Il y a des rencontres qui marquent parce qu’elles sont parfaites. D’autres parce qu’elles tournent à la catastrophe. Et il y en a qui sont tout bonnement surréalistes. Comme celle avec Michael Keaton, à l’affiche de Birdman d’Alejandro González Iñárritu.

Michael Keaton ©Ricardo DeAratanha / Los Angeles Tiùes

J’adore Michael Keaton. Il m’a fait mourir de rire avec son Beetlejuice et il reste pour moi la meilleure incarnation du Batman. En préparant l’interview, j’ai réalisé que ces deux films datent respectivement de 1988 et 1989. Et depuis ? Je suis incapable de citer un autre de ses rôles qui m’a marquée. Jusqu’à Birdman où il est simplement magistral. Il y joue un acteur has been, disparu du devant de la scène après avoir connu la gloire grâce à un personnage de super-héros et qui tente son comeback.

Après les politesses et banalités d’usage, je commence donc par lui faire remarquer que la comparaison semble inévitable avec sa propre carrière entre Batman et Birdman. Calmement mais fermement, il lance : « Non, en réalité, je suis un acteur respecté. » Je réalise tout à coup que je marche sur des œufs : « Peut-être dans la profession mais pour ceux qui ont vu vos films… » Il hausse les épaules : « Non, ce n’est pas grave. Mais je ne sais pas ce qu’est un acteur has been. C’est quoi pour vous ? » J’entends les œufs craquer sous mes pieds : « Un acteur qui était bon mais qui a perdu… » Il m’interrompt avec un catégorique : « La plupart des gens ne savent pas de quoi ils parlent. Tous les acteurs sont bons. Ils sont courageux, ils se mettent à nu. Etre acteur est difficile. » Mes pied baignent dans l’omelette.

Footballeur, plombier, pape

Il me demande : « Vous avez déjà été joueuse professionnelle de football américain ? » J’écarquille les yeux et un ange passe. Et dire que j’ai toujours la hantise de poser une question stupide… « Alors vous ne pouvez pas dire qu’un joueur de football américain est un has been. » Il continue sa démonstration avec les plombiers. Le voilà ensuite qui égratigne « ces gens ignorants qui portent des jugements sur les réseaux sociaux ». Puis il affirme que celui qu’il préfère en ce moment est le pape François « parce que personne ne fait mieux que lui ce qu’il fait, ni dit mieux que lui ce qu’il dit ». Enfin, il revient de lui-même au sujet qui nous concerne : Birdman, sa vie, son œuvre. Ouf.

S’ensuit un échange beaucoup plus calme sur son métier d’acteur, sa pertinence, la popularité, le succès ou pas… Et sa curiosité de chaque instant. Sauf pour ses films. Le comédien n’en a pas vu un seul depuis 15 ans. Il dit qu’il avait autre chose à faire. Il dit qu’il était là pour les faire et qu’il sait donc ce qu’ils pouvaient donner à l’écran. Jusqu’à Birdman… Son processus de fabrication a été si difficile qu’il était curieux de voir le résultat. S’il n’est pas curieux de ses films, l’est-il de ceux des autres ? Ma question doit l’ennuyer car pour y répondre il s’adresse au mur derrière moi. Goujat. Je fais mentalement la liste de tous les synonymes que je connais de ce substantif et j’y ajoute quelques noms d’oiseaux.

Julien Lepers et les chasseurs

Mal m’en prend car je remarque à peine qu’il a fini de parler et qu’il me regarde à nouveau droit dans les yeux attendant la suite. Je bafouille un truc auquel il répond, moqueur : « Vous avez au moins trois questions là-dedans. » Je reprends contenance comme si de rien n’était et opte pour une question à laquelle il répond en s’adressant cette fois à la porte d’entrée sur ma droite. Goujat, bis.

Sauf que cette fois, avec ce profil que je n’avais pas encore vu, je réalise que j’ai le sosie parfait de Julien Lepers en face de moi. Je l’image dans « Question pour un champion » avec de petites fiches couleur jaune canari. « Mains sur le buzzer. Qui suis-je ? Je suis un acteur respecté par mes pairs. Je me suis fait connaître en interprétant un fantôme mal embouché. J’ai rencontré la renommée mondiale en incarnant un justicier masqué à la nuque raide. Je suis ? Je suis ? » Un chasseur ? Michael Keaton est en train de viser la porte d’entrée avec un fusil imaginaire car il compare le métier d’acteur à un tireur pour la précision qu’il demande. Par chance, l’attachée de presse s’approche, signifiant qu’il faut boucler l’entretien.

Irak, Rwanda, vivement ailleurs

Michael Keaton n’attendra pas ma dernière question, me disant en rigolant que de toute façon tout ça c’est des conneries sans importance, qu’aujourd’hui il y a l’ISIS [Islamic State of Iraq and Sham ou l’organisation terroriste État Islamique qui, quelques jours plus tôt, avait décapité le journaliste américain James Foley, ndlr]. Il dit qu’il avait déjà fait la remarque à un journaliste qui lui demandait qui serait le prochain Batman. A l’époque, il avait parlé du Rwanda. C’était il y a vingt ans, donc. Et je me demande alors vraiment ce que je fais là.

L’acteur m’a émue, surprise, éblouie dans Birdman. L’homme devant moi ce jour-là m’a juste laissée perplexe.

Crédit photos : ©20th Century Fox

Article paru dans Studio Ciné Live – N°66 – Février 2015