Babylon est le côté obscur de Chantons sous la pluie. Dans son nouveau film, Damien Chazelle raconte le Hollywood des années 1920, théâtre des excès les plus fous, très loin de l’imagerie romanesque habituelle, dans une ère de décadence et de dépravation sans limites qui portait bien son surnom d’Années folles. Il retrace l’ascension et la chute de différents protagonistes alors que le cinéma vit sa révolution en passant du muet au parlant. Certains d’entre eux sont basés sur des célébrités du 7è art. Babylon sort en salles ce 18 janvier. [SPOILERS]

Babylon : les années 1920 ne s’appellent pas les Années folles pour rien

Jack Conrad (Brad Pitt) a-t-il réellement existé ?

Brad Pitt incarne Jack Conrad dans Babylon de Damien Chazelle

Brad Pitt

Non. Le personnage interprété par Brad Pitt, une star du cinéma muet au sommet de son art, s’inspire fortement de John Gilbert. Ce dernier était considéré comme “le plus grand amant” du cinéma des années 20, après Rudolph Valentino. Il n’a cependant pas survécu à l’arrivée des films sonores. Sa prestation guindée et sa voix soi-disant aiguë dans His Glorious Night (1929) ont provoqué l’hilarité du public. Tout s’est dégradé à partir de là. Sa célébrité s’est évaporée en quelques années.

John Gilbert a affirmé à l’époque que sa carrière avait périclité non pas à cause de sa voix mais parce qu’il avait une voix. Il n’hésitait pas à évoquer dans la presse ses conflits avec Louis B. Mayer, le directeur de la MGM, sur des questions créatives, sociales et financières. Selon la rumeur, le patron du studio voulait se débarrasser de l’acteur. Il aurait demandé à un technicien d’altérer sa voix dans His Glorious Night et la rendre plus efféminée. Il aurait aussi fait en sorte que le comédien ne soit associé qu’à des scénarios médiocres mis en scène par des réalisateurs peu talentueux.

Le réalisateur de Babylon Damien Chazelle estime que John Gilbert avait développé une image d’idole romantique dans le langage du cinéma muet. Dès qu’il a ouvert la bouche, il a rompu le charme. Son style, son look, ses manières suaves et courtoises ne fonctionnaient plus au début des années 30 avec l’arrivée d’acteurs plus rudes à tout point de vue, comme Clark Gable.

En outre, la vie privée du comédien était de plus en plus controversée alors que la rigueur morale grandissait dans l’industrie cinématographique. Il s’est marié quatre fois en douze ans (il changeait la décoration dans sa maison à chaque nouveau mariage), tout en étant régulièrement lié à d’autres actrices de premier plan comme Greta Garbo (leur romance a inspiré The Artist de Michel Hazanavicius) et Marlene Dietrich.

A l’expiration de son contrat avec la MGM en 1933, sa carrière était au point mort. Ses dernières années ont été marquées par une consommation excessive d’alcool. Il est mort d’une crise cardiaque en 1936, à l’âge de 38 ans.

De qui s’inspire le personnage de Nellie LaRoy (Margot Robbie) ?

Margot Robbie interprète Nellie LaRoy dans Babylon

Margot Robbie

D’une myriade de stars du cinéma muet qui n’ont été que des étoiles filantes du 7è art mais surtout de Clara Bow. “Clara Bow a probablement eu la pire enfance dont j’ai entendu parler,” avoue Margot Robbie, l’interprète de Nellie LaRoy dans Babylon, faisant référence aux traumatismes et abus sexuels dont elle a été victime. “Ses parents n’ont jamais demandé d’acte de naissance pour elle. Ils avaient déjà perdu deux enfants et étaient certains qu’elle ne dépasserait jamais son bas-âge. Lorsque j’ai lu cela, le personnage de Nellie a commencé à prendre tout son sens. Clara avait toujours eu l’impression que chaque jour passé sur cette planète lui était compté. Elle se donnait à fond en conséquence.” La comédienne avait la réputation d’être une machine à émotions et pouvait pleurer sur commande. “Tout ce que j’ai à faire est de penser à chez moi,” expliquait-elle.

