L’acteur irlandais, lauréat d’un Golden Globe pour son rôle dans Bons baisers de Bruges (2008) de Martin McDonagh, évolue avec un égal talent aussi bien au cinéma qu’à la télé (True Detective Saison 2 en 2015). Il a su alterner les productions à gros budget, comme Minority Report (2002) de Steven Spielberg, Alexandre (2004) d’Oliver Stone, Miami Vice (2006) de Michael Mann, Total Recall (2012) de Len Wiseman ou encore Les animaux fantastiques (2016) de David Yates, avec des films plus intimistes tels The Lobster (2015) ou Mise à mort du cerf sacré (2017), tous deux réalisés par Yorgos Lanthimos. Dumbo est sa première collaboration avec Tim Burton.

Colin Farrell ©Richard Burbridge

Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?

Honnêtement, il a suffi d’entendre les deux noms Tim Burton et Dumbo. C’était si joli à l’oreille, ça sonnait comme un magnifique mariage entre un artiste visuel, un personnage, des thèmes, une légende… Puis quand j’ai lu le scénario et l’histoire de Holt, j’ai adoré. C’était gentil et tendre en dépit de thèmes sérieux qui sont subtilement évoqués. Et j’étais à la fois enthousiaste et rassuré d’être attiré par ce personnage car quoi qu’ait pu être son histoire, j’aurais voulu le jouer de toute façon.

Votre personnage est amputé d’un bras. Que lui est-il arrivé ?

Holt Farrier revient de la Première Guerre mondiale. Quand il est parti, il a laissé sa femme et ses deux enfants qui avaient quatre et cinq ans à l’époque. A son retour, sa femme est décédée de la tuberculose et ses enfants ont été élevés par les gens du cirque. Physiquement, il n’est plus le même homme, ayant perdu son bras gauche sur un champ de bataille, mais il n’est plus non plus le même émotionnellement et psychologiquement. Il ne reconnaît pas le monde qu’il retrouve, ni ses propres enfants. Il ne sait pas comment être un père. Son but va donc être de se pardonner, d’aller au-delà de sa culpabilité et de sa honte de ne pas avoir été là pour sa femme et ses enfants. Je pense qu’en tant que parents, l’un de nos défauts est de prétendre que nous savons exactement comment faire les choses alors que ce n’est pas grave de ne pas savoir comment être un parent. Parfois, vous devez juste être là, observer vos enfants et résoudre les problèmes pour eux. Quand Dumbo arrive dans l’histoire, il s’agit de limiter les dégâts. Tout le monde le juge en voyant ses oreilles, même les gens du cirque, et tous savent qu’il ne sera pas accepté par la société ni par les spectateurs du cirque. Dumbo n’est pas cette adorable créature que le personnage de Danny [DeVito] pensait acheter. Mais ce qui semble être un handicap au début du film deviendra un sujet de célébration. Et petit à petit, les esprits vont s’éveiller et en particulier ceux de mon personnage et de celui de Danny.

Où situez-vous Dumbo dans votre filmographie ?

C’est un rôle très différent. Déjà sur The Lobster, les gens me disaient que c’était un rôle très différent pour moi. Mais l’expérience est aussi différente grâce aux réalisateurs. Tim a une approche visuelle singulière de la narration. C’était nouveau pour moi. Bien sûr, les thèmes liés à mon personnage sont familiers, lourds, importants, douloureux et on peut les retrouver dans des productions indépendantes européennes. On évoque la mort d’un parent, des enfants élevés par une sorte de famille d’accueil, d’un veuf qui a perdu un bras, de la guerre… Les thèmes concernent l’avarice, la cupidité, la cruauté, la séparation des enfants et des parents quand Dumbo est éloigné de sa mère… Mais avec la vision et le design de Tim, la gravité des thèmes est respectée sans être assénée aux spectateurs car le film doit rester amusant pour les adultes et accessible aux enfants. Le film n’évite donc pas ces thèmes mais les présente de façon à ce qu’un enfant puisse les comprendre. C’est aussi sympa de faire un film que mes enfants vont pouvoir voir. Je n’ai pas dit qu’ils allaient l’aimer, je ne suis pas aussi naïf. J’ai vu le premier Dumbo il y a quatre ou cinq ans avec mes garçons. Je ne l’avais encore jamais vu. Je ne sais pas pourquoi je l’ai raté. Je me souviens avoir vu Les 101 Dalmatiens et Le livre de la jungle. Je ne sais pas si mes enfants l’ont aimé. Allez savoir pourquoi mais ils sont plus intéressés par Les mondes de Ralph. Ils n’ont pas dû saisir l’importance de Dumbo. [Et en regardant les publicistes de Disney dans la salle, il lance goguenard] Mais non, ils l’ont adoré ! Ils ont été très émus !

Max Medici (Danny DeVito), Milly Farrier (Nico Parker) et Holt Farrier (Colin Farrell)

Etre un père vous a donné un avantage pour travailler avec des enfants ?

Je ne sais pas. J’aime les enfants et je m’entends bien avec eux. J’avais peut-être une attitude plus protectrice envers eux, j’avais peut-être plus conscience de leur besoin de sécurité que si je n’étais pas moi-même un parent.

