Qu’Antoine de Saint-Exupéry se rassure, Le Petit Prince est entre de bonnes mains. L’équipe de Mark Osborne vénère son livre et ne désire qu’une chose en le portant sur grand écran : le protéger. Visite sur le tournage d’une adaptation réputée impossible.

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Mark Osborne m'a, depuis, dessiné mon mouton...

Mark Osborne m’a, depuis, dessiné mon mouton…

« S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! » La question prend Mark Osborne, le réalisateur du Petit Prince, au dépourvu puis le fait éclater de rire. « C’est la première fois qu’on me le demande ! » Il travaille pourtant sur le projet depuis 2008 ! Il dessine un petit mouton noir dans une caisse. « Je suis comme l’Aviateur, je ne sais pas dessiner ! Pardon ? Ah, non, vous n’allez pas publier ça ! C’est trop mauvais. Donnez-moi du temps et je vous en fais un autre nettement mieux. » Six mois plus tard, le mouton est encore en stand-by quelque part dans la tête de Mark Osborne.

Il faut dire que sa tête, il l’a dans son adaptation du célèbre roman d’Antoine de Saint-Exupéry. « Ce n’est pas une adaptation mais un hommage, corrige-t-il. Chacun de nous a sa propre version du livre, sa propre connexion avec lui. Le Petit Prince est inadaptable ! » Ce sera le leitmotiv de toute l’équipe pendant la visite de deux jours sur le tournage, à Montréal. Plus de 250 personnes travaillent donc depuis six ans à une gageure. « Le cinéma est une expérience collective que l’on propose à tout le monde, renchérit Aton Soumache, l’un des producteurs (avec Dimitri Rassam et Alexis Vonarb). Le livre propose une relation personnelle entre soi-même et le Petit Prince. Il est l’anti-cinéma par excellence. Son adaptation ne peut être que fallacieuse. »

D’Orson Welles à Mark Osborne

LPP_Open-your-eyes_HDAton Soumache veut pourtant adapter Le Petit Prince depuis plus de 16 ans. Il a fait le tour du monde des réalisateurs de longs métrages d’animation pour leur proposer le projet. « Ceux qui acceptaient avaient de mauvaises idées, raconte-t-il. Ceux qui refusaient trouvaient le livre trop précieux pour en faire un film. » Jusqu’à Mark Osborne. Qui a d’abord dit non. Mais le lendemain, il s’est réveillé avec une citation du Petit Prince à l’esprit : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » « A partir de là, je ne pouvais plus échapper au film, remarque le réalisateur. J’ai alors cherché un moyen de protéger le livre. Je voulais raconter une plus grande histoire et y mettre le livre en son cœur. Je voulais créer quelque chose d’inattendu, un hommage plus qu’une adaptation mot à mot. Et je ne voulais pas juste mettre en mouvement les illustrations du livre. Quand l’Aviateur nous dit que ses dessins sont mauvais, il nous demande d’imaginer la réalité au-delà de ses dessins. C’est aussi là que j’ai puisé mon inspiration. »

Une aide est également venue du défunt Orson Welles. « Il possédait les droits du livre avant sa publication, continue Mark Osborne. Il voulait le réaliser juste après Citizen Kane. Il a écrit quatre versions d’un scénario qui n’a jamais été produit. J’ai pensé m’en servir. Pendant deux semaines, en attendant de recevoir ses scripts, j’ai imaginé ce qu’il avait pu faire du Petit Prince. Au final, ses scénarios étaient des retranscriptions littérales du livre. Mais j’avais désormais la tête pleine d’idées. » Dont une histoire totalement inédite et une façon originale de la mettre en images.

LE_PETIT_PRINCE_Mark_Osborne_PHOTO3Dans le film de Mark Osborne, l’Aviateur a bien rencontré le Petit Prince mais n’a jamais publié son livre. Il vit dans un monde géométrique et aseptisé, un monde d’adultes qui le prennent pour un fou. Une Petite Fille et sa Mère emménagent à côté de chez lui. La Petite Fille a 9 ans mais déjà 39 dans sa tête. Sa Mère veut l’envoyer dans une grande école à la rentrée. Elle doit donc étudier tout l’été. C’est sans compter l’Aviateur, qui lui envoie un avion de papier où est écrite une aventure du Petit Prince. Lisant cette histoire, la Petite Fille imagine le monde du Petit Prince et se projette dans cet univers plein de vie et de couleurs. Au contact de l’Aviateur, elle se découvre aussi une âme d’enfant. Jusqu’à ce que les ennuis commencent.

L’alliance de l’image de synthèse à la stop motion

Tout ce qui se passe dans le monde de la Petite Fille est en images de synthèse mais, pour honorer le livre, tout ce qui se passe dans le monde du Petit Prince est en stop motion et en papier. La production a donc investi deux studios distincts qui ressemblent étrangement aux deux univers qu’ils ont créés.