Clara Bow était la reine des Années folles à l’écran. Elle a fait son entrée dans l’industrie du spectacle à l’âge de 16 ans après avoir remporté un concours de mannequinat. En quelques années, elle est arrivée au premier plan dans certains des films les plus emblématiques de l’époque. Elle est devenue une megastar avec Le coup de foudre (1927). Le titre original étant It (en référence au sex appeal), Clara Bow est une devenue la “It Girl”. Cette expression s’est ensuite appliquée à toutes les actrices qui possédait du sex appeal. Elle menait un style de vie extravagant qui incarnait tout ce qui faisait les Années folles. Sa légende comporte de nombres histoires salaces – vraies et fausses – comme celle de sa coucherie avec toute une équipe de football américain.

Lors de son premier long métrage parlant, Les endiablées (1929), Clara Bow aurait endommagé le micro lorsqu’elle a crié “Hello, everybody !” dès sa première prise. Ce tournage a également sombré dans le chaos, l’actrice devenant de plus en plus nerveuse et agitée par les contraintes que le son lui imposait.

Sa célébrité a décliné dans les années 30. Son accent de Brooklyn passait mal dans les films sonores. L’Amérique vivait aussi une époque où la culture devenait beaucoup plus puritaine et axée sur la morale. Ce qui était séduisant dans le monde glamour des années 1920 s’avérait désormais très peu attrayant pendant la Grande Dépression. Ses tentatives de changer son image en actrice plus sérieuse ont échoué. Plutôt que d’attendre que la machinerie hollywoodienne la rejette, elle est partie vivre dès 1933 dans un ranch avec son mari, l’acteur Rex Bell. Elle a fini sa vie en souffrant de maladies physiques et mentales qui reflétaient celles de sa mère. Elle est morte en 1965, à l’âge de 60 ans.

Qui se cache derrière le personnage de Manny Torres (Diego Calva) ?

Diego Calva joue Manny Torres dans Babylon

Diego Calva

Plusieurs personnes réelles ont permis de créer ce jeune rêveur qui essaie de percer dans le monde du cinéma.

“L’une d’entre elles était Rene Cardona, un immigrant cubain dans le Hollywood des années 20,” révèle Damien Chazelle. “Il a gravi les échelons pour devenir le plus jeune directeur de studio de la ville. Il a ensuite joué un rôle important dans l’âge d’or du cinéma mexicain.” A son arrivée à Los Angeles, Rene Cardona s’est lié d’amitié avec Rudolph Valentino. Le jeune homme a commencé par faire de la figuration dans plusieurs films. En 1929, il a produit, écrit, réalisé et joué dans le premier film en langue espagnole tourné à Hollywood, Sombras habaneras. Il a occupé différents postes dans l’industrie cinématographique dont conseiller technique et premier assistant réalisateur. A partir de 1932, il a continué sa carrière au Mexique et est devenu une star. Il a réalisé près de 150 longs métrages et joué dans près de 130 films.

Parmi les autres inspirations du réalisateur de Babylon pour créer Manny, on trouve également Enrique Juan Vallejo. Cet immigrant mexicain est devenu un directeur de la photographie renommé. Il avait commencé sur les courts métrages de Charlie Chaplin en 1914. Il a également réalisé un film, Mitad y mitad (1921), et créé sa société de production avec l’acteur et réalisateur Donald Crisp.

Enfin, il y a Joselito et Roberto Rodríguez. Les deux frères ont participé à la révolution du cinéma parlant en développant un système d’enregistrement sonore. Manny, comme Joselito Rodríguez, est expert en électronique.

Comment est né le trompettiste virtuose Sidney Palmer (Jovan Adepo) ?

Jovan Adepo

Des récits de vrais musiciens de jazz noirs engagés pour jouer dans les fêtes d’Hollywood. “Il y a eu une courte fenêtre de tir pour les interprètes noirs à l’apparition du film sonore,” explique le réalisateur de Babylon. “Entre 1929 et 1931 environ, il existe un tas de films, aussi bien des courts que des longs métrages musicaux, avec des personnalités comme Duke Ellington, Louis Armstrong, Ethel Waters, Bessie Smith. Ils jouent des rôles d’acteurs à l’écran et interprètent leur musique.”

“Vous avez également des musiciens de Los Angeles comme Curtis Mosby, Les Hite, Sonny Clay et d’autres qui apparaissent dans des films avec leurs groupes,” continue Damien Chazelle. Tout cela a été une source d’inspiration pour Sidney Palmer. Je voulais que Sidney fasse l’expérience de ce passage du statut de musicien en marge de l’industrie cinématographique à celui de la star hollywoodienne.”

