Guillermo del Toro porte à l’écran et en stop motion Pinocchio, le conte écrit par Carlo Collodi en 1881. S’il rend hommage au texte d’origine, il s’attache surtout à la dimension sombre du livre et à ses questionnements existentiels. Le film, qu’il a co-réalisé avec Mark Gustafson, est disponible sur Netflix à partir de ce 9 décembre.

L’idée

La passion de Guillermo del Toro pour l’animation et le stop-motion en particulier est née dès l’enfance. A l’époque, il vivait à Guadalajara, au Mexique. A l’âge de 8 ans, il tournait ses propres petits films amateur en stop-motion en se servant de ses jouets et d’une caméra Super 8 appartenant à son père. Adolescent, il donnait des cours d’animation en pâte à modeler. “J’enseignais le stop-motion et un des élèves était bien meilleur que moi en animation,” se souvient Guillermo del Toro. “Je lui ai proposé qu’on fasse équipe. Il piloterait l’animation et j’imaginerais le récit. C’est à cette époque que, pour la première fois, j’ai eu l’idée de faire Pinocchio en stop-motion. Mais le projet évoquait davantage l’histoire de Frankenstein. En effet, il s’agissait d’un personnage totalement vierge qui se retrouvait projeté dans le monde pour découvrir son identité, sa place, et le bien-fondé de son existence.”

Pinocchio dessiné par Gris Grimly

La vision de Gris Grimly

Plusieurs décennies plus tard, Guillermo del Toro a enfin eu l’occasion de concrétiser son rêve. Lisa Henson, PDG de la Jim Henson Company, lui a proposé de s’atteler à une nouvelle adaptation du célèbre conte. La Henson Company avait acquis les droits d’une édition de 2002 du Pinocchio de Carlo Collodi, illustrée par l’artiste Gris Grimly. “On était totalement emballés par le graphisme de Gris et sa vision de l’histoire,” souligne Lisa Henson. “C’était un formidable point de départ d’une relecture de Pinocchio qui correspondait beaucoup plus à la noirceur et à l’étrangeté du livre de Collodi. On a immédiatement contacté Guillermo.”

Guillermo Del Toro a été frappé par la représentation que proposait Gris Grimly de la marionnette, avec un long nez pointu semblable à un bec, des bras et jambes filiformes. “En quelques coups de crayon, Gris a réussi à cerner la nature profonde du personnage comme je ne l’avais jamais vu auparavant,” témoigne le réalisateur. “Il dégageait l’énergie enfantine et l’innocence d’une marionnette turbulente, mais qui a bon cœur.”

Guillermo del Toro

La vision de Guillermo del Toro

Le cinéaste bouscule l’un des postulats majeurs de l’œuvre de Carlo Collodi. “Dans mon esprit, il était clair que Pinocchio ne devait pas se transformer en petit garçon en chair et en os, ni que cela soit un but ultime qu’il cherche à atteindre, sans y parvenir. Quand j’étais gamin, j’avais le sentiment que le message de Pinocchio, c’était que pour être aimé, il fallait nécessairement changer, ce qui me semblait inacceptable. C’est ce qu’on a vu dans toutes les adaptations précédentes. Si on peut ajouter deux ou trois nuances qui vont totalement à l’inverse des adaptations antérieures, il ne s’agit pas d’en adopter le contre-pied gratuitement, mais de prendre conscience que l’œuvre peut avoir une résonance différente si on en bouscule la tonalité.”

L’écriture de Pinocchio

Guillermo Del Toro a collaboré à l’écriture avec le scénariste Patrick McHale. “Je savais qu’il me fallait quelqu’un qui ait l’habitude de l’animation car on y aborde l’écriture et les dialogues très différemment,” confie le réalisateur. Il était également important pour lui de situer l’histoire à l’époque de Mussolini et de la montée du fascisme. “Je tenais à évoquer un monde où chacun se comporte comme une marionnette et obéit au doigt et à l’œil, et où la seule créature rebelle est une marionnette,” indique-t-il.

