La productrice Katterli Frauenfelder a commencé sa collaboration avec Tim Burton sur La planète des singes (2001) en tant que première assistante réalisatrice et productrice associée. Rôles qu’elle a continué à tenir sur ses films suivants jusqu’à Dumbo où elle est passée productrice. Elle a également été coproductrice sur Yes Man (2008) de Peyton Reed et sur Il n’est jamais trop tard (2011) de Tom Hanks. Sa filmographie en tant que première assistante réalisatrice compte aussi Miss Daisy et son chauffeur (1989) de Bruce Beresford, Congo (1995) de Frank Marshall ou encore That Thing You Do ! (1996) de Tom Hanks. Le producteur Justin Springer est actuellement en contrat avec Disney via sa société SecretMachine. Avant Dumbo, il a notamment été coproducteur sur Tron : L’héritage (2010) et producteur exécutif sur Oblivion (2013), des films réalisés par Joseph Kosinski. Tous deux accompagnent Tim Burton dans sa version live de Dumbo. Le film sort en salles ce 27 mars.
Vous avez créé un Dumbo très réaliste visuellement.
Justin Springer : Oui. C’était incroyablement important car il est au centre du récit, il est le cœur émotionnel de l’histoire. Vous devez donc croire qu’il est réel et qu’il existe dans cette réalité. Il doit aussi être séduisant avec ses oreilles géantes qui lui permettent de voler et posséder un jeu d’acteur qui vous fasse vous sentir proche de lui. Et c’est un défi encore plus grand quand il doit coexister avec des personnages humains.
Katterli Frauenfelder : Et il fallait apporter de la magie. Cet équilibre entre le photoréalisme et la magie de Tim Burton était difficile à obtenir.
D’un point de vue technique, voyez-vous Dumbo comme une avancée technologique?
JS : Oui car Dumbo interagit constamment avec des humains. Dans Le livre de la jungle [la version live de 2016], les animaux coexistaient seulement entre eux. Vous repoussez encore les limites quand vous prenez un animal, que vous le plongez en 1919 et que vous le faites interagir avec des humains. Il y a aussi la délicatesse du personnage, cette émotion, née de la main d’un animateur, qui passe dans ses yeux et qui vous touche. Dumbo peut être heureux ou triste et c’est crédible. C’est certainement un des défis qui a attiré Tim. Et cela a rassuré tout le monde de savoir que pour lui ce n’était pas qu’un exercice technologique mais qu’il s’agissait aussi de trouver la délicatesse qui donnerait toute sa crédibilité au personnage.
KF : Notre directeur de la photographie Ben Davis, notre superviseurs des effets visuels Richard Stammers, notre chef décorateur Rick Heinrichs et notre chef costumière Colleen Atwood ont également apporté leur univers et leur savoir-faire et ont repoussé les limites, et plus encore parce que c’est un film en live action et non de l’animation.
Personne n’a jamais vu un éléphant voler. Comment avez-vous créé cela ?
KF : Il s’agissait de trouver la bonne façon de le faire voler et de l’intégrer aux mouvements réels d’un éléphant pour que l’ensemble soit aussi crédible que possible. Chaque plan est supervisé par Tim. Il veut que Dumbo apparaisse réel, et pas seulement quand il vole. Il veut un résultat naturel mais aussi magique.
JS : Mais il faut aussi respecter les lois de la physique. En regardant le film, cela vous paraîtra naturel qu’un éléphant vole. Dumbo doit se battre pour rester en l’air parce qu’il n’est qu’un débutant en la matière. Mais on n’a pas besoin de comprendre tous les détails de sa technique de vol tant qu’on a l’impression qu’elle fonctionne réellement.
Comment Tim Burton est-il arrivé sur ce projet ?