D’où vient la chroniqueuse mondaine Elinor St. John (Jean Smart) ?

Jean Smart

De plusieurs plumes. Afin de construire le personnage de cette chroniqueuse à potins la plus puissante d’Hollywood, Damien Chazelle s’est inspiré “de cette catégorie d’écrivains et de chroniqueurs qui pouvaient se targuer de leur pouvoir. Ils étaient capables de découvrir des étoiles montantes ou de démolir celles dont la carrière déclinait.”

Le réalisateur de Babylon cite ainsi l’écrivaine britannique Elinor Glyn (qui a popularisé le concept de la “It Girl”), la journaliste américaine Adela Rogers St.Johns (“la plus grande reporter du monde”, célèbre pour ses interviews de stars dans les années 20 et 30), et la chroniqueuse et scénariste américaine Louella Parsons (“la reine des potins d’Hollywood”). Damien Chazelle ajoute qu’il s’est aussi basé sur le personnage de critique acerbe d’Addison DeWitt (interprété par George Sanders) dans Eve de Joseph L. Mankiewicz.

Qui a inspiré l’artiste Lady Fay Zhu (Li Jun Li) ?

Li Jun Li

Anna May Wong, la première star de cinéma américaine d’origine asiatique. Elle s’est fait remarquer pour son interprétation dans Fleur de lotus (1922), une adaptation de Madame Butterfly. Jugée comme exotique tout au long de sa carrière, elle s’est cependant vu refuser des rôles après l’arrivée du conservatisme moral. Ce dernier a balayé Hollywood dès la fin des années 20 et interdisait le moindre baiser interracial. Cette situation a relégué l’actrice à des seconds rôles et des personnages de méchantes.

Damien Chazelle admet avoir combiné Anna May Wong et Marlene Dietrich afin de créer Lady Fay Zhu. Il concède également que la relation entre Fay et Nellie dans Babylon est basée sur les rumeurs du couple lesbien formé par Anna May Wong et Marlene Dietrich.

Sur qui est basée la réalisatrice Ruth Adler (Olivia Hamilton) ?

Alexandre Chen, P.J. Byrne et Olivia Hamilton

Des réalisatrices des années 20. Principalement Dorothy Arzner mais aussi Lois Weber et Dorothy Davenport. De nombreuses femmes ont réalisé, produit et monté des films à l’époque du cinéma muet.

Dorothy Arzner a choisi la mise en scène parce que c’est le réalisateur qui dit aux autres ce qu’ils doivent faire. Elle a commencé à Hollywood par taper des scénarios à la machine. Sa carrière a cependant vraiment commencé en devenant monteuse. Elle a monté une cinquantaine de films, sans être créditée. Sur l’un d’eux, Arènes sanglantes (1922), elle a aussi réalisé des plans de coupe. Son premier long métrage en tant que réalisatrice, Frivolités, date cependant de 1927. Près d’une vingtaine d’autres suivront. Beaucoup mettent en scène des héroïnes compétentes et autonomes incarnées par des stars comme Joan Crawford, Katherine Hepburn ou Lucille Ball. Dorothy Arzner restait discrète sur sa vie privée. Toutefois, ses costumes ajustés, ses cravates d’homme et ses cheveux courts ne cachaient pas son identité lesbienne évidente. Cela  lui valait d’être acceptée par les réalisateurs mâles.

Qui était Irving Thalberg (Max Minghella) ?

Max Minghella

Le seul personnage réel de Babylon. Irving Thalberg a aidé à construire et à perfectionner le système des studios à l’apogée du muet et dans les premières années du cinéma parlant. Après avoir fait ses armes chez Universal Pictures, le jeune homme a été engagé par la société de Louis B. Mayer qui allait devenir la MGM. A 24 ans, il était co-propriétaire du studio et vice-président chargé de la production. Surnommé “l’enfant prodige”, il est à l’origine de la réputation et de la puissance de la MGM. Il savait produire des films de qualité, ainsi qu’à identifier et cultiver les talents (comme John Gilbert).

Irving Thalberg est mort d’une pneumonie en 1936, à l’âge de 37 ans. Chaque année depuis 1938, l’Académie des Oscar remet le Irving G. Thalberg Memorial Award “aux producteurs créatifs, dont l’ensemble des œuvres reflète une qualité élevée et constante de la production cinématographique”.

Crédit photos : © Paramount Pictures