Après quatre ans de doutes et d’attentes, Guillermo Del Toro a enfin pu livrer les deuxièmes aventures de son personnage fétiche, Hellboy. Le réalisateur mexicain a dû séduire un nouveau studio, s’habituer au paprikacsirke hongrois et courir contre la montre hollywoodienne pour faire enfin revivre son monstre rouge fou de télé, amateur de bonbons et adorateur de chats.
Hellboy II : les légions d’or maudites a failli ne jamais montrer ses bobines dans les salles obscures. Suite aux résultats financiers mitigés du premier opus. A sa sortie aux Etats-Unis, le 30 mars 2004, Hellboy I, qui a coûté 66 millions de dollars, n’en rapporte même pas 60 millions au box-office. Et quand il sort en Europe en août et septembre 2004, il est déjà disponible en dvd zone 1 depuis fin juillet, et accessoirement en version piratée. A la fin de sa carrière en salles, il n’aura engrangé « que » 100 millions de dollars de recettes dans le monde. Décevant vu le succès rencontré jusqu’à présent avec les comics. Une suite est néanmoins aussitôt annoncée avec une histoire développée par Guillermo Del Toro et Mike Mignola, le créateur de Hellboy, pour une sortie prévue courant 2006. Toujours sous la houlette de Revolution Studios, une structure créée en 2000 en partenariat avec Sony Pictures. Sauf que ce partenariat de cinq ans ne sera pas renouvelé par Sony, entraînant un cruel manque à gagner pour Revolution Studios et une impossibilité de poursuivre leurs projets. En janvier 2006, les studios annoncent qu’ils ne lanceront plus aucune nouvelle production. Ils fermeront définitivement en octobre 2007. Hellboy II est remisé sur une étagère mais cela n’empêche pas Guillermo Del Toro de peaufiner un scénario.
Le réalisateur mexicain et le dessinateur américain ont d’abord pensé adapter l’histoire d’Almost Colossus de Mike Mignola parce qu’ils adorent le personnage de Roger l’Homonculus. Arrivés dans une impasse, ils ont ensuite travaillé sur un script où Hellboy affronte un prince qui veut réveiller les quatre titans des quatre coins de la Terre : l’air, l’eau, le feu et la terre. Mais comme cela manque un peu de magie, ils dévient vers les elfes et les fées. A l’époque, Guillermo Del Toro travaillait déjà sur son scénario du Labyrinthe de Pan et Mike Mignola sur les suites de ses comics, des histoires liées aux fées, au folklore, aux elfes. L’inspiration ne manquait donc pas.
La valse des studios
Le scénario circule à Hollywood, en même temps que les droits de la franchise ciné de Hellboy. Universal Pictures achète le tout pendant l’été 2006. Juste retour des choses ou ironie du sort, Guillermo Del Toro avait approché Universal en tout premier lieu pour Hellboy I. Le réalisateur espérait voir Hellboy entrer dans le panthéon des monstres mythiques d’Universal tel que Frankenstein et Dracula. Mais confronté à un refus, il s’était finalement tourné vers Sony et Revolutions Studios. « Quand les gens d’Universal ont lu le scénario de Hellboy II : les légions d’or maudites et appris le budget [estimé à ce moment-là à 72 millions de dollars, ndlr], cela les a intéressés, raconte Guillermo Del Toro. Avec Hellboy I, ils avaient déjà vu à l’écran ce que nous pouvions faire avec 66 millions de dollars. » Le démon écarlate peut donc rallumer son cigare. La préproduction commence en octobre 2006. « Que ce soit avec Hellboy I ou Hellboy II, continue le réalisateur, c’est toujours au moment où vous vous dites que cela n’arrivera pas, qu’il vaut mieux passer à un autre projet que tout se débloque. » Juste avant Hellboy II, Peter Jackson avait approché Guillermo Del Toro pour qu’il réalise Halo. Je suis une légende et Harry Potter et le prince de sang mêlé étaient également des projets envisagés par le réalisateur mexicain. Mais Hellboy II l’a toujours emporté.
