Coupez ! est extrêmement malin et prodigieusement drôle. Il manipule le spectateur, le fait souffrir pendant une demi-heure avant de le précipiter dans un pur bonheur de comédie qui ne serait pas aussi jouissif sans ce supplice initial. Un pari risqué mais payant. En dire trop serait cependant gâcher le plaisir de la surprise. Il vaut donc mieux avoir vu le film avant de lire la suite. Coupez ! de Michel Hazanavicius sort en salles le 17 mai. [SPOILERS]

 

L’histoire

Des techniciens blasés et des acteurs peu convaincants tournent un film de zombies dans un bâtiment désaffecté. Le réalisateur, entre désespoir et tyrannie, tente tant bien que mal de mener à bien son projet quand d’authentiques morts-vivants font irruption sur le plateau.

Le concept

Coupez ! commence comme un film de zombies catastrophique avant de dévoiler en flashback les coulisses de sa production et de son tournage qui expliquent ainsi pourquoi c’est un désastre. Entre détournement de films de zombies et faux making of, Coupez ! possède une structure éminemment brillante.

Coupez ! est le remake de Ne coupez pas !

Un remake d’un film d’étudiant

Le réalisateur Michel Hazanavicius raconte qu’il voulait depuis longtemps écrire une comédie de tournage. “Depuis que je travaille, j’ai eu l’occasion d’observer pas mal de comportements marrants et de vivre pas mal de scènes de tournage, parfois étonnantes, parfois ridicules, parfois touchantes. J’aime bien ce matériau de base, un plateau de tournage, qui est une espèce de micro-société un peu exacerbée où les caractères se révèlent souvent de manière spectaculaire.”

Il a commencé le scénario pendant le premier confinement. Il a ensuite parlé de son idée à Vincent Maraval, qui, par coïncidence, venait d’acheter les droits d’un film d’étudiant japonais, One Cut of the Dead (Ne coupez pas !, 2017), le parfait cousin du récit sur lequel il travaillait. Coupez ! est devenu le remake de ce film nippon de Shin’ichirō Ueda, qui lui-même est tiré de la pièce de théâtre Ghost in the Box.

Un film avec un côté malin et un côté abruti

De One Cut of the Dead, Michel Hazanavicius a gardé la structure avec un pastiche dans la première partie, le comique de personnages et de situations dans la deuxième et une sorte de vaudeville dans la troisième. “A l’intérieur des scènes, j’ai voulu mettre plein de choses différentes, des rires différents, avec à la fois des trucs complètement débiles, et des choses plus sophistiquées,” explique le réalisateur. ”Mon idée est que le film est assez smart et malin d’un côté pour se permettre d’être bien abruti de l’autre.

Bérénice Bejo, Matilda Lutz et Finnegan Oldfield

Il a également tenté de rester fidèle à l’énergie de l’original, tourné en six jours, pour très peu d’argent. “Nous avons changé d’économie, bien sûr, mais le film n’est pas non plus très cher,” souligne-t-il. “Nous l’avons tourné en 6 semaines, avec un budget de 4 millions d’euros.”

Enfin, il a repris l’actrice japonaise Yoshiko Takehara qui jouait la productrice dans l’original nippon. “Elle est incroyable,” assure-t-il. “Elle amène une dinguerie non seulement réjouissante, mais très utile au niveau narratif. On peut croire à un projet comme celui du film, s’il sort du cerveau d’un personnage comme elle.”

Un hommage aux gens qui fabriquent des films

Pour Coupez !, Michel Hazanavicius a regardé de nombreux films et séries de zombies, et revu les films de George A. Romero. Il précise cependant que son film n’est pas du tout un film de zombies mais un détournement de films de zombie, un genre pour lequel il éprouve du respect. Voire de la tendresse car il a toujours trouvé les films de zombies marrants.

Selon lui, si la première partie de Coupez ! peut s’apparenter à un pastiche des films de zombies, son long métrage est avant tout “un genre d’hommage aux films bricolés, aux films sans moyens, faits avec plus d’énergie que d’argent. Mais le film dans son ensemble est aussi et peut-être surtout, un hommage aux gens qui fabriquent des films, les acteurs, les réalisateurs, mais aussi les techniciens, les stagiaires, tout le monde. Un hommage au cinéma en train de se faire, au métier du cinéma, au quotidien.

