300 est un film qui raconte la guerre des Thermopyles, une histoire des plus passionnantes surtout narrée par Frank Miller et Zack Snyder. Mais 300 est aussi une nouvelle façon de raconter une histoire, un voyage cinématographique inédit et tout aussi épique que son sujet. Un voyage que nous ne sommes pas près d’oublier.

« Un script ? Pourquoi faire ? Je vais le tourner comme c’est là, dans le graphic novel. Vous voyez ce type-là ? Vous voyez ce qu’il y a écrit là, dans la bulle près de sa tête ? C’est cela son dialogue. » C’est ainsi que le réalisateur Zach Snyder présentait son projet d’adapter 300 de Frank Miller au début des années 2000. Il a fait le tour des studios. « Ils me disaient de reprendre mon bouquin, d’en écrire un script et de revenir. Et que là, peut-être, ils feraient le film. C’est à peine s’ils n’appelaient pas la sécurité en disant qu’ils avaient un fou dans leur bureau. Je pensais vraiment que le film ne se ferait jamais, parce qu’il était trop cool. Alors j’ai tourné Land of the dead. »

L’acteur Gerard Butler et le réalisateur Zack Synder

Après la sortie de son film d’horreur, alors qu’il discute de divers projets avec le producteur Gianni Nunnari, il voit un exemplaire de 300 sur son bureau. Les deux décident alors de faire le film. « J’avais produit une pub réalisée par Zach Snyder, raconte le producteur. Il était professionnel, il connaissait la technologie et les jouets dont il aurait besoin pour faire un grand film, même s’il n’en avait encore jamais tourné un. Il avait cette sagesse, cette maturité mais aussi l’enthousiasme d’un gamin. Et il voulait rester fidèle au graphic novel de Frank. Nous étions sur la même longueur d’ondes. »

Franck Miller a écrit 300 en 1998 entre deux épisodes de Sin City. Il avoue avoir toujours été fasciné par l’histoire de ces 300 Spartiates en mission suicide pour sauver la Grèce de l’invasion des Perses en 480 avant Jésus Christ. « J’avais sept ans quand j’ai vu ce film La bataille des Thermopyles (Maté, 1962), espérant jusqu’au bout que les bons n’allaient pas mourir, se souvient l’auteur. Ce film a changé ma vie car pour la première fois les héros ne gagnaient pas de médailles à la fin. Ils avaient fait ce qui était bien en dépit des conséquences. A partir de là, le sacrifice héroïque est devenu un thème important pour moi. » Autant dire qu’il n’allait pas laisser des faiseurs de films massacrer son bébé.

« Obtenir les droits de Frank Miller a été une bataille à elle toute seule, sourit Gianni Nunnari. Au final, il m’a dit qu’il avait accepté parce qu’il me trouvait presque aussi fou que lui. » Et parce que Zack Snyder et les producteurs souhaitaient que le film ressemble trait pour trait au comic book, jusque dans certaines images clés et dans les dialogues. « C’était important pour moi d’avoir le soutien de Frank Miller, avoue Zach Snyder. C’était important qu’il croie au scénario et au film. Mais surtout, je voulais qu’il aime le film car cela voulait dire que j’avais réussi. Nous verrions après pour le reste. Il a lu les différentes versions du scénario et y a apporté quelques remarques. Il avait confiance. Il savait que j’adorais son travail et que j’allais le respecter. »

Franck Miller approuve même les quelques libertés que se permet Zach Snyder. Ce dernier ajoute ainsi une scène entre Léonidas et son fils ou encore invente de nouveaux mutants – un satyre, un garçon bouché avec des lames à la place des avant-bras. Mais il développe surtout le personnage de la reine Gorgo pour en faire un personnage fort de femme spartiate qui fera un sacrifice tout aussi grand que celui de son cher et tendre. « Je voulais apporter une énergie féminine à l’histoire, une touche maternelle et plus d’humanité, raconte le réalisateur. Et puis il y a cette histoire d’amour. Quand, à la fin, Léonidas dit : «  Ma reine, ma femme, mon amour… », cela m’a touché. Gorgo ne fait qu’une apparition dans le graphic novel mais sa présence se ressent dans toute l’histoire grâce à cette réplique. »

Le roi Butler

Gerard Butler

Quand 300 entre enfin en phase de préparation, Zach Snyder cherche déjà son roi Léonidas. « Gerard Butler a été le premier choix des producteurs, affirme le réalisateur. Nous nous sommes vus dans un café à Los Angeles. Il était si passionné. Il recréait des scènes devant moi, sautait partout, renversait son café. Les clients qui étaient là ont su qu’il avait le rôle bien avant la fin de notre conversation. » « Nous voulions une certaine uniformité dans le film, souligne Gianni Nunnary. Alors une fois Gerard Butler à bord, nous n’avons pris que des acteurs anglais pour interpréter les Spartiates. Zach voulait également des acteurs avec un passé de théâtre, il pensait que ce serait plus facile pour eux de s’habituer à jouer devant des fonds bleus. »

Tous les acteurs ont ensuite subi un entraînement intensif de quatre mois pour se sculpter un corps de Spartiate. Certains ont perdu jusqu’à vingt kilos, tous ont pris du muscle. Sur le tournage, la blague était que si le film faisait un flop en salles, il avait une carrière assurée en DVD grâce à la communauté gay. Et accessoirement grâce à la gente féminine.

