Dans L’Aliéniste, adaptée du roman éponyme de Caleb Carr, Luke Evans incarne John Moore, un illustrateur de journal, mêlé à l’une des premières affaires – fictives – de tueur en série dans le New York de 1896. L’acteur a accepté de répondre à quelques questions alors qu’il achevait le tournage à Budapest, en Hongrie. La diffusion des dix épisodes commence sur Polar+ ce 2 avril.

Luke Evans dans L’Aliéniste

Connaissiez-vous le livre de Caleb Carr avant d’accepter la série ?

Non. Et vous ?

Oui. Vous l’avez lu depuis ?

Oui.

Le John Moore de la série est-il fidèle à celui du livre ?

Nous avons gardé quelques aspects de sa personnalité. J’avais une idée sur la manière dont je voulais l’incarner. Il est légèrement différent du livre mais en même temps, je respecte beaucoup sa personnalité. Il fréquente toutes les strates de la société. Il va à l’opéra, il côtoie des gens comme le psychologue Laszlo Kreizler, il fait partie du cercle huppé de sa grand-mère, il passe du temps dans les maisons closes… Il est aussi un alcoolique hautement fonctionnel. Quand nous faisons sa connaissance, il s’est tourné vers l’alcool parce qu’il a le cœur brisé. Je dirais qu’il est à 80% comme le John Moore du livre mais en plus divertissant.

Et-il aussi perdu que dans le livre ?

Il est un homme brisé à plus d’un titre. A son âge, il devrait déjà être marié et avoir des enfants mais il est tombé amoureux de la mauvaise femme et il ne s’en est pas encore remis. Il se tourmente lui-même, se punit lui-même. Il se perd dans ce monde d’alcool et de prostitution afin d’ignorer la réalité. Mais il cache bien son jeu : il a une carrière, il est éduqué et sociable, tout le monde l’aime bien. Il a le cœur sur la main, c’est un homme mené par ses émotions. Il va vivre une expérience extraordinaire qui va le changer à 100%. Et c’est merveilleux pour moi, en tant qu’acteur, de pouvoir jouer toute cette palette de nuances.

Comment qualifieriez-vous sa relation avec le docteur Laszlo Kreizler, joué par Daniel Brühl ?

Cette dynamique entre eux a existé dès le début. Ils sont pourtant deux personnes très différentes que ce soit en termes de personnalité, de façon de vivre ou d’objectifs et de priorités dans la vie. Cela ne pouvait que générer une amitié captivante entre les deux hommes. Vous réalisez peu à peu qu’ils ont besoin l’un de l’autre, qu’ils se reposent l’un sur l’autre pour différentes choses. Ils ne vont pas se le dire mais ils ont cette solide amitié qui nécessite de la patience, de la tolérance et du pardon. Comme toute vraie amitié.

Et celle entre John et Sarah, jouée par Dakota Fanning ?

Dakota Fanning et Luke Evans

Voilà une relation intéressante ! Il existe une différence d’âge entre eux. Ils se connaissent depuis qu’ils sont enfants. Leurs familles sont amies. Quand ils se retrouvent dans la série, cela ne se passe pas très bien entre eux et elle est très agressive. Sarah est une femme forte et très indépendante, une féministe. Elle n’a pas besoin d’un homme pour se définir. Elle est la première femme à travailler dans la police de New York. Elle en est fière et elle est très ambitieuse. Elle connaît Laszlo et elle a plus de respect pour lui que pour John. Dakota et moi avons créé une bonne dynamique avec laquelle jouer. Et vous pouvez réellement développer leur relation sur dix épisodes. Vous voyez ce qu’il arrive à deux personnes quand elles partagent une même expérience et sont forcées de s’accorder. Parfois elles n’y parviennent pas. Sarah et John font un sacré voyage dans la série. Il y a un vrai suspens quant à ce qu’ils vivent.

Le tournage dure depuis six mois. A incarner un personnage, surtout aussi intense, si longtemps, cela devient-il difficile de le laisser à la porte du plateau en fin de journée ?

