Le réalisateur Zack Snyder tourne un moment mémorable dans l’histoire cinématographique des superhéros : l’affrontement entre Superman et Batman. Petite escapade sur le tournage de Batman v Superman : L’Aube de la justice fin 2014, à Détroit, aux Etats-Unis, pour une visite exclusive et privée.

Détroit, Michigan. Une nuit de septembre 2014. L’extérieur de la gare centrale Michigan désaffectée est glauque au possible. Le bâtiment d’une quinzaine d’étages est abandonné depuis 1988 et, pendant longtemps, a porté le doux surnom de plus grande fumerie de crack de Détroit. Sur son millier de fenêtres, celles encore intactes se comptent sur les doigts d’une main. Comme pour une prison, il est entouré de grillages et de barbelés censés dissuader les vandales et les drogués. De grandes bâches noires ont été ajoutées pour décourager le regard des curieux. Des policiers officiels et des gardes de sécurité privés sont postés tous les 10 m. Il n’a finalement fallu qu’altérer légèrement la réalité pour se sentir dans la fictive Gotham City. C’est en effet au pied de cette gare en ruine que doivent s’affronter Superman et Batman. Un combat singulier cinématographiquement grandiose et historique, sous une pluie battante et avec tout ce qu’il faut de fusillade et d’explosions.

Mais pourquoi tant de haine ?

Le film Batman v Superman : L’Aube de la justice commence par un flashback de l’attaque sur Metropolis par le général Zod vue de la perspective de Bruce Wayne. Ce dernier a été touché personnellement par cet événement tragique avec la destruction d’un de ses bâtiments, le Wayne Financial. Et la mort de ceux qui y travaillaient. Deux ans plus tard, Superman continue à sauver la veuve et l’orphelin à Metropolis avec parfois des dommages collatéraux auxquels il ne s’attend pas. Batman, quant à lui, marque au fer rouge les criminels les plus dangereux de Gotham, et notamment les agresseurs d’enfants, afin qu’ils ne fassent pas de vieux os en prison. D’un côté, Bruce Wayne se demande ce qu’il se passerait si cet extraterrestre décidait finalement de se retourner contre les humains. De l’autre, Clark Kent trouve que Batman dépasse les bornes du justicier en devenant quasiment juge, jury et bourreau. Après une première bisbille sans conséquence, ils en viennent finalement aux mains pour l’un et aux mitrailleuses pour l’autre. « J’ai d’abord pensé qu’à la fin de Man of Steel, je pourrais montrer un colis de kryptonite en train d’être livré chez Bruce Wayne pour prouver que Batman existe dans l’univers de Superman, raconte le réalisateur Zack Snyder. Puis j’ai pensé que Batman pourrait être le vilain d’une nouvelle aventure de Superman. Pas le méchant mais au moins celui qu’il affronte. Et une fois cette idée émise à haute voix, il est devenu impossible de penser à autre chose. Batman est quand même le type le plus cool avec qui Superman pouvait se battre, non ? »

Le décor de l’affrontement des deux superhéros est planté entre deux murets, sur un terrain en pente. Le tournage se déroulant de nuit, de gros projecteurs éclairent l’endroit. Des rampes de pluie surplombent l’ensemble. Sur le terrain, Batman a tendu un piège à Superman en cachant des canons à sons et des mitrailleuses de 50 mm. Beaucoup de choses vont voler dans cette séquence, dont des balles, une plaque d’égout et Batman – contre son gré et avec l’aide de Superman. Cette nuit, les mitrailleuses entrent en action. Une tension mâtinée d’une certaine excitation est palpable sur le plateau, comme à chaque fois que des armes et des explosifs jouent dans une scène. Au milieu de la pente, comme pour une scène de crime, un ruban jaune délimite un carré de terre où sont plantés une trentaine de petits fanions rouges. « Hot set » est inscrit sur le ruban. Ce qui pourrait être traduit par « Pas touche ! ». Et pour cause. Ce bout de terrain contient 55 petits explosifs, là pour figurer les impacts de balles des mitrailleuses. Et au milieu d’eux se tient Henry Cavill habillé en Superman. Il est d’un calme olympien. Il sait qu’il ne risque rien. Le costume a beau y faire pour beaucoup, il reste néanmoins impressionnant par la présence intense qu’il dégage. « Superman n’a pas changé par rapport à celui qu’il était dans Man of Steel, confie l’acteur. Il doit juste faire face à de nouveaux problèmes. Cette histoire repose moins sur son parcours que sur la perception que le public a désormais de cet extraterrestre et surtout de la perception que Batman en a. Le clash est donc inévitable. »

Alors que les pyrotechniciens retirent ruban et fanions, un technicien relie des câbles au harnais caché sous le costume de Superman. L’acteur sautille ensuite sur place, fait des mouvements de bras et de hanches. Ses vêtements et ses cheveux sont trempés d’avance pour la scène. Il ne doit pas avoir chaud. La nuit est tombée et la température descend rapidement. L’humidité créée par les rampes de pluie n’arrange rien. Henry Cavill parait tout fragile et presque tout nu au milieu de gens emmitouflés dans des parkas et autres doudounes. Des parasols chauffants ont aussi fleuri un peu partout sur le plateau attirant aussitôt les techniciens en pause comme des insectes autour de lampes anti-moustiques. L’odeur de la soupe aux légumes se mêle à celle du café. Avec l’attente, une légère torpeur commence à s’installer quand un assistant fait sursauter tout le monde en criant dans son micro. Il prévient que chacun doit se munir de bouchons d’oreilles pour se protéger les tympans des explosions. C’est plutôt du type au micro dont il faudrait les protéger.

Les rampes de pluie se déclenchent, indiquant qu’une première prise va être tournée. A « Action ! », tout le monde retient inconsciemment son souffle. Les explosifs pétaradent autour de Henry Cavill alors tiré en arrière par les câbles. A l’écran, des balles ajoutées en postproduction ricocheront sur le torse de Superman et la violence des impacts le fera reculer. L’acteur résiste à la traction en s’arquant sur ses jambes alors que ses pieds glissent sur le sol. A la fin des détonations, il se redresse, les poings serrés. « Coupez ! » La vie reprend aussitôt sur le plateau et tous s’agitent comme dans une fourmilière pour préparer la seconde prise.

Frères ennemis

Ben Affleck et Zack Snyder

A quelques mètres du décor, Ben Affleck attend patiemment de tourner, assis sur une chaise à regarder des vidéos sur son smartphone. « J’ai très vite pensé à lui pour incarner Batman, avoue Zack Snyder pour expliquer son choix du comédien, controversé par les batmanophiles. L’acteur devait avoir la quarantaine car mon Bruce Wayne joue les Batman depuis 15 ans, il est usé et pas loin de la folie après toutes ces années à être témoin d’atrocités. Il devait aussi être plus grand qu’Henry Cavill car je voulais que Superman soit obligé de lever les yeux pour regarder Batman. Ben fait 1,92 m et gagne encore cinq bons centimètres avec ses bottes. Henry fait 1,85 m. Et l’acteur devait être bon, beau et intelligent. » Ben Affleck, quant à lui, ne se serait jamais vu en Batman s’il n’avait été convaincu du personnage que Zach Snyder voulait créer. « Un Bruce Wayne frustré, amer et en colère, affirme le comédien. Il pense réellement que Superman est une menace extrême pour l’humanité et qu’il doit donc le détruire avant qu’il ne soit trop tard. Cette peur va faire ressortir ce qu’il y a de pire en lui. » L’acteur estime que tout son travail vise à incarner Bruce Wayne, personnage « plus compliqué et intéressant », et non Batman. Pour Batman, il suffit d’enfiler le Batcostume. Ou la Batarmure.

Si Henry Cavill est impressionnant dans son costume de Superman, Ben Affleck paraît indestructible une fois dans sa Batarmure. Elle est directement inspirée des dessins de Frank Miller dans son roman graphique The Dark Knights Returns. Le costume s’avère massif, lourd et encombrant. Entre deux plans, pour plus de confort, l’acteur quitte son casque, sa cape et les bras de son armure. Ces derniers doivent être dévissés avec une visseuse à piles. Dans les scènes d’action, ils sont aussi retirés et des marqueurs de motion capture sont posés sur les bras de l’acteur. Les éléments manquants du costume seront ensuite ajoutés en postproduction.

Bruce Wayne troque son Batcostume pour sa Batarmure quand il a besoin de plus de force et de protection. Sans elle, il ne ferait pas le poids face à Superman. Ce n’est d’ailleurs même pas sûr qu’il le fasse avec… « Batman et Superman sont les deux faces d’une même pièce, affirme Ben Affleck. Ils ont le même but, à savoir aider les gens et faire le bien dans le monde, mais leurs idées diffèrent quant à la façon de l’atteindre. Ils sont différents et pourtant pareils. » Suffisamment en tout cas pour faire équipe face à un ennemi commun : Lex Luthor. Un des meilleurs méchants de l’univers DC Comics qui, ici, tire des ficelles insoupçonnées à la fois pour son profit et son amusement. Batman et Superman ne seront pas assez de deux pour le combattre. Non, trois ! Wonder Woman débarque en effet pour les sortir du pétrin. Quatre avec Aquaman ? Cinq avec The Flash ? Si les rumeurs de participations d’autres superhéros persistent, Zach Snyder ne cache désormais plus le fait que Batman v Superman : L’Aube de la justice est aussi le beau et couteux préambule de son prochain film, La Ligue des justiciers.

Pour l’heure, le tournage de l’affrontement entre Batman et Superman se poursuit. Il est plus de minuit quand Ben Affleck entre en piste pour le contre-champ du plan de Superman qui vient d’être filmé. Les deux mitrailleuses radiocommandées de Batman vont jaillir de deux bennes à ordures comme deux diables de leur boîte, pivoter vers Superman et l’arroser copieusement. Devant cette perspective, une nouvelle énergie se fait sentir sur le plateau. Tous savent que ça va désormais défourrailler non-stop jusqu’au petit matin.

Article paru dans Studio Ciné Live – N° 72- Septembre 2015

Crédits photos : © WarnerBros