Acteur, réalisateur et scénariste, Fred Scotlande a écrit Loin de chez nous, une dramédie qui suit des militaires et une journaliste français pendant la guerre en Afghanistan. Il l’a tournée à Bry-sur-Marne, dans la banlieue parisienne. Visite sur un plateau surréaliste. France 4 diffuse la série à partir de ce soir.

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L’actrice Charlie Bruneau vêtue d’une burka tient compagnie à la chèvre Pénélope sur le siège arrière d’un taxi. Ou peut-être est-ce l’inverse tant Pénélope est turbulente : elle mordille, gigote et bêle. La comédienne lui fait la conversation et lui donne des amandes pour la calmer. Sans grand succès. Elle ne peut non plus s’empêcher de rigoler quand la chèvre la chatouille. Les prises s’enchaînent à cause de la belle et la bête et le réalisateur Fred Scotlande s’impatiente. Son plan de travail est serré. Il doit tourner neuf minutes utiles par jour. On est au 29ème jour du tournage de sa série, Loin de chez nous. Il lui en reste huit sur son planning. « J’ai l’impression de courir un marathon en tongs, » plaisante-t-il.

Grégory Montel et Fred Scotlande

Grégory Montel et Fred Scotlande

Loin de chez nous raconte les ultimes jours de la présence en Afghanistan du dernier contingent de soldats français. Une journaliste, Julie, est venue couvrir leur départ. « Pour elle, c’est le reportage de sa vie, raconte son interprète Charlie Bruneau. Mais le départ a été anticipé et elle se retrouve à couvrir un déménagement qui n’a aucun intérêt. Elle va donc commencer à fouiner pour trouver un sujet. » Quand elle le trouvera, rien ne se déroulera évidemment comme prévu. Dans la scène du jour, Julie a quitté le camp de base militaire. Son taxi est stoppé à un barrage taliban. Au moment de partir, son chauffeur a échangé son sac de voyage contre la chèvre. Si les Talibans avaient trouvé son sac, ils auraient arrêté Julie. « Nous sommes dans l’esprit de M.A.S.H. de Robert Altman, affirme Grégory Montel qui interprète le capitaine Bellech. Nous parlons de sujets extrêmement graves mais nous en rions. La comédie est présente en permanence. Et pour Fred, là où il y a de la comédie, il y a de la poésie. La série est donc très drôle et très dure mais avec de la poésie partout. »

Le désert afghan à Bry-sur-Marne

La série se passe dans le désert afghan mais se tourne dans les studios de Bry-sur-Marne. Le plateau extérieur est entouré de rideaux bleus – et non verts car cette couleur est présente dans les uniformes militaires. Le sol est tapissé de sable humide qui crisse sous les chaussures. De petites dunes ont été placées ici et là. Un technicien prévient qu’il ne faut pas se laisser tomber dessus car ce sont en fait des tas de pierres et de gravas sous des bâches recouvertes de sable. Il pleut. Il fait froid. Les bruits de l’autoroute se font entendre au loin. Ils sont parfois couverts par le vrombissement d’un avion qui passe dans le ciel. Le montage son va être un casse-tête en post-production. Ce problème n’aurait pas existé en plein désert.

ldcn« Tourner à l’étranger nous faisait perdre notre financement public, remarque Hervé Bellech qui, avec Xavier Matthieu, produit la série au sein de CALT Production, la filiale de production télévisuelle de Robin & Co. Tourner en région nous apportait une petite subvention qui aurait vite disparu dans les coûts de délocalisation. Notre meilleur compromis entre le financement et l’ambition du projet était donc de tourner en Ile-de-France sur fond bleu. » A cause de ce fond bleu, il y a deux petites caméras de plus sur le tournage. Une fixée sur la caméra qui tourne et une qui reproduit le mouvement de la caméra qui tourne. « Grâce au logiciel SolidTrack, elles capturent en temps réel la position et l’orientation de la caméra qui tourne, explique Jean-François Szlapka, directeur général et directeur R&D Mocap de la société SolidAnim. Ses calculs intègrent les paramètres de zoom, de focal… » Des plans de paysages ont été tournés en Espagne. Quand ils seront incrustés en post-production, les calculs seront déjà faits. Tout ce qui est fait au moment du tournage est autant de temps – et donc d’argent – de gagner en post-production. « La série coûte 2,9 millions d’euros (dont 960 000 euros de France 4) pour dix épisodes de 26 minutes, reprend Hervé Bellech. Nous sommes dans une économie précaire. Les acteurs ont acceptés le minimum syndical, les producteurs s’assoient sur leur marge et les prestataires jouent le jeu. Mais tout a été possible grâce à cette émulation de groupe derrière le leader artistique Fred Scotlande. » Ce dernier ne cache pas avoir préféré peu de moyens mais une totale liberté dans l’écriture.