JS : De façon très naturelle. Je travaille avec Disney depuis quelques années et j’avais déjà collaboré avec le scénariste Ehren Kruger. Ce dernier est venu me voir, disant que Dumbo était son Disney préféré et que c’était le premier film qu’il avait montré à ses enfants. Il m’a demandé s’il y avait une possibilité de nouveau film avec ce sujet car il pensait pouvoir ré-imaginer cette histoire. Nous avons commencé à en discuter et avons trouvé un concept général que nous avons proposé au studio qui s’est montré plus qu’enthousiaste. Tim était profondément passionné par le sujet, par ce personnage et par cette histoire qu’il connaissait, qu’il aimait et qu’il voulait explorer. Il est donc arrivé très tôt sur le projet pour travailler sur le scénario et c’est ce qui a réellement lancé le film. Il a commencé par juste influencer le script et la narration avant de s’impliquer totalement dans Dumbo. Le processus de développement du film a été linéaire et organique. J’ai l’impression que les gens se sont greffés sur le projet de façon très naturelle car ils étaient passionnés par l’histoire originale et qu’ils désiraient réellement apporter une nouvelle vision.
KF : Tim a commencé chez Disney comme animateur il y a très longtemps. Tout vient de son amour pour Disney, pour l’animation, pour ces histoires d’outsiders. Ce qu’est Dumbo.
JS : Cette notion d’outsider fait que tout le monde comprend pourquoi Tim est le réalisateur parfait pour cette histoire. Il est aussi à l’aise avec l’animation, il sait comment donner vie à des personnages animés de façon à les rendre réels, crédibles émotionnellement et auxquels les gens peuvent s’identifier. Ce sont ses fondamentaux en tant que réalisateur. Quand vous regardez Dumbo, il n’est pas seulement question d’obtenir un rendu visuel impeccable, car les effets visuels savent faire cela aujourd’hui, mais de l’animer de façon élégante et crédible qui vous permette de vous sentir proche de lui. Et je pense que Tim a prouvé qu’il savait faire ça.
Comment avez-vous créé l’univers du cirque?
KF : Nous avons créé notre propre troupe avec notamment l’aide du propriétaire d’un cirque hongrois. Notre troupe est composée d’artistes internationaux comme des contorsionnistes de Mongolie, des clowns du Brésil, des jongleurs d’Afrique…
JS : Il a fallu réunir tous ces artistes qui exercent partout dans le monde et créer une famille qui sonne juste avec notre histoire mais aussi qui soit exacte et reflète ce à quoi pouvait ressembler un cirque à cette époque. Tous les numéros de cirque ont été inventés pour ce film et ils sont exécutés sous la direction de Tim par des artistes dont c’est le métier. A part Eva Green qui joue une trapéziste et qui s’est beaucoup entraînée pour ce rôle. Et c’est extraordinaire de la voir faire réellement son numéro. Cela participe au spectacle. Tous ces éléments donnent au film une impression de plus d’action et d’une plus grande envergure mais aussi un sentiment d’authenticité.
KF : Tous les numéros de cirque ont été chorégraphiés spécialement pour Dumbo. Mais comme le dit Tim, il n’a pas fait un film sur le cirque mais un film sur Dumbo, sur sa relation avec sa mère, sur la famille qui l’entoure au sein de cette famille du cirque.
JS : Tim raconte cette histoire à travers sa vision. Je crois que Dumbo est un personnage qui le touche particulièrement, que ce soit par son design ou son histoire. C’est plus cela qui importe pour lui que d’appliquer son art à l’univers du cirque.
En tant que producteurs, Eva Green exécutant ses propres numéros de trapéziste, cela ne vous a pas fait peur ?
KF : Elle s’est entraînée très tôt, à la fois physiquement et techniquement. Et tout a été fait avec une sécurité maximale. Mais cela donne de la réalité au film et c’était aussi le désir d’Eva. Quand vous faites un film, vous n’obtenez pas toujours ce sentiment de réalité de façon naturelle à moins d’avoir des acteurs qui s’impliquent et c’est ce qu’Eva voulait et elle l’a vraiment très bien fait.
Pourquoi avoir choisi Colin Farrell pour le personnage de Holt Farrier [ancienne star du cirque, vétéran de la Première Guerre mondiale et père de deux enfants qui va s’occuper de Dumbo] ?
JS : Son personnage tient un rôle important et il nous fallait un acteur qui puisse ancrer l’histoire dans la réalité. Et c’est simplement un très bon comédien. Il est convaincant, il possède beaucoup de pathos et sait projeter une grande empathie. Colin a adoré l’histoire et était très enthousiaste à l’idée de travailler avec Tim et cela se ressent dans le film.