En mars 2007, Guillermo Del Toro et son équipe s’installent à Budapest, en Hongrie. Le tournage doit débuter le 8 juin dans ce pays choisi pour des raisons financières. Hellboy I a été tourné à Prague, en République tchèque, mais cette fois, la Hongrie a offert un meilleur deal. Et des studios flambants neuf. La production de Hellboy II essuie littéralement les plâtres des tout nouveaux studios Korda où les couloirs sentent encore la peinture fraîche. « En réalité, la plupart des films américains sont tournés à l’étranger, remarque Guillermo Del Toro, qui aujourd’hui fait même de la pub pour les studios hongrois sur leur site officiel. Un bon pourcentage de films à gros budgets s’expatrie pour rester dans les limites de leur budget. Et comme nous essayons de faire que Hellboy II apparaisse avoir coûté le double… C’est le syndrome du gros. Si vous avez quatre beignets, vous les voulez tous… et le verre de lait. Quand vous avez un budget, vous vous demandez comment faire plus grand. Nous n’avons pas beaucoup d’argent ni beaucoup de temps alors c’est deux fois plus stressant. Je crois que tout le monde a vieilli de dix ans. » Pour gagner du temps, Guillermo Del Toro monte son film en même temps qu’il le tourne d’où des journées longues et harassantes. « Mais d’un point de vue créatif, ce film est très libérateur. Il est plus libre que le premier dans le sens où nous n’avons plus à établir l’univers de Hellboy. Nous avons la possibilité de plus nous éclater, ce qui n’est pourtant pas le cas. Mais en théorie, nous devrions plus nous éclater. » (Rires)
Un bestiaire inédit
L’éclate est surtout venue dans la conception de son nouveau bestiaire. Il n’y avait que sept monstres dans Hellboy I. Il y en a 32 dans Hellboy II. Guillermo Del Toro a demandé à des designers de créatures d’inventer des bestioles qu’ils n’ont encore jamais osé créer de peur de les voir refuser pour leur originalité ou leur démence. « Je ne voulais pas qu’elles ressemblent à des créatures de films ni qu’elles empruntent au design celtique, précise Guillermo Del Toro. Je ne voulais pas de créatures fantastiques au style anglo-saxon, façon Brian Froud, Arthur Rackham ou Le Seigneur des anneaux, ce style qui a toujours déterminé qu’un troll doit être comme ceci ou qu’un nain doit être comme cela. Mes créatures et leur culture devaient se libérer de cela. Je voulais que certaines d’entre elles ressemblent à une gravure médiévale que vous trouvez dans une peinture rare. Je voulais une culture aux influences orientales, venant du Japon, des marchés arabes ou de l’architecture musulmane » Chaque designer avait la responsabilité de son personnage, comme en animation, du concept à la création physique. 90% d’entre elles sont en effet des animatroniques cachant des acteurs et des animateurs-marionnettistes. Seules les créatures trop grandes, comme l’Elemental, ou trop petites, comme les Tooth fairies, ont été créées en images de synthèse. « C’est extrêmement rare de faire un film comme cela aujourd’hui, observe Guillermo Del Toro. Mais je trouve que le film possède une valeur artistique, une certaine texture et une touche humaine que vous n’obtenez pas avec les images de synthèse. Je pense qu’il est important de préserver des effets physiques pour les créatures. » Même si cela implique des comédiens aveugles à cause de lentilles de contact colorées ou sourds à cause de masques trop épais, et ne parvenant pas à rester dans leurs marques ou se cognant contre les caméras. Comme pour ces acteurs interprétant les bestioles du marché troll, construit grandeur nature dans les grottes de Tarnok, toujours en Hongrie, une ancienne carrière de calcaire parfumée au moisi.
Le tournage s’est achevé le 22 novembre 2007, au Royaume-Uni, avec des prises de vues aériennes de verts pâturages d’Irlande du Nord. La date de sortie du film aux Etats-Unis, initialement prévue le 1er août, a été avancée au 11 juillet, ajoutant un peu plus de pression sur les épaules de Guillermo Del Toro. Une date qui a été des plus calculées par Universal mais qui paraît aujourd’hui loin d’être judicieuse au vu des chiffres du box-office outre-Atlantique. Hellboy II est sorti, coincé entre deux autres films de superhéros : Hancock avec Will Smith et The Dark Knight, le chevalier noir, la suite de Batman avec Christian Bale. Le résultat a une fois de plus été sans appel. Avec ses 75 millions de dollars, Hellboy II n’a jamais inquiété Hancock (226 millions de dollars) et s’est littéralement fait laminé avec l’arrivée de The Dark Knight (489 millions de dollars). Mais cela n’empêche pas Guillermo Del Toro d’évoquer déjà un troisième opus. Il n’a d’ailleurs jamais caché que son rêve était de réaliser une trilogie avec Hellboy. « J’ai fait le premier épisode avec une vraie fin, dans l’hypothèse qu’il n’y aurait pas de second, remarque le réalisateur. J’ai fait de même avec le second épisode. J’ai évidemment planté quelques graines pour un troisième, mais s’il n’y a pas de troisième, ce second épisode se suffit à lui-même, il n’a pas de cliffhanger. Pour le troisième film, la trame est toute trouvée. Hellboy sera encore face à un choix : est-il en effet le messie de l’Apocalypse comme sa destinée le suppose ? » Guillermo Del Toro estime qu’il peut faire cet Hellboy III pour 80 millions de dollars. Des amateurs ?
Article paru dans Ciné Live – N°127 – Octobre 2008
Crédit photos : © Universal Pictures
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