Pendant que ses acteurs peaufinent leur physique, Zach Snyder peaufine son story-board. Aux dessins clés de Frank Miller, il en ajoute plus de 600 autres. « Je voulais avoir le plus possible du graphic novel dans le film. Je voulais qu’en voyant le film les spectateurs aient l’impression de lire le comic book, sans pour autant que le film perde sa propre identité. J’ai donc pris les vignettes clés de l’histoire et j’ai dessiné ce qui se passait avant et après. »Dans le film, certaines scènes sont immédiatement reconnaissables : l’enfant combattant le loup, Léonidas poussant le messager dans le puits…

De son côté, le département décoration crée les maquettes des décors qui ne sont en fait que partiellement construits. Il suffit en effet de ne fabriquer qu’une ou deux colonnes d’un temple, un ou deux rochers d’une montagne car les décors sont en fait créés en images de synthèse et tout est filmé sur fond bleu et en studio. Seule la scène de l’arrivée du messager perse à cheval est filmée en extérieur car aucun plateau n’était assez long pour l’accueillir. L’équipe costumes, quant à elle, confectionne les 700 vêtements d’après le comic book, ceux, très sobres – slip en cuir et cape rouge – des Spartiates et ceux plus compliqués des Perses inspirés de vêtements perses, grecs, asiatiques, africains… Et les accessoiristes façonnent épées, lances, boucliers, arcs et flèches utilisés par les combattants – certaines armes viennent des tournages de Troie et d’Alexandre – tandis que les techniciens des effets spéciaux créent un loup aux yeux rouges en animatronique dont la gueule exécute vingt mouvements, fabriquent une dizaine de chevaux mécaniques mais aussi empalent des mannequins sur des lances ou les empilent pour en faire un immense mur de la mort.

Après ces dix semaines de préparation, le tournage commence à Montréal en octobre 2004 et se poursuivra jusqu’en janvier 2005. Zach Snyder veut tout tourner sur fond bleu afin de retravailler tous les plans en post-production. « C’était la seule façon de rendre justice aux peintures de Lynn Varley, la coloriste de 300, » affirme le réalisateur. Au final, mis bout à bout, tous les fonds bleus du film pourraient recouvrir un bâtiment de 90 étages. « Nous avions le sol et quelques éléments de décors comme repères, souligne Zach Snyder. Si le sol avait été bleu lui aussi, je crois que les acteurs m’auraient tué et ensuite ils se seraient entretués. » Le plateau aurait alors vu sa toute première goutte de sang car en dépit des nombreuses morts par armes blanches, il n’y a aucune trace d’hémoglobine sur le plateau. Pour un contrôle précis de la quantité mais surtout de la façon dont il est projeté, tout le sang du film est en images de synthèse, ajouté en post-production. « Il y a un côté surréel dans la violence du film, admet Zach Snyder,  mais plus c’est surréel et moins les gens sont dégoûtés. Ce n’est pas un film d’horreur, mais nous avons besoin d’un peu de sang ici et là. Il fait partie de la chorégraphie des combats et de l’esthétisme du film. »

Trois petits vœux

L’ajout du sang n’est qu’une infime partie de ce qui attend les équipes de post-production. Une post-production qui durera plus d’un an. Les 1 300 plans du film sont retravaillés sur ordinateur par sept sociétés dispersées à travers le monde. Les producteurs n’ont de cesse de répéter que si Sky Captain and the world of tomorrow et Sin City ont brisé des barrières en matière de film en images de synthèse avec des acteurs réels, 300 en pulvérisera d’autres et créera un précédent cinématographique. « Les gars des effets visuels ont dû réapprendre à dessiner en oubliant la réalité, s’amuse Zach Snyder. Selon leurs standards, une montagne doit ressembler à une montagne. Selon mes standards appliqués à 300, en aucun cas. Je leur ai demandé de dessiner des rochers et des ciels d’un autre monde, je ne voulais rien qui fasse trop réel. »

Son équipe crée également un nouveau procédé de filtration des couleurs, vite baptisé le « crush », pour travailler l’aspect visuel de son film et retrouver les couleurs et les contrastes des peintures de Lynn Varley. Cette technique écrase littéralement le noir d’une image et rehausse la saturation des couleurs afin de modifier les contrastes. « C’est fascinant de voir les peintures de Lynn traduites et réinterprétées à l’écran d’une façon telle que vous croyez que c’est aussi peint par l’homme, s’enthousiasme Frank Miller après avoir vu le résultat final. C’est incroyable de les voir prendre vie. » « C’est une des choses que j’espérais de ce film, avoue Zach Snyder, qu’il soit à la hauteur de la beauté des dessins du graphic novel. Ce que j’espère aussi, c’est que le film soit à la hauteur du potentiel dramatique de l’histoire et que les spectateurs comprennent ce pour quoi ces 300 Spartiates se battent. Et enfin, je voudrais qu’au fil de l’histoire les spectateurs s’attachent à ces Spartiates au point qu’à la fin ils ressentent un petit quelque chose. » Pour certains spectateurs, ses trois vœux ont déjà été exaucés.

Article paru dans Ciné Live – N°110 – Mars 2007

Crédit photos : © Legendary Pictures