Les personnages se débattent, ils ne sont pas spécialement brillants au départ, ils se confrontent à leurs problèmes, mais à un moment, ils se mettent ensemble et ils arrivent à aller au bout. C’est là où ils deviennent des héros. Le film qu’ils font n’est sans doute pas génial, mais ils le font. Ils y arrivent, c’est ce qui est important.”

Romain Duris, Bérénice Bejo et Simone Hazanavicius

Un film est une belle aventure humaine

“C’est difficile de faire un film,” continue le réalisateur. “Même un mauvais film, c’est dur. Parfois, les critiques nous disent que l’on a fait un mauvais film. Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe. J’ai plein de copains réalisateurs. Je n’en ai jamais vu un dire ‘en ce moment je suis en train de faire un navet’. On fait à chaque fois du mieux que l’on peut. Parfois, on n’est pas à la hauteur du sujet, ou on a des soucis d’argent, ou on n’a pas l’acteur que l’on désirait, ou il ne connaît pas son texte, ou on a de la pluie alors qu’on avait besoin de soleil… Bref on a des tas de problèmes et on ne les surmonte pas toujours. On peut se planter.

Mais en même temps, cela peut être une belle aventure humaine. Faire du cinéma, c’est à chaque fois une expérience humaine hyper fusionnelle, où pendant six, huit, douze semaines, on travaille ensemble, on vit ensemble et chacun fait du mieux qu’il peut. Le collectif est plus fort que l’addition des individus, et l’aventure humaine est parfois plus intéressante ou plus belle que l’objet qu’on fabrique. Et ce n’est pas forcément très grave. C’est ce que raconte le film.”

Un casting enthousiaste…

Quand Michel Hazanavicius appelait les acteurs pour leur proposer un rôle dans Coupez !, la réponse était oui pratiquement tout de suite. “Ils étaient tous ravis de participer à une comédie assumée où ils allaient pouvoir se lâcher, une comédie avec des pourritures zombies, mais aussi des personnages qu’ils connaissent mieux, puisque ce sont des gens de cinéma,” remarque le réalisateur. “Le film a cette chance d’avoir une bande d’acteurs géniaux, disponibles, qui étaient tous heureux d’être là.”

… avec Romain Duris…

Romain Duris

“C’est un acteur que j’adore, et il fait partie de ces acteurs qui se bonifient avec le temps,” remarque le réalisateur au sujet du comédien vu notamment dans la série Vernon Subutex. “Il vieillit bien. Il est hyper beau, très drôle. J’avais envie de travailler avec lui depuis longtemps. Il est très généreux.

Son personnage n’est pas tout à fait le clown blanc, il est plus complexe, mais il est entouré de cas sociaux et Romain a eu à chaque fois l’intelligence de laisser la place à ses partenaires. Il joue ce qu’il y a à jouer, sans se soucier ni du résultat ni du fait qu’il a le rôle principal, et sans chercher à être drôle. C’est extrêmement agréable pour le réalisateur. Il est toujours juste, même s’il est prêt à vous suivre dans des directions qu’il n’attendait pas. C’est une vraie collaboration. Et puis il a accepté en moins de 24 heures, c’est aussi réjouissant d’avoir un acteur enthousiaste, qui a du désir.”

… et Bérénice Bejo

“Chaque film est différent, chaque personnage est différent, il n’y a pas de loi qui voudrait que je fasse tous mes films avec Bérénice, ni qu’elle accepte tout ce que je lui propose,” avoue Michel Hazanavicius, son mari. Le couple s’est rencontré sur OSS 117 : Le Caire, nid d’espion en 2006. “D’ailleurs pour être honnête, pour celui-ci je m’étais d’abord raconté qu’elle n’était pas le personnage. Je lui ai dit que nous ne ferions pas ce film ensemble. Je voyais un personnage plus dur, pour une actrice comme Blanche Gardin, par exemple. Et puis je lui ai demandé de lire le scénario. Elle a aimé, et elle a eu une manière d’aimer qui m’a convaincu qu’elle serait excellente dedans.

