Fils d’acteurs, 40 ans de carrière, deux Oscar et quelques films cultes. Si ces quelques mots suffisent à résumer une vie de comédien, ils effleurent à peine une vie d’homme. Retour sur le parcours de Michael Douglas alors qu’il retrouve le requin de la finance Gordon Gekko pour Wall Street : l’argent ne dort jamais.

Wall Street : l'argent ne dort jamais

Wall Street : l’argent ne dort jamais

Qu’est-ce que ça vous fait de retrouver Gordon Gekko plus de 20 ans après Wall Street ?

Michael Douglas : Ca fait du bien. Comme la première fois. Mais là, le personnage est très différent. Dans le premier film, c’était un requin à part entière, dans tout ce qu’il faisait, dans tout ce qu’il disait. Et il avait les meilleures répliques. Là, le personnage est un peu abîmé. Il sort de six ans de prison, il n’a plus d’argent, son fils est mort, sa fille ne veut plus lui parler, il ne peut plus exercer son métier… Il n’est plus au sommet, il n’a plus les cartes en main.

Vous vous souvenez du tournage du premier film ?

Quand on m’a donné le rôle, la quantité de dialogue m’a rendu nerveux. Et je connaissais Oliver Stone. Il n’a pas peur de la confrontation. La deuxième semaine de tournage, il est venu dans ma caravane et m’a demandé : “Ca va ?”. J’ai dit : “Oui.” “Tu te drogues ?” “Non!” “Parce que tu donnes l’impression de ne jamais avoir joué de toute ta vie !” Je ne regarde jamais mes films, sauf si je les produis mais en tant qu’acteur, j’évite car je vois toujours tout en noir. Mais j’ai dit à Oliver que j’allais y jeter un œil. “Tu ferais bien !” Il m’a montré deux scènes et je lui ai dit : “Ca me paraît plutôt bien. Tu joues à quoi, là ?” En fait, il voulait que Gekko soit plus méchant et il n’avait pas peur que ma colère soit dirigée contre lui. Au contraire, ça lui plaisait bien.

A la Poursuite du diamant vert

A la Poursuite du diamant vert

Vous aimez jouer les méchants comme Gekko ? Parce qu’il n’y en a pas beaucoup dans votre filmographie. Vous avez aussi “D-Fens” dans Chute libre

Gallagher dans Liaison fatale, en un sens. Van Orton dans The Game. Colton dans A la Poursuite du diamant vert n’était pas vraiment un héros. J’aime bien les méchants, oui, en tout cas les personnages avec des zones d’ombre. Ces rôles me donnent une telle liberté ! Vous imaginez ? Je peux faire tout ce que tout le monde n’ose pas faire !

C’est votre façon d’explorer votre côté obscur ?

Peut-être. Je ne connais pas beaucoup de héros. Je pense que face à une situation, certaines personnes sauront se conduire de façon positive. Mon père, John Wayne, dans les films qu’ils ont faits, il y avait les chapeaux blancs et les chapeaux noirs, c’est comme ça qu’on distinguait les bons des méchants. J’ai grandi avec la guerre du Vietnam, j’étais à la fac et quand j’ai découvert ce qu’on faisait réellement là-bas… Il doit y avoir une certaine confusion en moi quant à savoir qui est bon et qui est méchant.

Vous vous souvenez pourquoi vous êtes devenu acteur ? Y a-t-il eu un moment ou un film qui vous a fait vous dire : “C’est ce que je veux faire de ma vie” ?

Non. J’étais un hippie et en troisième année de fac. Le président de l’université m’a convoqué pour me demander de choisir une matière principale, disant que je ne pouvais pas continuer sans me spécialiser. J’ai répondu : “Le théâtre ?”. Ma mère [Diana Douglas] est actrice, mon père est acteur [Kirk Douglas], je me suis dit que ça devait être facile. J’ai donc commencé à jouer et j’étais épouvantable. Vraiment épouvantable. (Rires) Mon père est venu me voir dans mes deux premières pièces et il a dit : “Dieu merci, je n’ai pas à m’inquiéter de voir mon fils devenir un acteur.” Il m’a dit : “Fiston, tu es épouvantable. Tout simplement épouvantable.” Ca a du me marquer car j’ai commencé à travailler dur et vous savez quoi ? J’ai découvert qu’on pouvait s’améliorer. Certains acteurs ont un talent naturel mais pour les autres, il faut travailler. Et travailler dur. Mon père est revenu me voir dans une autre pièce et là, il m’a dit: “Tu es bon, tu t’es amélioré.” Je suis ensuite parti pour New York faire du théâtre off Broadway puis je suis rentré en Californie où, après quelques mauvais films, j’ai commencé Les Rues de San Francisco avec Karl Malden. Un formidable acteur. J’ai perdu Karl cette année. On a tourné 108 épisodes et j’ai appris le métier.

Les Rues de San Francisco

Les Rues de San Francisco

Et gagné deux Emmy avant de tout plaquer pour produire Vol au-dessus d’un nid de coucou. Plutôt risqué, non ?

Tout le monde a dit que j’étais fou ! J’avais lu Vol au-dessus d’un nid de coucou à la fac et j’adore ce livre. Je n’avais jamais pensé devenir producteur mais je voulais que ce film existe et j’ai essayé de monter le projet pendant mes années de Rues de San Francisco. A la 5ème saison, le projet était prêt. J’ai demandé à Karl Malden et au producteur Quinn Martin si je pouvais quitter la série. Karl m’a dit : “Vas-y ! Fais-le ! A l’époque, personne n’aurait osé accepter le départ d’un des acteurs principaux d’une série à succès. Mais eux, si.

Grâce à l’Oscar de meilleur film de Vol au-dessus d’un nid de coucou, vous êtes alors considéré comme un petit prodige, un wonder boy.

Comme producteur. Pas comme acteur. Et encore. Même avec un Oscar de producteur, j’ai du m’engager moi-même pour Le Syndrome chinois. Pour A la Poursuite du diamant vert, je ne trouvais personne pour le rôle de Colton…

C’est ce qui détermine si vous vous contenter de produire ou si vous jouez également dans le film ?

Au début. C’était aussi le seul moyen pour moi de trouver des rôles. Je préfère faire l’un ou l’autre, ça n’a rien d’amusant de faire les deux en même temps. Quand vous jouez, tout se passe dans votre espace et avec les acteurs face à vous. Quand vous produisez, vous devez avoir les yeux partout et faire attention à mille choses.

A quel moment avez-vous réalisé que vous aviez gagné votre propre identité d’acteur, loin de l’ombre de votre père ?

En 1986. Pas avant. Au moment de l’Oscar de Wall Street et du succès de Liaison fatale. Cet Oscar… