Quand on lui demande son pire défaut, la réponse de Pierre Niney ne se fait pas attendre : l’impatience. Mais quand on lui demande sa principale qualité, il bredouille, cherche ses mots et finalement, ne trouve rien à dire. Il suffit pourtant d’une petite demi-heure d’interview et de quelques questions pour qu’il les dévoile inconsciemment, ses qualités. Et elles font chaud au cœur.

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Le garçon est donc impatient. C’est presque de l’hyperactivité. Quand il est debout, il ne tient pas en place, parcourant la pièce de long en large, jetant un coup d’œil ici, effleurant un objet là. Une fois assis, on imagine ses pieds souffrant d’une discrète bougeotte. Et il doit s’occuper les mains. Un trombone fait parfaitement l’affaire. Il le fera jouer entre ses doigts pendant de longues minutes, résistant le plus longtemps possible avant de finalement le déplier jusqu’à le rendre informe. En pleine promotion de son nouveau film, Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, on sent que Pierre Niney est pressé d’être déjà ailleurs. A parier, que c’est sur scène.

Il le dit lui-même, « à 12-13 ans, j’étais déjà très énergique et j’ai voulu mettre cette énergie au service de quelque chose. » Trop petit pour jouer au basket (une réincarnation en Tony Parker ne lui déplairait pas !), il s’est lancé dans le théâtre, plus à sa portée… verticale. « J’ai toujours été fasciné par les conteurs et je me suis rendu compte que le fait de jouer des textes, d’interpréter des personnages et de raconter de petites histoires parlait à tout le monde. Cette envie que quelqu’un nous raconte une histoire semble universelle, comme un besoin assez archaïque. »

La passion et la fidélité

pierre-niney_4De fasciné, Pierre est vite devenu passionné. Son amour de l’art dramatique s’est alors nourri de bons profs de théâtre, de découverte d’acteurs comme François Morel sur scène ou Patrick Dewaere au cinéma, d’une admiration sans borne pour Michel Bouquet ou Leonardo DiCaprio, d’une première interprétation réussie… Il a suivi la voix royale de l’acteur : théâtre à l’école, Cours Florent, Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris et enfin la Comédie française qu’il a intégrée en octobre 2010, faisant de lui, à 21 ans, le plus jeune pensionnaire. « La Comédie française m’a appris énormément de choses : être un peu plus patient, devenir humble, regarder les autres travailler de façon utile, gérer mon ego… Quand tu quittes un plateau de cinéma, il est toujours bon de se recentrer sur la notion de travail, de troupe, de collectif et d’artisanat. Pour moi, les acteurs de la Comédie française sont des artisans et j’aime beaucoup cette idée de savoir-faire. Je trouve ça beau : savoir bien raconter des histoires, connaître ses outils de travail que sont sa voix et son corps. La Comédie française est aussi une aventure humaine assez dingue. Tu es avec soixante personnes que tu connais et que tu côtoies tous les jours. Ils deviennent une vraie famille. Et c’est assez « piégeux ». A mon arrivée à la Comédie française, je me suis dit que j’en partirai quand j’en aurai envie, comme ça. Personne ne t’en empêche, d’ailleurs. Sauf toi. Parce que tu as des coups de cœur pour les gens, pour les pièces, pour les lieux comme la salle Richelieu ou le théâtre du Vieux Colombier. J’y ai trop d’attaches maintenant. »

Et Pierre aime cette fidélité, que ce soit dans sa vie professionnelle ou dans sa vie privée. Il a rencontré ses meilleurs amis en primaire et au collège. Acteur professionnel depuis l’âge de 16 ans, il était souvent en tournage ou en tournée quand eux partaient en vacances. « Ma vie était différente, j’avais d’autres problématiques qui normalement arrivent plus tard. Mais j’ai toujours voulu ça et je n’ai aucun regret. » Aujourd’hui, leurs rencontres sont souvent faites de défis, une vieille tradition, façon Jeux d’enfants de Yann Samuell. Tout aussi mortel mais au sens figuré. Ils mettent des défis dans un chapeau, ils en tirent un et sont obligés de le relever. Le dernier en date pour Pierre : ne pas parler pendant trois jours. Il a craqué au deuxième jour. Difficile de se taire quand on aime trop plaisanter.

