Elle qui a toujours été du bon côté de la loi passe du côté obscur le temps d’A vif, un film où elle joue les justiciers dans la ville, où elle dessoude du simple délinquant au pire des meurtriers. C’est jouissif. C’est révoltant. C’est incompréhensible de sa part. Jodie Foster s’en explique, en français dans le texte.

Quelle a été votre première réaction à la lecture d’un tel scénario ?

Jodie Foster : Le premier scénario était très différent. J’ai passé six à huit mois avec le scénariste et le producteur pour le réécrire mais il avait déjà cette petite chose totalement fascinante, ce côté très primaire, élémentaire, sale. Nous sommes parvenus à le faire ressortir. Pour moi, Erica est un personnage totalement émouvant. Horrifiant et monstrueux mais aussi très beau. Comme je trouve belle cette relation entre Erica et Mercer, le flic chargé de l’enquête. Ils sont attirés l’un vers l’autre, pas sexuellement, mais attirés pour une raison consciente. Elle se dit que c’est un bon flic, qu’il a cette ligne droite de conduite qu’il ne dépassera jamais et elle a envie que ce soit lui qui la descende. Lui est attiré parce que c’est une victime, il se sent mal pour elle, il ressent de la pitié et il veut la protéger. Mais derrière ces deux pensées conscientes, elle sent qu’ils sont pareils et qu’il peut franchir la ligne et lui sent qu’elle est coupable. J’ai trouvé cela fascinant à travailler.

Erica cherche aussi une sorte d’approbation auprès de Mercer. Après l’un des meurtres, elle dit ne pas avoir les mains qui tremblent et quand elle lui demande s’il a les mains qui tremblent quand il tue quelqu’un et qu’il répond non car il est du bon côté de la loi, cela la conforte dans ses crimes.

Jodie Foster (Erica) et Terence Howard (Mercer)

Oui. Ce qu’elle ressent est monstrueux, elle le sait, elle n’est pas bête mais c’est primaire, c’est vrai et c’est authentique. Et elle vit cela pour la première fois de sa vie. Parce qu’elle est un peu dérangée même avant, c’est une aliénée de la vie, elle ne va pas bien dans sa tête et elle trouve à travers le pouvoir de ce pistolet une sorte de souffle de survie. A chaque fois qu’elle tire, c’est comme si elle criait : « J’ai envie de vivre ! ». C’est quelque chose de très primaire, d’affreux mais en même temps de très beau. Enfin, c’est mon côté littéraire qui voit une sorte d’existentialisme dans ce qu’elle fait, même si c’est horrible et que cela la rend malade.

Aviez-vous déjà cette fin révoltante ?

Oui, cette fin est ce qui est le plus choquant dans le film. Ce qui doit vous rendre malade. Je voudrais que les gens sortent mal à l’aise de ce film.

Il y a aussi une sacrée escalade dans le crime. Au début, elle achète son arme pour se protéger mais elle provoque très vite des inconnus pour les tuer.

J’adore cette architecture des crimes. De plus en plus elle descend dans cette sorte de folie, elle provoque pour qu’elle puisse revivre encore une fois cette expérience magique. Elle se dit que si elle recréait ces événements [son fiancé battu à mort, NDLR] mais qu’elle changeait la fin… Cette fois, elle sort son pistolet, c’est eux qui meurent et alors son fiancé revient. Elle sait que c’est bête, que cela n’a rien à voir avec la réalité mais chaque fois qu’elle le fait, c’est comme un rituel pour le faire revenir… C’est vrai que mon approche est un peu littéraire… C’est sûr que des gens vont voir le film et juste hurler de joie, qu’ils ne vont pas réagir de la même façon.

[SPOILER]

Ne trouvez-vous pas qu’il manque une rédemption ou un châtiment pour Erica ?

Oui, mais comme dans les films des années 70, nous avons évité la morale avec un joli ruban autour. C’est vrai que ce n’est pas le film typique américain où elle finit en prison et où elle écrit des petits mots au flic. (Rires) C’est malsain et j’ai envie que les gens sortent du film en disant que ce n’est pas bien.

[FIN SPOILER]

N’avez-vous pas peur que ce soit l’effet inverse qui se produise parce que vous êtes Jodie Foster, vous avez un capital sympathie énorme, vous avez des rôles précédents qui font que beaucoup vous voient comme un modèle… N’avez-vous pas peur qu’au lieu d’être révoltés certains suivent l’exemple d’Erica ?

C’est possible. C’est possible que des gens ne voient pas le film de façon sophistiquée mais juste de façon primaire. C’est possible. Mais cela, je ne peux pas le contrôler. C’est aussi vrai que des gens vont détester le film, qu’ils vont être très en colère. Si c’était un film avec un inconnu, qui sort dans sept salles à Paris, il n’y aurait aucune critique. Mais là, c’est un film produit par la Warner et avec moi. C’est cela le problème. Mais ce n’est pas de ma faute.

Ne pensez-vous pas que l’artiste a une responsabilité morale vis-à-vis du message qu’il transmet dans son art ?

Si, mais je pense que ce film parle d’un malaise social. C’est vrai qu’il en parle d’une façon sophistiquée mais il constate tout simplement un malaise social. Alors, j’espère avoir raison et que les gens le verront comme cela mais c’est possible que certains ne soient pas d’accord avec cette façon de voir le film…

Article paru dans Ciné Live – N°116 – Octobre 2007

Crédit photos : © Warner Bros