Patrick McHale, dont l’arrière-grand-père était menuisier et italien, s’est documenté sur le contexte historique dans lequel s’inscrit le conte de Carlo Collodi afin d’enrichir le scénario. “Le récit est raconté d’un point de vue très enfantin,” témoigne le scénariste. “La perception de l’univers de Pinocchio est donc déformée. Ce qui peut sembler absurde et arbitraire pour un lecteur adulte peut permettre à un enfant de mieux cerner les absurdités de l’existence. Et en particulier celles des dépositaires de l’autorité et de la bureaucratie de l’administration. Le livre est très italien dans les émotions fortes qu’il convoque, dans les alternances entre allégresse et détresse. Il y a beaucoup de disputes dans le roman, mais c’est toujours drôle et bon enfant.”

Le thème principal de Pinocchio

Guillermo del Toro et Patrick McHale ont sélectionné certains personnages et situations dans le texte de Carlo Collodi et quelques éléments dramaturgiques écrits par le cinéaste antérieurement. Ensemble, ils ont mis l’accent sur la complexité des rapports père-fils entre Pinocchio et Geppetto, nés de la relation entre le vieux menuisier et son fils Carlo.

“Dans notre adaptation, Pinocchio n’est pas tel que Geppetto voudrait qu’il soit,” explique Patrick McHale. “Les parents se projettent souvent une idée de leurs enfants. Quand ces derniers ne correspondent pas à cette projection, ils cherchent à faire en sorte qu’ils s’y conforment. La lecture de Guillermo du conte va trouver un écho chez beaucoup de parents désemparés par le comportement de leurs enfants. Et chez les enfants agacés par leurs parents intrusifs. Le film permettra peut-être à chacun de comprendre le point de vue de l’autre.” “Ce qui me plaisait bien, c’était d’avoir un homme désespéré qui supplie le ciel de lui ramener son fils. Et il est incapable de le reconnaître quand celui-ci revient,” complète Guillermo del Toro.

Les marionnettes

Guillermo del Toro a sollicité l’un de ses plus proches collaborateurs, le chef décorateur Guy Davis, afin d’imaginer des marionnettes qui se démarquent des stéréotypes associés à l’animation. Soucieux d’éviter un style trop cartoonesque, Guy Davis a donné aux créatures une allure artisanale et européenne. En revanche, il a fait en sorte que les personnages humains ne soient pas trop réalistes. Il n’a pas hésité à allonger leur corps ou à exagérer certaines expressions de visage. “C’est une histoire qui parle de marionnettes, jouée par des marionnettes,” reprend le réalisateur. “On n’a pas besoin de se dire que ces sont des êtres réalistes, il faut seulement croire à leurs personnages. Nous voulions que l’allure et la personnalité soient réunies en une seule créature. Nous souhaitons que le style contribue à raconter l’histoire.

Le studio anglais Mackinnon & Saunders a fabriqué les marionnettes. Guillermo del Toro souhaitait que les marionnettes soient munies de visages mécaniques. Leur peau de silicone dissimule un dispositif complexe de pales et de roues dentées que les animateurs manœuvrent pour faire naître des expressions. Le cinéaste a également eu recours au prototypage rapide, également connu sous le nom d’animation de substitution. Cette technique ait appel à une imprimante 3D capable de créer plusieurs facettes d’une marionnette. Chaque facette correspond à une expression du personnage. Si un personnage est censé avoir l’air content, triste, perplexe ou agacé dans telle ou telle scène, l’animateur choisit la facette correspondante à l’émotion recherchée.

Pinocchio

Georgina Hayns, responsable de la fabrication des personnages, et le sculpteur marionnettes Toby Froud ont conçu un Pinocchio qui devait mesurer entre 15 et 18 cm de haut. C’était la plus petite taille possible pour que les animateurs puissent tout de même manœuvrer la marionnette manuellement. A partir de là, les personnages adultes comme Geppetto devaient mesurer de 30 à 38 cm de haut pour que l’échelle d’ensemble du film soit cohérente.

En transposant les illustrations de Gris Grimly pour les besoins du film, Guy Davis a commencé par modifier la forme de la tête de Pinocchio afin de la rendre moins ronde. Il a également bousculé les proportions des bras, des jambes et du torse de la marionnette. Il a ainsi rallongé ses jambes et transformé l’allure de son corps pour qu’il évoque davantage la forme d’une larme. L’artiste l’a enfin rendu asymétrique parce que Geppetto le sculpte quand il est ivre. Il commence par les oreilles et les cheveux où il s’y prend avec le plus grand soin, avant de l’achever très rapidement.

Crédit photos : ©Netflix