Et qu’importe si cela fait souffrir quelqu’un au passage ? C’est un débat auquel ni moi ni le film ne répondent. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’être sombre, haineux ou d’aimer s’auto-flageller pour pratiquer n’importe quelle forme d’art, même la plus sombre. Mais le film explore cette problématique.”

En insistant pour comprendre la situation, Pádraic ne fait qu’envenimer les choses. Colm menace alors de se couper les doigts – et ainsi détruire son propre don de musicien – s’il ne lui fiche pas la paix.

Brendan Gleeson et Martin McDonagh

La fidélité de Martin McDonagh

Le scénariste et réalisateur aime travailler avec les mêmes partenaires créatifs et les retrouver sur plusieurs projets. Il voulait réunir Colin Farrell et Brendan Gleeson depuis leur tandem dans son premier long métrage, Bons baisers de Bruges. Puis Colin Farrell a joué dans son deuxième film, 7 psychopathes. Martin McDonagh a ensuite passé des années à imaginer les retrouvailles du duo dans une autre histoire. Il ne voulait pas ternir le souvenir de Bons baisers de Bruges avec un projet fait à la va-vite. “Je ne sais pas si c’était la même chose pour les garçons, mais c’était une réelle préoccupation pour moi,” confie le réalisateur. “Je ne pouvais pas les réunir et faire un film moins bon.”

Ce n’est que lorsqu’il a eu l’idée des Banshees d’Inisherin qu’il a pu les associer à nouveau. Il a écrit les personnages pour eux. Les deux comédiens étaient impatients de s’embarquer dans l’aventure. “En tant qu’acteur, on recherche une voix unique, une façon originale d’articuler les pensées, les sentiments, de créer des personnages et des mondes entiers,” note Brendan Gleeson. “C’est agréable de rencontrer un auteur capable de créer un monde qui a son propre ordonnancement et son esthétique. La voix de Martin peut être extraordinaire. Au final, il explore des territoires horribles, armé de compassion et d’empathie.”

Colin Farrell et Kerry Condon

L’équilibre entre noirceur et comédie

“Alors que de nombreux écrivains mélangent comédie et tragédie, Martin McDonagh a la capacité d’entremêler les styles à l’intérieur d’une même scène voire d’une même ligne de dialogue,” souligne le comédien Barry Keoghan. Sa tonalité peut passer de l’hilarité à la douleur, de la tristesse à l’émotion, en un clin d’œil. “La vitesse à laquelle ses scènes enchaînent les ruptures de ton m’étonne,” avoue Colin Farrell. “C’est vraiment drôle à jouer,” ajoute Kerry Condon. “On est en train de rire et tout d’un coup, Martin place une réplique qui prend complètement aux tripes. Ce sentiment – je riais et maintenant je suis complètement choquée – pousse à réfléchir plus profondément.”

Martin McDonagh est aussi très doué pour dépeindre la bienveillance et la solitude. Sa comédie peut être noire mais elle n’est jamais mal intentionnée. “Ce que je préfère dans l’écriture de Martin, c’est qu’elle est sans malice,” poursuit Colin Farrell. “Certains des personnages qu’il présente au public peuvent être incroyablement malveillants et cruels. Certains des événements peuvent aller au-delà de l’acceptable dans le macabre. Mais je ne détecte jamais de méchanceté de la part de l’écrivain.”

Colin Farrell

Un story-board indispensable

Martin McDonagh a toujours eu recours au story-board pour chacun de ses projets. Comme d’habitude, il a donc dessiné chaque plan des Banshees d’Inisherin en amont du tournage. “Quand j’écris un scénario, tout tourne autour du personnage, des dialogues et des situations,” observe-t-il. “A ce stade, il n’est pas question d’images. C’est la raison pour laquelle le story-board est une phase majeure de la narration.” Le cinéaste sait déjà exactement comment il va placer la caméra et comment il va utiliser les acteurs et son scénario afin de raconter son histoire.

Comme un western

Martin McDonagh a commencé à envisager son film comme un western. Il a visionné tous les grands classiques tels que La nuit du chasseur (1955) et s’est inspiré du travail de John Ford et de Sergio Leone. Il a repris leurs prises de vue en contre-plongée : les plans filmés à partir des pieds chers à Leone, et ceux filmés à travers les portes et les fenêtres dans les films de Ford. De plus, l’époque où se déroule Les Banshees d’Inisherin, 1923, se prêtait à la facture du western. “L’idée de filmer à travers les portes dans le style de John Ford remonte à la phase du story-board,” se souvient Martin McDonagh. “L’histoire en elle-même évoque deux tireurs solitaires qui se querellent et se brouillent au saloon local.”

Brendan Gleeson

Un retour au pays pour Martin McDonagh

Le cinéaste a parcouru l’Irlande, de Galway jusqu’à la côte ouest, afin de dénicher les lieux de tournage des Banshees d’Inisherin. Finalement, il a opté pour les îles d’Aran, un groupe de trois îles à l’embouchure de la baie de Galway : Inishmore, la plus grande, Inishmaan la deuxième par la taille, et Inisheer, la plus petite. Martin McDonagh connaissait ce territoire. Bien qu’il soit né à Londres, sa mère était de Sligo et son père de Galway. Enfant, il a passé du temps dans cette région.

“Inisherin est une île fictive, je ne voulais pas qu’elle se réfère à un endroit spécifique,” commente le réalisateur. “Je voulais qu’elle ait quelque chose de mythique. Nous avons donc exploré chacune des îles d’Aran. Inishmore a coché la plupart des cases. J’y étais allé quand j’étais gamin. Mes parents vivaient à Galway, le long de la côte, d’où l’on pouvait apercevoir les îles.”

Après Inishmore, l’équipe du film a déménagé sur l’île d’Achill, 150 km plus loin, dans le comté de Mayo. Si tout transporter sur Inishmore avait été difficile, le transfert du matériel d’une île à une autre a été un véritable casse-tête logistique. Un seul ferry faisait la navette pour transporter les véhicules et la traversée du bateau dépendait de la météo. Chaque département de production a dû se préparer, tout emballer et attendre au port pour son embarquement. L’équipe a réalisé l’opération avec une précision militaire.

Colin Farrell et Barry Keoghan

Qui sont les Banshees d’Inisherin ?

Le titre du film, Les Banshees d’Inisherin, fait référence à une figure fantomatique légendaire de la mythologie irlandaise. Les lamentations d’une banshee annoncent une mort dans les environs. “Si vous l’avez entendue jouer son air, il est déjà trop tard pour vous,” raconte Colin Farrell. Bien que cela ne soit pas dit dans le film, une femme âgée sur Inisherin, Mme McCormick jouée par Sheila Flitton, est l’incarnation physique d’une banshee. “Elle représente un chien de garde gris et sinistre sur l’île,” continue l’acteur. “Elle ne s’implique jamais physiquement dans quoi que ce soit, elle se contente d’observer ce qui se passe. Cette banshee semble avoir une connaissance étrange, presqu’irréelle, des failles de ceux qui l’entourent. Quel est leur point faible ? Comment les blesser ? Elle a une fascination pour la mort.” Dans l’histoire, Mme McCormick prophétise deux morts à venir sur Inisherin.

Crédit photos : © Searchlight Pictures / Film4 / TSG Entertainment