KF : Leur collaboration a été merveilleuse sur le plateau. Leur façon de se rapprocher et de travailler ensemble était belle à voir.
Le dessin animé original était classé G [tous publics] aux Etats-Unis. Ce sera aussi le cas de ce film ?
JS : Je ne sais pas car la commission de classification n’a pas encore statué mais ce sera probablement PG [accompagnement parental souhaitable] car ce n’est plus de l’animation mais du live action. Mais il n’y a rien dans ce film qui soit excessivement sombre ou excessivement intense qui entraînerait une classification plus dure. Ici, vous avez de l’action et de l’aventure avec des intrigues qui concernent des enfants et Dumbo mais aussi des adultes. Ce film possède divers aspects qui lui donnent un vrai équilibre et qui lui permettront d’attirer un large public à différents niveaux en fonction de ce qui intéresse les spectateurs, de leur âge, du fait qu’ils soient des fans de Tim Burton…
Quel est le secret de Tim Burton pour tirer le meilleur d’enfants acteurs ?
KF : Je pense que cela vient du fait qu’il crée un environnement sécurisant mais aussi que les enfants comprennent l’histoire et qu’elle est racontée comme si elle était narrée par quelqu’un de leur âge. Ils sont aussi dirigés par Tim. L’environnement, la liberté et les conseils qui leur sont donnés font qu’ils se sentent en sécurité sur le plateau et à l’aise avec leur personnage. Ils peuvent ainsi jouer de façon crédible et pleine d’émotion.
JS : C’était impressionnant de voir Tim en action, de voir l’environnement qu’il sait créer et la patience, le soin et la gentillesse qu’il prodige à ces enfants afin de les aider à se sentir à l’aise. Les deux enfants ont aussi beaucoup de scènes avec Colin et Colin ressemble à Tim sur ce point-là. Ils sont tous les deux pères de jeunes enfants et sur le plateau vous sentiez qu’ils s’entendaient bien, qu’ils faisaient tout pour qu’ils soient à l’aise sur le plateau, qu’ils savaient leur parler. Les enfants se sentaient bien au moment de tourner leurs scènes mais aussi entre les scènes. Cette atmosphère leur a permis d’essayer des choses dans leur jeu mais aussi de prendre plaisir dans leur travail.
KF : Et nous avions toute une caisse de jouets pour qu’ils puissent jouer face à quelque chose et non face à du vent quand ils devaient interagir avec Dumbo sur le plateau. On n’avait pas d’éléphant sous la main (rires) mais cela leur suffisait.
Même si c’est un film de Tim Burton, y a-t-il des incontournables à avoir dans ce genre de films ?
JS : Non. Evidemment, il existe des éléments de l’histoire originale, comme des thèmes et des idées, qui sont organiques à la marque et à Disney. Disney sait faire ce genre de films depuis plus de 75 ans. C’est aussi un processus naturel qui commence avec le scénario et une vision qu’il faut savoir transmettre à travers un art, mais rien n’est figé. Nous sommes partis du film original où Dumbo vole pour la première fois et nous avons voulu voir comment tout le monde réagit à ça. Nous reprenons les thèmes, les idées et les émotions du premier long métrage mais nous sommes vraiment dans une nouvelle histoire. Cela n’avait pas de sens de raconter à nouveau cette histoire en live action.
Katterli, vous avez travaillé sur Big Fish où il y avait déjà un cirque. L’atmosphère était-elle la même que sur Dumbo ?
KF : L’atmosphère est toujours la même sur les films de Tim, chaleureuse et pleine d’amour. Il sait créer un environnement sécurisant pour ses acteurs. Il y a quelques similitudes entre les films comme Danny DeVito qui joue dans les deux. Mais sur Big Fish, nous avions utilisé de vrais animaux de cirque, il n’y avait pas d’animation. Sur Dumbo, tous les animaux, sauf les chevaux, sont en images de synthèse. Mais l’histoire est très différente même si, dans un sens, c’était aussi l’histoire d’une famille. C’est un thème que l’on retrouve dans tous les films de Tim.
Article paru dans L’Ecran fantastique – Hors-série n°30 – Vintage Tim Burton – Janvier 2019
Crédit photos : © Disney
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