La nuit du 12 est une enquête policière sans concession sur un féminicide. Le réalisateur Dominik Moll dévoile les rouages subtiles de cette investigation et dépeint les conséquences psychologiques sur les policiers, avec un réalisme qui émeut autant qu’il fait froid dans le dos. Il y distille également quelques réflexions pertinentes sur les relations entre les hommes et les femmes et sur la perception des femmes aujourd’hui dans un monde qui reste celui des hommes. La nuit du 12 sort en salles ce 13 juillet.

Bastien Bouillon et Bouli Lanners

L’histoire

A la PJ, chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan, c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, l’assassinat a eu lieu la nuit du 12.

L’adaptation d’une réalité policière quotidienne

Dominik Moll

La nuit du 12 est adapté du livre de Pauline Guéna, 18.3 – une année à la PJ. Le réalisateur Dominik Moll et le scénariste Gilles Marchand ont tiré leur scénario d’une petite trentaine de pages sur un récit qui en fait plus de cinq cents. Pauline Guéna a passé une année en immersion dans les services de la police judiciaire de Versailles. “Elle relate un quotidien fait de routine et de situations éprouvantes,” précise Dominik Moll. “Comme David Simon dans Homicide, son regard est à la fois documentaire et incroyablement fictionnel. On se retrouve plongé dans un immense réservoir d’histoires humaines fortes qui racontent aussi le monde dans lequel on vit.”

L’affaire Clara, un féminicide

Dominik Moll a retenu une enquête en particulier. Celle de l’assassinat d’une jeune femme immolée par le feu tandis qu’elle rentrait chez elle. “Pauline retrace brièvement cette enquête et s’attarde sur un des policiers, Yohan,” explique le réalisateur. “C’est le rapport de cet homme à cette affaire qui m’a touché. J’avoue que l’aspect sordide du crime m’a fait hésiter. Je suis souvent dérangé par la fascination de certains films pour la violence.

Pauline Serieys et Bastien Bouillon

Mais après avoir lues ces quelques pages, elles ont commencé à me hanter comme la mort de cette jeune femme hante Yohan. Le livre disait que chaque enquêteur tombe un jour sur un crime qui fait plus mal que les autres, que pour une raison mystérieuse, il se plante en lui comme une écharde, et que la plaie n’en finit pas de s’infecter. J’ai senti qu’il ne s’agissait pas seulement de trouver le nom d’un assassin, que le film pouvait raconter l’obsession et le trouble grandissant d’un enquêteur scrupuleux face à un crime irrésolu.”

Une enquête irrésolue

La nuit du 12 le précise dès le début : cette enquête ne trouvera pas sa résolution. Un choix étonnant mais logique vu l’objectif du film. “Dès le début de notre travail d’écriture avec Gilles, nous avons senti qu’une enquête irrésolue avait quelque chose de singulier et pouvait être captivante,” reconnaît Dominik Moll. “Gilles venait de réaliser la série documentaire pour Netflix sur l’affaire Gregory et il savait à quel point ne pas connaître la vérité peut nous aider à poser des questions peut-être plus profondes, plus vertigineuses.

Souvent quand un film retrace une affaire criminelle, on commence en disant au spectateur ‘voilà un meurtre’ et on finit par ‘voilà l’assassin’ et c’est réglé, on ne se pose plus de questions. Ce n’est pas ce que je voulais faire. Ce qui m’a hanté dans cette histoire, c’est le mystère. Et précisément le fait que plus on cherche et plus le mystère s’épaissit. Quand on ne connaît pas le nom du coupable, on voit finalement plus de choses. On est davantage avec les enquêteurs qui interrogent, qui tâtonnent. On ressent leurs doutes et on perçoit leur angoisse qui grandit. Le mystère dévoile les fonctionnements institutionnels et humains bien plus que la résolution.”

La violence des hommes envers les femmes

“Le rapport entre les hommes et les femmes est au centre du film,” affirme Domonik Moll. “Elle en est son fil rouge. Le livre ne s’attache pas particulièrement à ce questionnement, mais le fait que Pauline Guéna soit une femme, et le regard particulier, à bonne distance, qu’elle porte sur les hommes de la PJ, est sans doute pour beaucoup dans l’approche qui s’est imposée à nous. De très nombreux faits divers sont directement des affaires de violence que des hommes exercent sur des femmes.

