Clovis Cornillac réalise pour le cinéma Couleurs de l’incendie, le roman de Pierre Lemaitre qui en signe le scénario, l’adaptation et les dialogues. Le film brosse le portrait de nombreux personnages plongés dans une France des années 1920-30 où règnent la cupidité et la corruption et dans une Europe où monte le totalitarisme qui ne tardera pas à l’embraser. En voici les protagonistes, vus par Clovis Cornillac. Couleurs de l’incendie sort en salles ce 9 novembre. [SPOILERS]
L’histoire de Couleurs de l’incendie
France 1927, après la mort de Marcel Péricourt, Madeleine (Léa Drucker), fille du défunt, est l’unique héritière de l’immense empire financier familial. Seule et sans aucune compétence dans le domaine des affaires, elle n’a de choix que de se fier à son instinct ou faire confiance à des conseillers peu scrupuleux, comme son oncle Charles Péricourt (Olivier Gourmet) ou le chargé de pouvoir de la famille, Gustave Joubert (Benoît Poelvoorde), qu’elle a éconduit. Dans cette société principalement dominée par la gent masculine, elle pense cependant pouvoir compter sur sa dame de compagnie Léonce (Alice Isaaz), son chauffeur M. Dupré (Clovis Cornillac) et la nurse polonaise Vladi (Jana Bittnerova) qu’elle vient d’engager pour l’aider à s’occuper de Paul (Octave Bossuet), son fils handicapé.
Madeleine Péricourt (Léa Drucker)
“Elle a du caractère et on voit bien qu’elle comprend que quelque chose ne va pas, et qu’on la balade,” explique Clovis Cornillac, réalisateur de Couleurs de l’incendie. “Certes, elle hérite de l’empire de son père, mais elle n’a pas les clés parce qu’à l’époque, en tant que femme, elle n’était pas dans la confidence, même si elle n’entend pas se laisser faire. Il y a dans son parcours une dimension initiatique qui fait évidemment penser au Comte de Monte-Cristo ! Madeleine passe de l’injustice à la vengeance et pourtant, je pense qu’elle n’a jamais été aussi heureuse qu’à partir du moment où elle se prend en main, même si cela parait paradoxal. Ce qui lui arrive est terrible, mais elle serait clairement passée à côté de sa vie si elle était restée à la tête de la banque. Cette émancipation obligatoire la révèle à elle-même. C’est un personnage magnifique, extrêmement excitant à composer, qui repose sur de petites choses subtiles.”
Gustave Joubert (Benoît Poelvoorde), le fondé de pouvoir des Péricourt
“C’était un très bon banquier, mais il était le larbin du père de Madeleine et il savait que lorsque celui-ci disparaîtrait, ce serait son heure d’épouser Madeleine. Sauf qu’il reçoit une claque magistrale ! Je répétais à Benoît ‘n’oublie pas le dépit amoureux’ car cette gifle est fondatrice de sa démarche, même si Madeleine a raison de lui donner une claque, d’autant qu’elle n’est pas amoureuse de lui. Parfois, le chaos se justifie. Je comprends en quoi le dépit amoureux peut rendre violent. Car la décision de Gustave s’est échafaudée sur plusieurs années. Au moment où elle lui donne cette claque, son monde s’écroule et c’est une humiliation absolue. Puis, quand il la regarde au moment où elle n’a plus rien, c’est une manière de lui rendre sa gifle. Il attendait cet instant comme une vengeance, mais avec un regard amoureux au coin de l’œil. Au fond, il me fait penser à un diable amoureux.”
Charles Péricourt (Olivier Gourmet), l’oncle de Madeleine
“C’est presque un personnage comique. Car ce type est une truffe ! Comme dans la plupart des familles, il peut se permettre de dire des choses épouvantables parce qu’il est bête. Il s’exprime comme un abruti, mais il évolue dans la sphère du pouvoir. C’est un imbécile qui peut faire beaucoup de mal mais qui n’est pas méchant. Il n’est pas mu par la malveillance. On l’imagine, parmi les députés, être celui qui a toujours l’information en dernier. C’est un affairiste de la politique aux petits pieds. On éprouve une certaine tendresse pour lui – la tendresse due aux imbéciles.”
Léonce Picard (Alice Isaaz), la dame de compagnie de Madeleine
“Léonce, le personnage d’Alice, est très beau. Elle incarne la problématique des gens d’en bas, et c’est ce que j’adore dans l’écriture et les thématiques de Pierre Lemaitre. On comprend que Léonce s’est débrouillée avec ce qu’elle avait – sa beauté et son intelligence – et qu’elle a une sincère affection pour Madeleine, comme Madeleine a de l’affection pour elle. Certes, elle vole, mais à une hauteur de ce qui lui est dû. Elle ne cherche pas à faire du mal à Madeleine ou à Paul. A partir du moment où elle est découverte par Gustave, elle sait qu’elle risque la prison et elle met à profit ce qui lui arrive. Elle fait des choix de survie à chaque fois. Et quand elle accepte de travailler pour Madeleine, elle n’a sans doute pas le choix, mais on voit bien qu’elle est plus heureuse ainsi que si elle restait entre les murs de l’horrible château de son mari.”
M. Dupré (Clovis Cornillac), le chauffeur des Péricourt
“C’est ce qu’il y avait de beau et de romanesque dans l’esprit communiste de l’époque. Dupré fait partie des petites gens – de ces gens qui sont forts, qui ont des valeurs, qui font leur boulot, mais qui n’en pensent pas moins tout en restant à leur place et en faisant preuve de discrétion. Il est observateur, il voit comment les gens se comportent, mais il n’en fait pas un commerce. Par la suite, quand il n’est plus au service d’une grande maison et qu’il devient chauffeur de taxi, il ne sait pas où se situe Madeleine. C’est en cela que Couleurs de l’incendie parle à demi-mot de lutte des classes. Dupré n’est pas dupe. Il sait parfaitement pourquoi Madeleine vient le chercher, lui, et non quelqu’un des beaux quartiers. Finalement, ils travaillent ensemble et ce qui me plaît dans leur collaboration, c’est qu’il n’y a pas de mépris. Il reste fidèle à ses valeurs parce qu’il a vu ce qu’on a fait subir à Madeleine. Il n’accepterait pas ce boulot s’il n’en avait pas été témoin. C’est la noblesse de ces petites gens – ils ne font pas partie des héros, mais ils ont quelque chose d’héroïque.”
Paul Péricourt (Octave Bossuet – Paul à 10 ans – et Nils Othenin-Girard – Paul à 15 ans), le fils de Madeleine
“On se dit que c’est un enfant abîmé, capable d’un geste ultime, d’une violence extraordinaire, mais sa survie le place à part. Il y a quelque chose de magique dans la relation qu’il noue avec la diva. Ces deux êtres – l’un qui est à la fin de sa vie, l’autre au début – se retrouvent sur le territoire magique de la compréhension de l’art. Car cet enfant a l’oreille capable de comprendre ce que chante cette femme. Ils sont tous deux habités par la grâce. Ce n’est pas facile pour un grand artiste d’être regardé ou écouté. A quel endroit a-t-il ou a-t-elle envie d’être entendu.e ou regardé.e ? Quand une rencontre magique entre l’observateur et le créateur se passe, c’est sublime. J’adore cette thématique à l’intérieur de notre histoire qui affirme que ce territoire existe. La diva n’a pas de pitié pour cet enfant. Elle prend conscience qu’il l’entend, qu’il la comprend, qu’il l’apprécie à l’endroit où elle produit son art. C’est comme un territoire des dieux.”
Solange Gallinato (Fanny Ardant), la diva
“Dans le roman Couleurs de l’incendie, elle a quelque chose d’un peu excentrique, qui fait penser à la Castafiore. Mais je ne voulais pas raconter l’excentricité au sens où on l’entend en général. Comment représenter une diva ? Ce n’est pas seulement quelqu’un de capricieux. Une diva est quelqu’un d’iconique, mais pour une bonne raison. Il fallait qu’elle soit elle-même en admiration devant un phénomène qui la dépasse. Dans l’écoute de cet enfant, elle saisit le miracle qu’elle réussit à produire. La diva est aux antipodes de Dupré qui, comme je le disais, incarne la lutte sociale, comme une forme d’utopie et d’engagement. Étant donné que le personnage est très positif, je préférais que ses convictions se ressentent plutôt qu’elles ne soient exprimées ouvertement. À l’inverse, ce que produit le personnage de Fanny Ardant – son œuvre ultime –, c’est ce message frontal face au mal absolu via un coup de poing artistique et l’œuvre de Verdi. Dans le livre, elle chante ce que son amoureux lui a écrit, mais je voulais un acte plus abrupt. Elle entonne le Chœur des esclaves Hébreux, a cappella, alors qu’elle devait chanter Wagner. Son statut d’étrangère lui donne cette audace folle d’avoir ce geste courageux et puissant. D’ailleurs, la musique, de manière générale, est sans doute le vecteur artistique le plus direct et frontal de tous les arts car il fait appel à quelque chose de vibrant et d’immédiat. C’est un message radical qui n’est pas de l’ordre du cérébral, mais du sensoriel. Ce n’est pas un échange intellectuel, mais quelque chose qu’on reçoit et qui est indiscutable.”
Crédit photos : © Gaumont – La Company – France 2 Cinéma – UMEDIA
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