 L’humour et la curiosité

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Le jeune homme carbure en effet au rire. Il a un humour assez British, léger, subtile, avec juste ce qu’il faut d’impertinence. Et de ridicule. Il sait faire le grand écart entre le Hyppolite de Phèdre à la Comédie française et le Goldman de sa série, Casting(s). « Si le ridicule tuait, je serai mort depuis longtemps. The Big Lebowski des frères Coen est un de mes films cultes (juste après le Casino de Martin Scorsese). Il parle de la médiocrité humaine et l’élève au rang de génie. Le ridicule flirte toujours avec le génial. Regardez Molière. Patron de la Comédie française, il écrivait des comédies avec des quiproquos et des jeux de mots, sur des sujets sérieux, politiques et brûlants pour l’époque. Et c’était à se tordre de rire. Il n’est pas question pour moi de choisir entre le sérieux et la comédie. Cela n’aurait pas de sens. J’ai envie de jouer les deux. Je suis curieux des deux. Et je vais toujours où la curiosité m’emmène. »

Dernièrement, cette curiosité, loin d’être un vilain défaut dans son cas, l’a donc porté vers Yves Saint Laurent. Un rôle qu’il ne pouvait pas refuser. « Je suis dans une position de chance inouïe car je reçois des scénarios, surtout depuis J’aime regarder les filles de Frédéric Louf [son premier rôle principal au cinéma]). Je trouve exceptionnel le seul fait qu’on pense à moi pour des films. Et ce sont des scripts très différents et très surprenants : des problématiques et des personnages adultes, des thrillers, des films politiques… Je suis content que les gens aient cette imagination-là. La Comédie française y est aussi pour quelque chose. Yves Saint Laurent est mon premier rôle d’adulte au cinéma mais au théâtre, j’ai déjà eu la chance d’en interpréter quelques uns dans des Marivaux, des Koltès [son auteur préféré], des Racine… Tous ces rôles ont préparé le terrain pour Yves Saint Laurent, pour travailler sereinement sur un personnage compliqué, avec des problématiques d’adulte. Ce genre de rôle riche et dense arrive généralement plus tard, pas à 24 ans, mais j’étais déjà dans cette énergie de travail. »

 Le talent et la précision

pierre-niney_5Si les thèmes des scénarios ont changé, ce n’est pas le cas du critère de choix de Pierre : le coup de cœur. « Yves Saint Laurent a été un coup de cœur à tout point de vue : scénario, réalisateur et au-delà de ça, le personnage, la personne d’Yves Saint Laurent. Je connaissais très peu de choses sur lui : sa silhouette, ses lunettes, la marque et enfin l’idée de perfection dans son travail. » Une notion qu’ils ont tous les deux en commun.

Pierre s’est littéralement fondu dans le personnage, jusqu’à disparaître. Il a travaillé sur le corps et la voix d’Yves Saint Laurent, passant trois mois à écouter tous les jours des interviews du couturier. Il a aussi été coaché en dessin pour s’approcher au maximum de son trait de crayon, en stylisme pour savoir comment toucher les tissus, les reconnaître, apprendre les codes d’un atelier de couture, le vocabulaire et se sentir suffisamment à l’aise pour improviser, et en sport pour se façonner la silhouette du personnage dans les années 1970, à la carrure d’épaule plus homme.

Sa préparation minutieuse ne l’a pas empêché d’éprouver un doute constant. « Parce que je ne voulais pas me décevoir, ni décevoir Jalil qui a écrit un scénario magnifique. Et parce qu’au-delà de ça, je raconte le destin bouleversant de quelqu’un qui a existé. Mais j’ai toujours le doute, quel que soit le projet ou le personnage, que ce soit au théâtre ou au cinéma. Sinon, ce ne serait pas drôle. » Et il éclate de rire avant de reprendre son sérieux, avec néanmoins le regard doux rêveur : « J’ai aussi été touché par l’histoire d’amour entre Yves Saint Laurent et Pierre Bergé et j’avais envie de bien raconter cette histoire. Je ne prétends pas faire autre chose que ça : raconter des histoires. »

Article paru dans Zebule – N°5 – Janvier 2014