Le scénariste et producteur Howard Overman nous a donné la série Misfits (2009, BAFTA de la meilleure série) avec ses ados aux étranges superpouvoirs. Avant, il avait notamment écrit quelques épisodes de Merlin (2008) et depuis, il a commis Atlantis (2013), Crazyhead (2016) et les très déjantés Dirk Gently (2010) et Future Man (2017). Sa marque de fabrique est de mélanger un genre avec le drame humain et de saupoudrer le tout d’un humour décapant. Avec La guerre des mondes, il livre une version très libre et très moderne du roman d’H.G. Wells.

Un signal émis de l’espace. Des objets non identifiés s’écrasent sur Terre. La planète dépeuplée à part pour quelques survivants. Des créatures débarquent pour achever le travail d’extermination de l’humanité. Qui sont-elles ? Pourquoi nous détruisent-elles ? Cette nouvelle adaptation de La guerre des mondes d’H.G.Wells n’a de commun avec le roman que son titre et ses thèmes de colonisation, de guerre ou de notre statut d’humain. La série s’attache, en effet, plus aux petites histoires de ces rescapés qu’à explorer le genre de la science-fiction mais distille néanmoins ici et là des indices sur le mystère qui se cache derrière ces aliens. Elle fait aussi écho aux peurs contemporaines : changement climatique, terrorisme, conflit, épidémie… Elle interroge surtout sur la condition humaine et sur notre humanité : que ferait-on en cas de crise planétaire ? Penserait-on d’abord à soi ? A ses proches ? Ou à son prochain ? Cette version 2019 de La guerre des mondes en surprendra plus d’un.

La diffusion de l’étonnante revisite de La guerre des mondes par Howard Overman commence ce 28 octobre sur Canal+.

Léa Drucket et Adel Bencherif

Après la magie de Merlin, les superpouvoirs de Misfits ou encore les démons de Crazyhead, il était temps pour vous de vous attaquer aux aliens ?

Howard Overman

Oui ! Cela faisait un moment que j’avais cette histoire d’invasion extraterrestre dans la tête. J’avais à l’esprit cette citation de Stephen Hawking : « Si les extraterrestres viennent nous rendre visite, je crois que la situation sera sûrement la même que lorsque Christophe Colomb a débarqué en Amérique. Les choses n’ont pas vraiment bien tourné pour les Amérindiens. » Puis La guerre des mondes est tombé dans le domaine public. Je pouvais donc en utiliser le titre qui est fabuleux. J’ai toujours voulu adapter cette histoire mais d’une façon totalement différente et inattendue. Distincte de la version de Spielberg ou de celle de la BBC qu’il y a en ce moment. Une sorte de nouvelle Guerre des mondes qui surprendrait les gens, une série intime sur des personnages plutôt que sur des rangées de tanks bombardant des vaisseaux spatiaux. Une version humaine en quelque sorte, avec de petites histoires qui fusionneraient petit à petit dans un plus grand récit. Je désirais écrire sur des hommes et des femmes ordinaires en tant de crise – cela pourrait d’ailleurs s’appliquer à autre chose qu’une invasion alien – et donner un sentiment de réalité. Si c’est réussi, cela parle aux spectateurs à un niveau différent. Ils ne font pas que regarder les personnages mais ils commencent alors à ressentir de l’empathie pour eux et à réfléchir à ce qui les touche et aux décisions qu’ils prennent.

Comment choisissez-vous ces différentes petites histoires ?

J’ai en tête une histoire A et une histoire B et j’ai le sentiment que Ia A est la bonne, parce qu’elle s’accorde mieux jusqu’à un certain point à ce que je veux dire. Souvent je les trouve en écrivant. Je peux commencer avec un point de départ et aller dans une direction mais au fur et à mesure de l’écriture, je vais finalement dans une autre. Quelques fois, je change d’avis. Je trouve les histoires plus que je ne les choisis, sans toujours savoir exactement où je vais avec chaque personnage. Pour certains, je sais précisément ce qui va arriver mais je me laisse surprendre aussi. D’un coup, je réalise que le personnage ne ferait pas cela mais plutôt ceci. Il y a plein de possibilités. Ici, je voulais notamment parler d’une mère ou d’un père piégé.e avec ses deux enfants et explorer ce que cette personne ferait en passant d’une existence ordinaire où elle élève et prend soin de ses enfants à un monde où elle doit les garder en vie. J’ai toujours été passionné par cette idée de placer une personne normale dans une situation soudainement anormale et intense afin de voir ses réactions et ce qu’elle fait. Par exemple, pourriez-vous tuer quelqu’un ? Moi, je ne sais pas. C’est intéressant, non ? Que feriez-vous si cela arrivait maintenant ? Je viens juste de vous rencontrer, donc est-ce que je choisirais de vous sauver vous plutôt que moi ? Je suis intéressé par ce genre de dynamique appliquée à des gens normaux et non à des soldats professionnels qui tueraient tout le monde.

Elizabeth McGovern et Gabriel Byrne

Vous avez mis moins d’humour que d’habitude.

Parce que c’est la fin du monde. (Rires) J’ai déjà fait des comédies dans le passé et c’est important d’essayer des choses différentes. Il y a quand même un peu d’humour, mais ce n’est pas l’histoire que je voulais raconter cette fois. Je souhaitais aussi me mettre au défi de faire quelque chose de différent plutôt que de me répéter. Cela m’aurait ennuyé et aurait ennuyé les autres, comme si j’avais déjà utilisé toutes mes meilleures blagues. Et puis, l’histoire est plus sérieuse et plus effrayante même si je ne veux pas qu’elle soit lugubre et qu’elle déprime les spectateurs. Ou peut-être est-ce le cas ?