Je n’ai pas de problème avec cela. Il faut apprendre à faire la part des choses. Vous ne pouvez pas vivre tout le temps avec votre personnage. Mais c’est vrai que six mois avec un même personnage, c’est long. Surtout avec John Moore. Les téléspectateurs voient le monde de cette série à travers ses yeux, il est donc partout, dans beaucoup d’intrigues.

Est-ce plus satisfaisant pour un acteur de participer à un tel projet qu’à un film ?

Vous avez plus de temps. Sur un film, vous êtes limité à deux heures et il n’y a généralement qu’une histoire à la fois, une seule intrigue qui cimente tout l’ensemble. Avec dix épisodes, c’est dix heures d’histoires. Ce qui signifie que vous pouvez réellement développer des intrigues et des sous-intrigues, explorer le monde dans lequel les personnages existent, éloigner votre personnage de l’histoire principal et en voir plus que dans un film. Nous avons le temps, l’argent et le talent de toute une équipe créative. C’est pour cela que nos décors sont si somptueux, si extraordinaires. Ils nous aident massivement dans notre travail d’acteur. Vous ne voyez pas ce niveau de détails sur tous les décors. Ici, vous ouvrez un tiroir et les objets à l’intérieur sont authentiques. Dans la série, je suis un artiste, un illustrateur pour le New York Times. Mon carnet de croquis est fait à la main avec mes initiales gravées sur le cuir. J’ai des petites boites en argent pour mes instruments de travail. L’une d’elles contient de petits morceaux de charbon, une autre des mines de plomb…

Qu’en est-il du rythme du tournage. Est-il vraiment plus rapide que sur un film ?

Pas sur cette série. (Sourire) Nous avons un rythme très lent, comme sur un film. Parfois il est même plus lent. (Sourire) Je pense que c’est parce que nous travaillons sur un projet spécial. TNT [la chaine qui a diffusé la série aux Etats-Unis] et Paramount [une des sociétés de production] ont été très clair sur l’importance de cette série. C’est un gros projet. Il émane d’un livre qui a été extrêmement bien reçu, il avait donc besoin d’être mené à bien, et ce avec délicatesse et respect. Il y a 25 ans, les gens ont adoré ce livre. Historiquement, il dresse le portrait de New York alors que la ville est en pleine période de transition. Il est précis et détaillé et c’est pourquoi nous avons tenu à faire la même chose. Nous ne pouvions pas précipiter les choses. Cela prend une journée entière pour tourner une scène avec 300 figurants. Les décors doivent apparaître d’une certaine façon, les personnages doivent avoir un certain look, parler d’une certaine manière. Ce tournage requiert beaucoup de travail et génère beaucoup de tension. Il demande du temps. Les scènes ne se font pas en une prise.

Le sujet du roman est très sombre mais la période est celle de l’Age doré des Etats-Unis. Est-ce que cette prospérité se voit dans la série ?

Vous en apercevez des aspects surtout en suivant l’histoire et les expériences de mon personnage. (Rires) Mais la plupart du temps, vous voyez la face cachée de cet Age d’or avec la saleté, la poussière, la pauvreté, la maladie, le trafic d’êtres humains, la prostitution, la dégradation de la vie comme cela existait dans le Lower East Side de New York en 1896. Un endroit très tragique. Nous n’ignorons pas cet état de fait. Au contraire, je crois que vous n’avez encore jamais vu un New York comme cela auparavant dans une série. Par moments, vous voulez détourner les yeux tellement cela vous touche parce que cela semble si authentique et réaliste. Les images vous font vraiment sentir les odeurs, la chaleur et la saleté. Vous devez avoir déjà vu de vieilles photos d’une famille de 20 personnes vivant entassées dans une petite pièce. Nous avons tourné une telle scène. Ce jour-là, nous avons quitté le plateau dans un état de choc. Nous ne faisons pas du Downton Abbey. Rien n’est joli. Il y a quelques beaux moments mais la série parle d’une période et d’une ville sombres. Et les détails sont extraordinaires. En un plan, vous pouvez voir le linge étendu au troisième étage d’un immeuble, un enfant jouant avec une borne à incendie cassée et un cheval mort. Chaque jour, nous avons l’impression de voyager dans le temps.

La série fait néanmoins écho au monde d’aujourd’hui avec les thèmes de l’immigration, de la pauvreté, de la prostitution ou du féminisme.

Absolument. Et plus encore avec le flot d’informations que nous jettent aujourd’hui Internet et la télévision quant à ce qu’il se passe en dehors de notre petite vie. La série montre ce qu’il se passait dans une minuscule partie de New York en 1896 : le choc des cultures, le désespoir. C’est un microcosme qui reflète le monde. La pauvreté n’a pas changé, elle est de pire en pire. Vous verrez des moments de désolation totale dans cette série.

Comment cela vous affecte-t-il personnellement de visiter ce genre de ténèbres, même fictives ?

Dakota Fanning, Daniel Brühl et Luke Evans

Nous discutons beaucoup de certaines scènes après les avoir tournées ou entre deux prises. Nous avons filmé une séquence avec un enfant assassiné. Son corps a été démembré. Bien sûr, le corps est un mannequin mais il paraissait si réel. A un moment, vous devez vous pincer pour être sûr que ce n’est pas réel. Mais vous gardez cette image à l’esprit alors que vous voyez les enfants dans la rue habillés de guenilles, mendiant pour de la nourriture ou la volant sur les étals. Cela vous fait réfléchir. Les critiques littéraires du livre de Caleb Carr ont dit que c’était le thriller le plus authentique qui n’ait jamais été écrit. L’auteur est un historien. Il a su mettre la réalité dans son histoire en comprenant et en respectant la période et la ville, avec de nombreux détails. Nous avons vécu de sacrées journées en tant qu’acteur. Il y a une scène où nos personnages rencontrent une pauvre femme dont le fils a été assassiné. Elle pleure, elle est italienne et ne parle pas anglais. Elle pense que nous allons l’aider parce que nous sommes là, avec nos jolis habits. J’ai un mouchoir sur le nez pour ne pas respirer l’air putride. Un bébé crie dans son berceau. Les grands-parents sont dans la pièce à coté en train, de manger un bout de pain. Ce plan nous a marqués par sa force. Alors que ce n’est qu’une série. Nous avons la chance de ne pas travailler devant des écrans verts avec seulement notre imagination pour tout décor. Ici, ils ont construits des décors incroyables qui nous aident à sentir la réalité et l’authenticité de nos scènes.

Etes-vous, comme beaucoup, fasciné par les tueurs en série ?

Non. Ce qui me fascine, c’est la psychologie criminelle connectée au meurtre et à la mort. Beaucoup voient le meurtre d’une personne comme ce qu’un être humain peut faire de pire à un autre être humain. Il prend une vie. Quand vous avez un tueur en série qui le fait une première fois, puis une seconde et qu’il continue avec tant de minutie, vous vous demandez comment quelqu’un peut faire cela. Quand vous voyez à la télé ce qu’il se passe dans le monde, vous vous demandez comment cela peut arriver. Comment un être humain peut-il faire cela à un autre être humain ? Les tueurs en série représentent une version extrême de tout ceci. C’est quelque chose qui nous terrifie tous.

Comme le livre, la série explore-t-elle la nature du mal ?

Luke Evans et Daniel Brühl

Nous cherchons à entrer dans l’esprit du tueur, à comprendre pourquoi il agit ainsi et quel genre de vie a pu le rendre comme cela. Toutes ces questions sont posées par Laszlo. Il veut pénétrer la psychologie du tueur. Ce qui n’est pas le cas de tous. Mon personnage n’en a aucune envie. Il souffre en plus presque tout le temps d’une gueule de bois. La dernière chose qu’il veut, c’est voir un enfant mort, aller à la morgue ou assister à l’exhumation d’un jeune garçon. Mais Laszlo nous force à travailler en équipe et à explorer toutes les options. Nous essayons alors de penser comme le tueur afin de le devancer avant qu’il ne tue un autre enfant. La série est bien écrite et extrêmement complexe. Parfois, je dois relire le scénario pour savoir où nous en sommes.

Caleb Carr a écrit une suite, L’ange des ténèbres. Pensez-vous que la série aura une seconde saison ?

Nous verrons. Attendons de savoir ce que le monde pense déjà de cette première saison.

Crédit photos : © Katalin Vermes, Turner Entertainment Networks