Pierre Lottin

C’est complètement fou quand on y pense et qu’on ne se contente pas d’y voir une fatalité. La police judiciaire qui doit lutter contre cette violence est presque exclusivement masculine. Même si certains films et certaines séries montrent, de manière louable, des enquêtrices au travail, dans la réalité il s’agit encore aujourd’hui d’”un monde d’hommes”. A quoi pensent ces hommes qui enquêtent sur des crimes commis sur des femmes qui pourraient être leurs filles, leurs compagnes, leurs amies, leurs sœurs ? Quel est leur regard sur les suspects ? Et sur les victimes ? Qu’est-ce que cela remue en eux ? Nous voulions qu’au fil de l’enquête le film fasse émerger chez le spectateur ce questionnement.”

Bastien Bouillon incarne Yohan

Dominik Moll avait tourné avec Bastien Bouillon dans Seules les bêtes mais il ne pensait pas particulièrement à lui pendant l’écriture de La nuit du 12. Cependant, une fois le scénario terminé, au moment du casting, en cherchant quels comédiens pourraient incarner Yohan, le nom de Bastien a été évoqué. “L’idée m’intriguait, m’attirait,” avoue le réalisateur. “Et il nous a convaincu au moment des essais. Sa présence, son mélange de douceur et de gravité mélancolique, sa sensibilité, son regard, ses intonations… Tout est apparu comme évident. Le rôle est spécial, Yohan parle peu, il est le réceptacle de cette histoire et de tous ceux qui l’entourent, mais on sent toutes les émotions qui le traversent et affleurent sur son visage.”

Bastien Bouillon

Yohan et son vélo

Dans le livre de Pauline Guéna, un des enquêteurs, qui n’est pas relié à l’affaire Clara, pratique le vélo sur piste. “C’est un détail qui m’a tout de suite intrigué et que j’avais envie de reprendre,” indique Dominik Moll. “Le vélodrome est un défouloir pour Yohan, il y évacue ses tensions. Mais c’est aussi un lieu où il tourne en rond, “comme un hamster”, comme le dit Marceau (Bouli Lanners). Mais à la fin il roule dans la nature lorsqu’il retrouve un nouvel élan et découvre le plaisir de l’ascension des cols alpins. Et comme Marceau le lui avait suggéré, s’échapper du vélodrome pour grimper sur les cols lui ouvre des horizons plus sereins.

Le vélodrome d’Eybens près de Grenoble, où nous avons tourné, est particulièrement graphique, surtout la nuit. Le vélo sur piste n’est pas aussi simple que le vélo sur route. Bastien a fait un entraînement spécifique pour bien maîtriser les virages très pentus. Et il s’est révélé être excellent. Tourner sur la durée les séquences où il enchaîne les tours de piste, c’était très physique !”

Caster le groupe de Yohan

Les deux directrices de casting, Agathe Hassenforder et Fanny de Donceel ont auditionné presque deux cents comédiens, aussi bien pour les enquêteurs que pour les suspects. “Il fallait un groupe, et nous avons fait revenir les comédiens qui nous intéressaient le plus pour des essais à trois ou quatre,” révèle Dominik Moll. “Je voulais que la dynamique fonctionne et que des personnalités différentes émergent. L’esprit de groupe est crucial. C’est une seconde famille. Il fallait retrouver cette énergie là. Et ça a très bien fonctionné. Parfois même un peu trop. Sur le plateau, il leur arrivait de se comporter comme une bande de sales gosses avec un humour qui n’avait rien à envier à celui de la PJ !”

Dominik Moll en immersion

Le réalisateur a fait une immersion d’une semaine à la PJ de Grenoble. “Le livre de Pauline Guéna est déjà extrêmement documenté,” affirme Dominik Moll. “Mais il me tenait à cœur de voir de mes propres yeux un groupe d’enquêteurs au travail. Mon immersion à moi était bien sûr très courte, mais elle m’a permis d’observer ce monde de près : la lourdeur de la procédure et des PVs, les relations au sein d’un groupe, le contraste entre la tension des interrogatoires et la trivialité des moments de relâchement qui permettent d’évacuer la pression. Etre avec eux m’a permis d’être précis et plus juste dans le ton du film, de ne pas être faussement spectaculaire à la recherche d’artificielles bouffées d’adrénaline, mais au contraire plus proche de l’humain, des malaises et des passions qui animent les enquêteurs.”

Crédit photos : © Haut et Court