Au final, elle est impériale dans le film. C’est une actrice étonnante, qui n’a pas de trucs, elle recommence à zéro à chaque fois. Elle travaille énormément ses rôles – pas seulement physiquement – mais arrive sur le plateau avec une énorme disponibilité, ce qui fait que l’on peut vraiment travailler, chercher, améliorer. Elle aussi amène énormément d’humanité, elle respecte toujours le personnage, sans chercher l’effet, ce qui enrichit la comédie. Bérénice fait partie de ces très bons acteurs, qui peuvent jouer énormément de personnages différents, et qu’il suffit de pousser un petit peu pour basculer dans la comédie.”

Bérénice Bejo

Un film de famille hyper meta

“Ma femme interprète la femme du réalisateur,” sourit Michel Hazanavicius. “Ma fille aînée Simone interprète sa fille. C’est raccord avec le sujet. Le film est méta à plein de niveaux. C’est une mise en abîme constante. Tournage d’un film dans le film qui raconte lui-même un tournage de film, remake d’un film japonais qui raconte le remake d’un film japonais, acteurs qui jouent des acteurs, scènes vues sous plusieurs angles… Même nous au tournage on était parfois perdus.”

Le fameux plan-séquence du début

La première demi-heure est un vrai plan-séquence de 32 minutes, “avec un petit point de montage, que j’ai dû faire pour une raison technique,” avoue le réalisateur. “Mais j’ai pu le faire justement parce qu’il a été pensé, tourné, exécuté comme un plan-séquence. Je n’ai jamais été obsédé par le plan-séquence comme Gaspar Noé ou Alfonso Cuarón. Ça n’a jamais été mon Graal même si c’est évident que ça a souvent une grande force narrative. J’en ai bien sûr fait quelques uns, mais pour la comédie notamment, j’ai tendance à bien découper pour prendre le meilleur de chaque prise, mettre en valeur les acteurs, maîtriser le rythme, etc… Là, il a fallu se confronter à cet exercice, avec en plus la spécificité que ça ait l’air raté. Evidemment en maîtrisant le ratage, puisqu’il prépare la dernière partie. J’ai donc tout storyboardé. Au final, je vois plutôt ce plan comme 250 plans reliés par un seul mouvement de caméra.”

Des semaines de répétitions

Toute l’équipe de Coupez ! a répété le plan-séquence durant cinq semaines sur les six de préparation. Les acteurs venaient tous les jours sur le décor, ainsi que Jonathan Ricquebourg le directeur de la photographie, qui faisait la lumière et qui cadrait. “Des choses ont évolué,” reconnaît Michel Hazanavicius. “J’ai donc re-storyboardé pour que chaque mouvement, chaque place de caméra, chaque timing soit répété et répété jusqu’à être intégré par tous. La dernière semaine de préparation, nous avons travaillé avec la machinerie, les effets spéciaux, les cascadeurs, le maquillage, les costumes. Nous avions le faux sang, des décapitations, les personnages qui se transforment en zombies avec quelques secondes pour les changements de maquillage, les prothèses, les lentilles, etc… On a tout chorégraphié, que ce soit au plus précis autant dans les mouvements que dans le timing.

Grégory Gadebois et Matilda Lutz

Au final on l’a tourné en quatre jours, avec à chaque fois le plaisir de faire une performance. Mais la bonne prise est celle de l’après-midi du quatrième jour. Et je dois dire que toute l’équipe a été admirablement solidaire, et ce qu’on a vécu est d’une certaine manière pas si éloigné de ce qui est raconté dans le film.”

Des effets à l’ancienne

Jean-Christophe Spadaccini, le spécialiste des effets spéciaux, s’est occupé des trucages et autres effets sanglants. “Le défi pour lui, c’était le côté performance, revenir à un esprit de films de série Z, trouver des solutions bas de gamme, mais qui soient justes, qui aient la bonne valeur en termes de narration,” note Michel Hazanavicus. “Pour le plan-séquence, c’était donc comme du direct, il n’avait pas le droit à l’erreur. Il était sur le plateau avec son équipe. Ils balançaient du sang par litres, ils géraient les décapitations, les effets, c’était marrant… Il n’y a rien de numérique dans le film. Tout a été fait sur le plateau, en essayant de trouver les solutions les moins chères, à l’ancienne.”

Crédit photos : © Lisa Ritaine / Pan Européenne