Non, on sent qu’il y a toujours de l’espoir.

J’ai essayé d’avoir des moments plus légers. Peut-être que j’en mettrai plus dans la saison 2 parce que je pense qu’une fois le choc initial passé, on tend à en plaisanter. A partir de quand retrouve-t-on son humour ?

Les adaptations de La guerre des mondes ont toujours reflété les anxiétés de leur époque. Quelles sont les tensions que vous vouliez explorer ?

Natasha Little, Ty Tennant et Daisy Edgar-Jones

Je vis en Angleterre, un pays désormais divisé par cette idée de la différence dans ce monde post-Brexit. On est constamment menés par cette idée qu’il y a les autres. Avant, cette notion était dirigée contre les immigrés mais aujourd’hui, j’ai l’impression que le pays s’est retourné contre lui-même et que vous appartenez à l’un des deux camps. Cela revient un peu à ce que dit Stephen Hawking, à cette idée que, tôt ou tard, on voit les différences et on devient soupçonneux. C’est une attitude très tribale. L’Angleterre a su rester, en quelque sorte, indemne des guerres et, à cause de ce problème, elle se retrouve divisée en deux camps opposés. J’étais intéressé par cette idée de différence qui devient de plus en plus apparente à mesure du récit jusqu’à nous faire réaliser que nous ne sommes pas si différents des aliens, que nous faisons parfois les mêmes choix. C’est si facile de blâmer l’autre, de penser que l’autre est la source de tous les problèmes alors qu’en fait, nous sommes responsables de ce qui nous arrive. Nos actions ont des conséquences. On ne peut y échapper, elles reviennent nous hanter. C’est le cœur de cette histoire.

Quelles recherches avez-vous fait pour toute la partie scientifique ?

Stéphane Caillard et Guillaume Gouix

Quelqu’un s’en est chargé pour moi parce que c’est très ennuyeux, que je ne suis pas un scientifique et que je ne veux pas passer des heures à essayer de comprendre. Mais c’est important pour moi que tout ait un sens. Si vous êtes un scientifique, vous trouverez la série cohérente et aurez le sentiment que c’est réel. Il y a bien sûr des moments où je triche et où j’altère la vérité, mais dans l’ensemble, tout a été vérifié par des professionnels. Je veux que même si vous ne comprenez pas tout, vous ayez le sentiment que c’est authentique afin de ne pas tout à coup vous sentir éjecter de ce monde réel. J’ai donc quelqu’un qui m’aide car je ne suis pas assez intelligent pour tout comprendre. (Sourire)

Les aliens suppriment tous nos moyens de communication. Qu’est-ce que cela implique pour votre écriture ?

C’est un soulagement. (Rires) Parce que pour un auteur, les téléphones mobiles et les réseaux sociaux nous embêtent. A chaque fois qu’un personnage n’a pas de signal ou ne peut pas appeler à l’aide, on doit trouver une raison alambiquée pour expliquer pourquoi. Ici, ce choix permet aussi de supprimer tout ce qui pourrait nous rassurer. On habite dans un monde très confortable où on n’a pas à s’inquiéter de notre nourriture ou autre. Retirez ce confort et vous commencez alors à voir ce qui est réellement important pour vous. J’aime également l’idée de voir les gens s’asseoir face à face et recommencer à communiquer les uns avec les autres, être ensemble et que le monde extérieur les empêche d’échapper à ces moments. Je suppose que quelque part, je suis un peu nostalgique. Et puis, votre téléphone ne vous sauvera pas. Dans un monde privé de technologie, vous n’avez pas d’autre solution que de vous impliquer et de faire des choix. C’est à vous de vous bouger car il n’y a personne à appeler pour vous aider.

Stephen Campbell Moore

Vous êtes-vous fixé des limites dans ce que vous alliez montrer à l’écran ? Je pense notamment au corps d’un enfant qui vient d’être tué par les aliens.

On était limité par le fait que l’on voulait donner ce sentiment de réel. Je sais que c’est une image dure mais c’est la guerre et des choses horribles arrivent. Cependant, on n’a jamais voulu que ce soit gratuit. On aurait pu être aussi horrible qu’on le voulait mais il aurait fallu que cela fasse réel. Je ne souhaitais pas que l’on devienne violent juste pour le plaisir d’être violent. C’était aussi important afin de montrer que les aliens ne font pas de différence entre un enfant et un adulte, entre un blanc et un noir. Ils nous tuent parce qu’ils veulent exterminer les humains. Cela indique aussi qu’aucun personnage n’est à l’abri dans la série. Ensuite, il y a cette réplique d’un personnage qui dit que cela a du sens pour les aliens. C’est vers cette idée que l’on se dirige : si les aliens agissent comme cela, c’est que cela a du sens pour eux. Et au final, cela aura aussi du sens pour les personnages et pour les spectateurs.

Aaron Heffernan et Bayo Gbadamosi

A-t-on toutes les réponses à la fin de la saison 1 ?

Non, sinon je ne sais pas ce que j’écrirais dans les saisons 2 et 3. (Sourire) Je révèle peu à peu ce qui a amené nos personnages à déclencher cette réaction en chaîne. J’espère que ce sera satisfaisant.

Cette série ne contiendra que trois saisons ?

Je ne sais pas. Dans ma tête, il y a trois saisons. J’ai déjà l’histoire générale et les personnages dont le rôle est instrumental. Et j’ai quelques idées pour les autres mais je ne sais pas exactement comment cela finit pour eux. Allez savoir qui va mourir ? (Rires)

Crédit photos : © Urban Myth Films/Canal+

Article paru dans L’Ecran fantastique – N°413 – Novembre 2019