Alliez-vous au cirque étant enfant ? Ou aujourd’hui avec vos enfants ?

Non, jamais. Il n’existe plus de cirque aujourd’hui, c’est une industrie moribonde. Quand j’ai grandi, l’idée du cirque c’était comme l’idée du baseball ou du chewing gum. C’était quelque chose de très américain même si l’Europe possède une grande tradition du cirque. Pour moi, c’était synonyme de fête foraine, de barbe à papa, du jeu du marteau, toutes ces choses que je voyais dans les films américains mais je n’ai jamais vécu ce genre d’expérience. Faire ce film avait donc quelque chose de magique pour moi. Il y a des choses que j’ai aimées ou que j’étais curieux de connaître quand j’étais enfant qui me sont revenues à l’esprit alors que je travaillais sur ce long métrage. J’ai eu la chance de rencontrer de vrais talents artistiques au cours de ma carrière. Certains décors d’Alexandre et de Total Recall ne seront jamais égalés. Mais je reconnais que les décors de Dumbo ont créé un sentiment d’émerveillement enfantin chez moi. Je n’avais encore jamais rien vu de pareil. J’aime penser que je ne suis pas blasé par ce que je fais, et je ne le suis vraiment pas, et ces décors m’ont époustouflé. Le département déco a construit Dreamland, le parc d’attraction que dirige le personnage de Michael [Keaton], dans un hangar qui accueillait la fabrication des dirigeables Zeppelin. Ce bâtiment fait près de 245 m de long pour plus de 60 m de large et autant de haut. Il contenait une plateforme en bois de plus de 150 m avec en bout une grande tente et sur les côtés des entrées avec au-dessus des noms d’attractions, des lumières clignotantes, des stands à popcorn… Il y avait 400 figurants, 12 chevaux, huit voitures Ford T et environ 40 artistes qui jonglaient ou tenaient des trucs en équilibre sur leur tête. En entrant sur ce décor, j’ai dit « Putain ! ». J’en avais littéralement les larmes aux yeux tellement c’était beau. Je m’y suis habitué au fil des jours, bien sûr, je ne vis pas continuellement avec ce sentiment d’émerveillement du genre « Oh mon dieu, réveillez-moi ». Mais c’était vraiment extraordinaire.

Ne vous êtes-vous pas senti comme un outsider sur ce film en travaillant avec des acteurs et des techniciens qui ont l’habitude de collaborer avec Tim Burton ?

Cela peut en effet arriver sur certains films, mais sur Dumbo j’ai ressenti un esprit familial sur le plateau dès le premier jour. Je ne me suis jamais senti exclu, au contraire, j’ai eu le sentiment de rejoindre une troupe, c’était agréable. Michael et Danny ont déjà travaillé ensemble avec Tim et pour Tim et vous pouviez sentir leur complicité sur le plateau. L’atmosphère était très légère. Et oui, les histoires de Tim, quand elles ne tournent pas autour d’outsiders, impliquent toujours des outsiders, ce genre de personnes qui se sentent isolées de l’expérience humaine en général. J’ai été cette personne par moments, je me suis senti déconnecté et exclu de certaines expériences. Je pense que nous avons tous vécu cela dans notre vie, c’est un thème très universel. Dans le film, la majorité, c’est-à-dire la foule, est cruelle. Elle a soif de sang, elle crie sur Dumbo, un bébé, quand elle voit ses oreilles, elle lui lance des hotdogs. C’est une scène réellement dure et cruelle. Mais c’est aussi le genre de choses qui arrive dans le monde du travail, à l’école et partout sur notre planète. Les tyrans sont de vrais enfoirés et il n’y a aucun doute que la force humaine existe et qu’elle existe au fond des gens qui sont maltraités ou tyrannisés et qu’elle leur permet de s’en sortir. Et c’est le sujet de Dumbo : la bonté, la gentillesse, la tendresse sont des vertus de la condition humaine qui peuvent et qui devraient prévaloir.

Que recherchez-vous chez un réalisateur ? De quoi avez-vous besoin de sa part pour donner une bonne ou une meilleure performance ?

Je ne sais pas. Je n’ai jamais eu de réponse claire à ce sujet. Tous les réalisateurs ont leur façon de travailler et je crois que j’ai de la chance de ne pas avoir besoin d’un élément spécifique venant d’un réalisateur car sinon j’attendrais cette chose de chaque réalisateur et s’il ne me la donne pas, j’aurai l’impression d’être foutu. Il m’est arrivé de n’avoir que trois conversations avec un réalisateur en six semaines de tournage et c’est très bien. Je pense qu’il me l’aurait dit si quelque chose n’allait pas, et d’ailleurs c’était peut-être le début d’une de ces trois conversations. J’ai eu des relations plus poussées avec d’autres réalisateurs et c’est cool aussi. En fait, la seule chose qui est bien sur un film, mais je ne sais pas si j’en ai besoin, c’est une vision claire de ce que le réalisateur veut. Et c’est ce que vous avez avec Tim, comme avec Yorgos Lanthimos et Martin McDonagh.

Article paru dans L’Ecran fantastique – Hors-série n°30 – Vintage Tim Burton – Janvier 2019

Crédit photos : © Disney