Le réalisateur français Pitof revisite, non sans un plaisir paraît-il un brin canaille, le mythe de la mystérieuse Catwoman créée par DC Comics. Il a choisi la sexy Halle Berry pour incarner la belle aux griffes et la froide Sharon Stone pour jouer son implacable adversaire. Un joli crêpage de chignons en perspective.

Halle Berry est Catwoman

« Poulet ! Poulet ! » Toute l’équipe franco-américano-canadienne de Catwoman lance en cœur le cri de fin de bonne prise. « C’est à cause de Pitof, sourit Sharon Stone, qui interprète Laurel Hedare, ennemie jurée de Catwoman. Quand nous finissons une prise et que le réalisateur en est satisfait, l’assistant réalisateur crie généralement ‘Check the gate !’ pour vérifier une dernière fois la propreté de l’objectif de la caméra. Avec Pitof, c’est vite devenu ‘Chicken at eight !’ pour finir en ‘Poulet !’. Mine de rien, cette petite blague nous a tous unifiés sur le plateau. » Et elle résume assez bien l’ambiance détendue du tournage de ce film, au budget estimé à environ 100 millions de dollars. « Nous admirons tous Pitof pour son côté cool et zen qu’il fait rejaillir sur toute l’équipe, raconte Halle Berry, alias Catwoman. C’est son premier gros film américain, il a tant de problèmes à résoudre et une telle pression sur les épaules et pourtant, pas une seule fois, il n’a élevé la voix ou explosé de colère. »

Pitof

« Je n’ai pas plus de pression sur ce film que j’en avais sur Vidocq, corrige Pitof. C’est vrai que travailler avec les Américains est totalement différent, mais j’ai pu les tester sur Alien 4 : la résurrection, où j’étais responsable des effets visuels. J’étais donc bien préparé. Je sais exactement ce qu’implique le contrat que j’ai signé avec les studios [Warner Bros en l’occurrence, NDLR] et j’ai accepté leurs règles du jeu même si je les trouve très dures. Je ne suis qu’un employé ici, je peux me faire virer demain. » A quelques jours de la fin du tournage dans les studios de Lions Gate à Vancouver, il peut s’estimer sauvé, même s’il lui reste l’épreuve de vingt semaines de montage et de post-production.

Chorégraphie pour chats

Sharon Stone est Laurel Hedare

Mais pour l’heure, Pitof vient d’achever de filmer l’affrontement final entre Catwoman et Laurel Hedare. Le tournage de la séquence a duré neuf jours. « J’ai l’impression d’avoir été renversée par un camion, plaisante Sharon Stone. Nous sommes loin de Matrix. Cela ressemble plus à une bagarre de bar et nous nous en mettons vraiment plein dans la gueule. Laurel a beau être un ancien mannequin, elle connaît le kickboxing et sait se battre. Et en talons hauts en plus. » « Catwoman est vraiment un rôle très physique, renchérit Halle Berry, il demande beaucoup de résistance et d’endurance notamment pour les séquences de combat. » Car Pitof a voulu aller aussi loin qu’il le pouvait avec ses acteurs avant d’utiliser les cascadeurs et le numérique. « Pour rendre l’ensemble aussi réaliste que possible, je me suis servi de plusieurs techniques et technologies, explique le réalisateur. J’ai des mouvements exécutés par les doublures avec les câbles, une technique assez délicate car elle rappelle beaucoup les films de Hong Kong, des mouvements d’une Catwoman entièrement numérique et les déplacements de la vraie Halle Berry. »

L’actrice s’est entraînée pendant huit mois afin d’acquérir ces déplacements félins nécessaires à l’interprétation de son rôle. Une chorégraphe de danse lui a enseigné un nouveau langage physique basé sur les mouvements des chats et sur la capoeira, cet art martial/danse brésilien. « Déjà sur Vidocq je voulais utiliser la capoeira, raconte Pitof. Je cherchais un art martial autre que le kung-fu. Il existait bien la savate française, mais pour mon personnage de Vidocq, je voulais quelque chose d’encore différent et j’ai trouvé la capoeira. Mais finalement, je ne l’ai jamais utilisé pour Vidocq. J’y ai repensé pour Catwoman parce je cherchais une autre façon de se battre, plus féline, plus féminine. Car Catwoman est une femme avant tout. »

« J’ai créé un sous-langage physique et félin en adaptant les mouvements normaux des chats au langage du corps d’une femme, explique Anne Fletcher, la chorégraphe désormais spécialisée dans les chats. Les déplacements et les gestes devaient être sensuels, mais sans être bizarres. Aussi, la capoeira était un choix vraiment très malin de Pitof. Cet art s’exécute très bas au niveau du sol, très lentement, de façon très maîtrisée avec beaucoup de force et de rapidité tout en restant très imprévisible pour un adversaire. Comme les mouvements du chat. Halle Berry a très vite appris à bouger comme un chat, surtout depuis le jour où elle en a adopté un. Elle a pu observer ce que je lui disais : comment un chat marche et saute, comment il regarde les gens en tournant entièrement la tête, il ne bouge pas seulement les yeux… Et je voyais sa propre transformation gestuelle au fur et à mesure de l’avancée de son entraînement. »

Trois personnages en un

Transformation également émotionnelle pour l’actrice qui incarne trois personnages : la fragile Patience Philips, la dangereuse Catwoman et la femme perdue entre les deux. « Pitof m’a beaucoup aidée à les différencier et à exprimer les émotions propres à chacune d’entre elles, reconnaît Halle Berry. Il m’a été difficile de créer cette progression entre les personnages, et surtout de savoir où j’en étais dans cette transformation, combien de Catwoman était en moi à tel ou tel stade du film. » Patience Philips est à la base une jeune artiste timide et sensible qui travaille comme designer pour la société de cosmétiques Hedare Beauty créée par George Hedare et sa femme Laurel, un ancien top model. Ces derniers sont sur le point de lancer une crème miracle contre le vieillissement. Patience vit une existence paisible jusqu’à ce qu’elle découvre le secret de Laurel Hedare, se fait tuer puis ressusciter de façon assez mystique par un mystérieux chat qui lui transmettra ses aptitudes félines : agilité, rapidité, force, instinct… « Patience, qui se caractérisait avant tout par son manque d’assurance et de confiance en elle, évolue à travers ce besoin d’affirmer sa féminité, continue la comédienne. Et quand elle y parvient, elle réalise que c’est grâce à son alter ego, Catwoman. Elle découvre alors que les femmes ont plusieurs visages, qu’elles peuvent être à la fois sexy, intelligente, vulnérable et forte. »

Mais surtout sexy, vu le costume de l’anti-héroïne. Tout en cuir noir, il est constitué d’un soutien-gorge et de quelques ceintures et lanières pour le buste, d’un masque avec de grandes oreilles de chat couvrant le haut du visage, d’un pantalon avec de nombreuses fausses lacérations couleur chair pour figurer la peau de l’actrice, de bottines à hauts talons et ouvertes pour que Catwoman puisse attraper des objets avec ses orteils comme le ferait un chat avec sa patte, et des gants avec de longs ongles sertis de petits diamants. Sans oublier l’accessoire fétiche : un fouet récupéré dans un club de gogo dancers et pour lequel Halle Berry a reçu un apprentissage de trois semaines à raison de quelques heures par jour. Avec une tenue pareille, certains ont joyeusement murmuré le mot « sadomasochisme »… « Je ne le vois pas comme ça, rétorque Halle Berry. Ce costume prouve que Catwoman est très consciente de sa sexualité. C’est même elle qui l’a dessiné car elle aime cette part d’elle-même. Mais il est surtout différent des costumes des Catwomen passées. Il singularise la Catwoman du XXIè siècle. Le ton du film est d’ailleurs très post-moderne, les décors principaux sont faits de métal, de verre, avec des formes droites. L’ensemble reflète très bien ce siècle et la pop culture d’aujourd’hui, mais aussi ce que les femmes représentent, ce en quoi elles croient, ce vers quoi elles tendent. Heureusement que ce Catwoman est différent, sinon, quel intérêt d’en refaire un. »