Le studio informatique Mikros Image Canada est ainsi tout aussi propre que le monde de la Petite Fille. Les animateurs ont même gardé l’habitude, prise en hiver, de laisser leurs chaussures à l’entrée et d’enfiler des baskets toutes proprettes une fois à l’intérieur. Personne ne semble cependant avoir opté pour la charentaise. Les différents départements (animation, layout, éclairage, montage…) sont répartis sur plusieurs étages. Chaque superviseur vient expliquer, façon « pour les nuls », le rôle de son département. S’ensuit un petit tour des divers open spaces. Les postes de travail sont dépouillés, ne proposant que le strict minimum : écrans, clavier, tablette graphique, stylet, souris… A peine une tasse qui traîne. En revanche, les drapeaux fleurissent un peu partout. L’équipe est internationale, on est en juin 2014 et la Coupe du monde de foot bat son plein.

Le travail des animateurs semble bien solitaire. Beaucoup s’isolent avec un casque pour écouter de la musique ou les dialogues du plan qu’ils peaufinent. Les conversations sont rares. On entend le ronronnement des ordinateurs et de la clim. La concentration est maximale. Un animateur cherche la vitesse de marche de la Mère, ni trop rapide, ni trop lente, mais en adéquation avec sa psychorigidité. Un autre joue avec l’un des 300 contrôles possibles pour faire bouger le corps et la tête de l’Aviateur. Un autre ajuste la lumière qui filtre par un store et les ombres sur le visage de la Petite Fille. L’œil du nul ne parvient pas à voir la subtilité d’une modification à l’autre. Deux fois par semaine, les animateurs montrent leur travail à Mark Osborne qui approuve ou demande des changements. Il a été entièrement satisfait de l’apparence de la Petite Fille à la 122ème version, un an et quatre mois après la première version. Qui a dit « vingt fois sur le métier remettre l’ouvrage » ?

16 minutes pour le livre

The Little PrinceLe studio de stop motion ToutEnKartoon a l’aspect d’un atelier d’artistes. Il ressemble à la maison de l’Aviateur pour son côté capharnaüm et au monde du Petit Prince pour la présence, partout et sous toutes ses formes, du papier. Les odeurs se mélangent : papier, peinture, bois, thé… Le bruit du chauffage couvre les discrètes conversations des artistes. Même en juin le papier n’aime pas l’humidité. Mark Osborne est venu présenter les différents chefs de postes. Le studio Mikros Image est à une demi-heure en voiture. Il fait régulièrement le trajet car Skype a ses limites. Ici aussi chaque superviseur s’improvise prof pour expliquer son travail. La stop motion ne compose que 20% du film, soit environ 16 minutes, et ne montre que les personnages les plus iconiques du livre : le renard, le serpent, la rose, le roi, le vaniteux ou encore le businessman.

La fabrication est au 1er étage : personnages, décors, accessoires. En passant de poste en poste, les chiffres et les anecdotes surgissent naturellement. Neuf marionnettes ont été fabriquées pour le personnage du Petit Prince. Chacune possède une armature en métal, beaucoup de têtes, bouches, paupières et mains amovibles en résine, des cheveux et des vêtements en papier. L’écharpe a demandé une semaine pour obtenir cette fluidité quand elle vole au vent. Près de dix papiers différents sont utilisés en fonction de l’effet recherché mais le papier de lin est le plus utilisé : il est souple, se teint bien avec du thé et se repasse facilement une fois sec. Près du fer et de la planche à repasser, une jeune fille, assise à une table, fabrique des roses en papier toute la journée. Son geste est précis et rapide. Elle ne regarde même plus ce qu’elle fait.

The Little PrinceLe tournage est au 2nd : cinq décors (sur les 14 du film) sont prêts et équipés d’un appareil photo Canon 6D contrôlé par ordinateur. Il faut toujours 24 images pour faire une seconde de film. Deux à trois secondes sont réalisées par jour. Le résultat s’affiche tout de suite à l’écran. Les images se succèdent comme sur une planche contact. Lues en vidéo, elles permettent de vérifier la qualité de l’animation. Le travail est minutieux et fastidieux. Plusieurs éléments des personnages sont changés à chaque image pour lui imprimer du mouvement ou de l’émotion. Il paraît que les paupières sont très utiles sur un visage car un simple clignement d’yeux apporte beaucoup d’émotion. L’émotion est cependant pour l’animateur quand il fixe mal la paupière, qu’elle tombe par terre et qu’il ne la retrouve pas… Au Québec, on dit d’un maladroit qu’il a les mains pleines de pouces.

Mark Osborne et son équipe ont en tout cas le cœur plein de bonnes intentions avec leur hommage au Petit Prince. Que le film ait ou non du succès, s’il y a une chose qu’on ne pourra jamais leur retirer, c’est leur passion sincère et indéfectible pour ce gamin.

Article paru dans Studio Ciné Live – N°66 – Février 2015

Crédit photo : © 2014 LPPTV – Little Princess – ON Entertainment – Orange Studio – M6 Films