Des acteurs entraînés pas le GIGN

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Les Chats noirs

Fred Scotlande est le scénariste, le réalisateur et l’acteur principal de Loin de chez nous. Il porte ce projet depuis cinq ans. Il voulait écrire une série sur l’armée, l’esprit de camaraderie poussée à l’extrême, la guerre en Afghanistan… « Je ne voulais pas montrer que le côté français et dire ‘on est les gentils’. Tout est gris là-bas. On ne peut pas trouver de raisons de pardonner les Talibans mais on peut au moins les comprendre. Ils sont comme des résistants face à l’occupation. Tout le monde a son avis sur la présence française en Afghanistan. J’ai voulu multiplié les points de vue sur le problème et poser plus de questions que donner de réponses. Nous y sommes allés et nous en sommes repartis mais qu’y avons-nous apporté ? Rien n’a changé là-bas. Ma série n’explique pas la guerre en Afghanistan. Elle ne prend pas non plus parti. »

Fred Scotlande

Fred Scotlande

Pour exprimer ces différents points de vue (de militaires, de religieux, de femmes…), Fred Scotlande a écrit cinq personnages principaux. Dostali, le chef de groupe d’élite des Chats noirs (qu’il interprète) ; Julie, la journaliste ; Gaultier, l’auxiliaire sanitaire (Gwendolyn Gourvenec) ; Padré, l’aumônier (Olivier Charasson) ; et le capitaine Bellech, le chef du contingent. Seul Padré est inspiré de personnages réels que Fred Scotlande a côtoyés pendant ses deux ans dans les troupes de marine de l’armée de terre française. Les autres sont imaginaires. Il a aussi inventé le groupe de combat des Chats noirs. Au casting, il a été confronté à des acteurs qui n’avaient pas fait leur service militaire. Pour créer un esprit de cohésion mais surtout les rendre crédibles avec une arme d’assaut, il les a emmenés dans un boot camp de trois jours en forêt de Fontainebleau. Un ancien du GIGN s’est occupé de leur préparation physique. « Quand tu as une arme au bout de la main, tu sais que c’est un bout de métal dégueulasse, que c’est un outil pour tuer, souligne Sébastien Lalanne qui incarne l’un des Chats noirs. Cela rassure de se dire que nous ne sommes pas habitués à cela, que ce n’est pas notre culture. Au départ, c’est même pénible mais au bout d’un mois de tournage, pendant lequel nous avons nos armes d’assaut sur nous tout le temps, cela fait partie de nous. Nous nous déplaçons sans nous cogner partout, nous avons adopté des postures de militaire, nous manipulons les armes comme des oufs, nous faisons même attention aux douilles quand elles sont éjectées. Je trouvais l’équipement très lourd avant. Maintenant, je me sens tout nu sans lui. »

En dépit de ces Chats noirs, Fred Scotlande tient à préciser que Loin de chez nous n’est pas une série sur la guerre mais sur les hommes et les femmes qui font la guerre. Il dit cela tout en délaissant sa casquette de réalisateur pour coiffer son casque de soldat. Juché sur un cheval, son personnage regarde un assistant du film qui tourne en rond à vélo sur le sable. A l’écran, il regardera un Taliban rouler en Vélib dans le désert afghan. Ce qui est plus réaliste qu’il n’y paraît.

Article paru dans Studio Ciné Live – Hors-série Spécial séries télé  – Avril 2016

Crédit photos © Paul Villecourt / CALT Production

 

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