Faire du nouveau avec du classique

Mais ce nouveau Catwoman ne renie pas les autres, comme Selena Kyle, la Catwoman de Batman, le retour interprétée par Michelle Pfeiffer, ou Kitka, celle incarnée par Lee Meriwether dans le Batman de 1966. « Notre théorie est que Patience Philips, ma Catwoman, est l’une des neuf qui existent, explique Halle Berry. Chacune vit dans un monde, une ville et un temps différents. Ce film personnifie les qualités de Catwoman que nous connaissons et que nous aimons tout en la transportant dans le XXIè siècle. Elle n’a pas choisi entre le bien et le mal mais navigue entre les deux. Elle est aussi forte que les autres mais elle est plus citadine et proche de la rue. Elle vit plus dans la réalité que les autres Catwomen, elle vit dans une ville quelque part aux Etats-Unis et pas dans une ville qui n’existe pas comme la Gotham City de Batman. » « J’ai voulu faire une Catwoman basée sur la beauté et le talent d’Halle Berry, précise Pitof. J’ai voulu surtout travailler sur le personnage et sur son évolution. Je n’ai pas voulu trop me démarquer des autres films de superhéros, mais faire quand même quelque chose de différent. »

Et pour cela, Pitof a eu toutes les libertés. Enfin, toutes les libertés de proposer. « Les studios me demandent d’abord ce que je veux, puis ils acceptent ou non, raconte le réalisateur. Mais depuis le début, nous sommes sur la même longue d’ondes. Vidocq a d’ailleurs été d’une aide inestimable pour moi car même si c’est un gros film de divertissement, les producteurs l’ont considéré comme un film d’auteur. Sur Catwoman, je ne suis pas responsable du scénario, même si j’y ai mis beaucoup de moi. Les studios sont très ouverts sur mes idées, sur ce que je peux apporter. Je suis d’ailleurs payé pour ça. Je sais aussi que je n’ai pas le final cut, mais ce final cut ne m’appartient pas et il n’appartient pas non plus aux studios, il appartient au film lui-même. Le final cut, c’est ce qui est bon pour le film, pour l’histoire, pour les acteurs. Tout le monde travaille pour faire le meilleur film. La collaboration que j’ai avec les studios est assez intelligente pour cela. Mais je sais qu’au final, ils prennent ce qu’ils veulent. »

Et aux dires de Sharon Stone, ils prennent sans vraiment connaître la teneur explosive de leur sélection. « Pitof a une grande sophistication et une vision très précise, souligne l’actrice. Il est brillant, cultivé, inspiré. Il est capable de porter une grande perversité à l’écran mais d’une façon si intelligente, si astucieux que peu s’en rendent compte. Devant une scène, les gens des studios disent : ‘OK, c’est génial, nous la gardons.’ Moi, je dis : ‘Yeah, baby !’ Le film va passer la censure haut la main parce que rien ne paraît en surface. Il n’y a ni ‘Fuck !’ ni ‘Motherfucker’ dans ce film. Pitof n’a pas besoin de montrer une goutte de sang ou un sein ou d’être vulgaire pour que son spectacle soit efficace et pour que l’impact sur les gens soit profond et dangereux. Il fait en sorte que tout le côté sombre et malsain de l’histoire et des personnages soit présent de façon subtile, comme pour les relations entre Catwoman et mon personnage, Laurel, ou entre mon mari joué par Lambert Wilson et moi. Ces relations sont fascinantes, profondes, psychologiques et foncièrement tordues. Il y a une certaine euphorie dans les disputes entre Laurel et George, ces querelles sont d’ailleurs au cœur de nos relations. Quant à Laurel, elle est très attirée par Catwoman. Je voulais même qu’elles s’embrassent mais les studios ont dit non. C’est vraiment du gâchis d’avoir Halle et moi dans un même film et qu’on ne s’embrasse pas, non ? Mais Pitof a préféré la jouer avec finesse. Il en met plein la vue visuellement et quand les Américains verront le film, ils le trouveront vraiment sympa, mais beaucoup de choses leur passeront par-dessus la tête. Quand les Européens verront le film, ils le trouveront vraiment… vicieux. Certaines séquences sont d’ailleurs filmées comme si Freud était passé par là. J’adore ça. »

Article paru dans Ciné Live – N°81 – Eté 2004

Crédit photos : © Warner Bros