Dès qu’il commence à parler de lui, Laurent Lafitte botte en touche. Il préfère d’ailleurs les personnages qui ne lui ressemblent pas, pour ne rien dévoiler. A l’image de Léon, dans Tristesse Club, qui est tout son contraire, dépourvu d’élégance et de charme. Surtout de charme.

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Léon est un ex-champion de tennis, aujourd’hui roi de la lose.

Laurent Lafitte : Exactement. (Rires) J’ai pris le parti d’en faire un ancien sportif qui commence à s’empâter. J’ai d’ailleurs un peu grossi pour le rôle. Je voulais faire un Henri Leconte mais qui n’a jamais gagné. (Rires) C’était mon inspiration, d’où le côté un peu eighties. Dans le scénario, il avait déjà sa Porsche des années 80 et j’ai voulu renforcer ça avec le look : les cheveux plaqués, les vêtements. Je voulais qu’on voie physiquement ce que ça fait de ne pas être devenu ce pour quoi il était destiné.

Le réalisateur Vincent Mariette dit que c’est un « connard sympa ». Vous confirmez ?

Je ne le trouve pas connard. (Il gratte sa barbe poivre et sel entretenue avec soin pour Boomerang qu’il tourne actuellement.) Je le trouve vraiment enfoncé dans la lose. (Il pouffe.) C’est un type qui fout tout en l’air parce que beaucoup de choses n’ont pas fonctionné comme il aurait voulu. Il y a quelque chose d’assez volontaire et d’autodestructeur dans sa manière de vivre et de se rattacher au passé. Il est aussi face à son frère qui a réussi mais qui n’est pas heureux pour autant. Ce sont deux échecs. Il y a l’échec de la win et l’échec de la lose. Quand on n’a pas réglé certains problèmes, l’aptitude à être heureux… Non, on ne va pas parler de bonheur… L’aptitude à être équilibré est compliquée. Qu’on connaisse le succès ou l’échec, il y a toujours des choses à régler.

Tristesse_Club_2Si vous deviez rencontrer Léon, que lui diriez-vous ?

(Il réfléchit.) Fais un petit régime et change de look. Arrête les chemises des vendeurs de chez Darty. (Il rit puis réfléchit. J’en profite pour regarder discrètement ce qu’il porte : ses éternelles chaussettes rouges, un pantalon bleu foncé et un pull vert bouteille.) Je lui dirai de prendre soin de lui. Oui, voilà. De ne pas se foutre en l’air. Il n’est pas suicidaire mais on sent qu’il ne se respecte pas beaucoup. C’est difficile de se respecter sans être arrogant, c’est un équilibre qu’on met des années à atteindre. Il faut être suffisamment sûr de soi pour avancer mais pas assez pour se remettre en doute. Enfin, bon… (Il rit mais on sent une légère gêne comme s’il en avait trop dit.) Il faudrait parler de tout ça mais autour d’une bière. (Il est un peu plus de 11h. Il ajoute de l’eau chaude dans son café court.)

Vous aimez improviser sur un plateau. Une fois la scène finie, vous allez vous voir au combo ?

Non ! Jamais ! (Il s’adoucit.) Je ne sais toujours pas si j’ai tort ou raison. Parfois, j’ai l’impression que c’est par lâcheté et en même temps, si j’y vais et que ce que je vois n’est pas du tout ce que j’ai eu envie de faire, je vais être désespéré quant à tout ce que j’aurais fait les semaines précédentes. (Rires)

Et une fois le film fini ?

C’est horrible. Je n’aime vraiment pas me voir à l’écran. Et plus les rôles sont importants et moins j’aime ça.

Pourquoi ? C’est la peur d’être déçu ?

Non… (Il réfléchit.) Il y a déjà une crainte d’acteur par rapport au film. Est-ce que je vais bien voir le film que j’ai lu ? Et puis une crainte purement personnelle, qu’on a tous : on n’aime pas voir des films de vacances, on n’aime pas se voir en mouvement, on ne reconnaît pas sa voix. Mais aujourd’hui, je suis moins détruit…

laurent-lafitte-les-beaux-joursLe mot est fort…

Oui. Ca ne me fout plus en l’air. Je ne sors plus d’une projection en me disant : « Je vais arrêter et faire autre chose. » Je me suis raisonné. Mais ce n’est vraiment pas une partie de plaisir.

L’un de vos personnages vous ressemble-t-il le plus ?

(Il réfléchit.) Non pas vraiment. Pas encore. Celui que je fais en ce moment, dans Boomerang, un petit peu et ça m’agace un peu. (Il sourit.)

Pourquoi ?

Parce que… Il est assez… Mais là je vais commencer à parler de moi (rires) et ça n’a aucun intérêt. (Rires)

Vous n’êtes pas du genre method actor.

Actors Studio ? Mémoire sensorielle ? Pas du tout. Je vais forcément chercher l’émotion au fond de moi mais pas dans ce que j’ai vécu. Si j’ai une scène triste à jouer et que je commence à penser à des événements tristes de ma vie, ça me déconcentre, ça me sort du personnage, ça me ramène à moi et je ne peux plus jouer. J’ai l’impression que l’émotion va être impudique parce qu’elle va raconter quelque chose de personnel et je n’ai pas envie de… ça.

Article paru dans Studio Ciné Live – N°59 – Mai 2014