Paul Greengrass veut montrer le monde actuel. Donner à vivre une expérience cinématographique. Captiver, émouvoir et faire réfléchir son public. Le tout avec un style bien à lui.

captain-phillips-paul-greengrass_3« Je m’intéresse à ce qui se passe dehors. Certains réalisateurs aiment les films d’époque, d’autres les comédies ou le fantastique, moi, j’ai cette « urgence extrême de l’instant »… Qui a dit ça ? Un politicien, je crois. [Martin Luther King, NDLR]. Déjà quand j’étais jeune, je voulais sortir voir ce qui se passait dans le monde. C’est comme ça que j’ai commencé ma carrière, avec l’émission d’actualité World in action. C’était grisant et excitant d’avoir 21 ou 22 ans, de se voir confier une équipe et d’être envoyé n’importe où, à Beyrouth, en Irlande du Nord ou en Afrique du Sud sous l’Apartheid puis de rentrer avec un film, une histoire. Pas une histoire de trois minutes, non, une vraie histoire avec des personnages que les téléspectateurs pouvaient comprendre et qui évoquaient des événements que les téléspectateurs pouvaient comprendre. J’ai appris à aborder les sujets difficiles avec toujours à l’esprit le fait qu’ils concernaient des gens ordinaires, des vies ordinaires, des histoires humaines. »

Au cœur de l’action

« Mais ça n’a pas commencé là. Je me rappelle très bien quand j’avais 8 ou 9 ans, 10 ans au maximum, mon père m’a emmené voir Docteur Jivago de David Lean, à Londres, dans un cinéma de Leicester Square. L’écran était énorme pour mon esprit d’enfant et tout était incroyablement intense. Je me rappelle la charge des Cosaques, cette scène brillante et son impact sur moi, ce sentiment d’indignation, de choc, cette immersion totale dans ce que je regardais, cette empathie, cette façon que David Lean a de vous mener au cœur de l’action, de vous montrer ses personnages. Il dépeignait un monde présent en lutte pour construire son futur. C’est toujours le cas aujourd’hui : les luttes, le chaos, les conflits… Le monde se construit devant nos yeux dans des formes et des états parfois surréalistes. »

Un éclairage sur le monde

« J’ai toujours eu cette prédilection. J’ai quitté la maison très tôt, j’ai beaucoup voyagé et j’avais ce désir inné de trouver des histoires simples et humaines pour les raconter de façon à donner un éclairage sur les forces en présence sans donner de leçon. Les grandes histoires ont cette propension à instruire les gens. Capitaine Philips en fait partie. Je ne connaissais pas l’histoire, contrairement aux Américains car cet événement a été couvert par CNN 24 heures sur 24 pendant cinq ou six jours. Quand j’ai lu cette histoire, je me suis dit qu’elle ressemblait à une histoire criminelle née sur l’océan de l’économie mondiale. Ces quatre jeunes à l’attaque de cet énorme porte-conteneurs, ces deux capitaines issus de deux mondes différents qui se retrouvent face à face, leur bras de fer, la patrouille antipirate qui débarque et tous se trouvent plongés dans ce maelström. C’est si simple, si humain. Et une histoire criminelle bien racontée, sans leçon de morale ni présupposition vous éclaire sur le monde. Je pense que c’est ce que mon film fait. Je l’espère. »

captain-phillips-paul-greengrass_2

Chanter avec sa propre voix

« Mon style n’est pas une affectation, c’est ce que j’ai toujours fait. Je vois souvent des films qui ressemblent aux miens mais tout ce que je vois, c’est quelqu’un qui agite une caméra comme si c’était une affectation ou un choix stylistique. Premièrement, c’est la façon dont j’ai appris à réaliser des films. J’ai commencé au milieu d’une émeute à Belfast ou sous une pluie de bombes à Beyrouth et ma caméra n’était pas sur un trépied. Je l’avais à l’épaule, je devais me déplacer vite, j’étais dans l’immédiateté pour mieux enregistrer le monde en mouvement. Deuxièmement, j’ai appris à faire des films dans la tradition du réalisme sociale britannique qui remonte au cinéma de John Grierson et de Humphrey Jennings. Troisièmement, vers 30 ans, j’ai voulu réaliser des films dramatiques, c’était mon rêve secret. J’ai donc appris à réaliser des films correctement, d’une façon conventionnelle et classique. Mais les films que je faisais ne reflétaient pas mon moi intérieur, ce qui me semblait sincère. Je n’avais pas l’impression de chanter avec ma propre voix. Je suis donc revenu à ma façon de filmer quand j’avais une vingtaine d’années. Et je me suis soudain senti incroyablement à l’aise, je commençais à sentir que mes films m’appartenaient, qu’ils étaient authentiques, qu’ils s’exprimaient avec ma voix, qu’ils montraient réellement ce que je voyais. Quand je me suis lancé dans les films plus commerciaux, comme avec La mort dans la peau, je suis resté fidèle à mon style et il a touché la nouvelle génération, celle née avec les téléphones portables. Ces jeunes spectateurs étaient habitués à ce style d’images filmées à la main qu’ils retrouvaient au quotidien sur leur téléphone portable. Quand ils ont découvert La Mort dans la peau, mon style leur a semblé naturel. »

Article paru dans Studio Ciné Live – N°54 – Novembre 2013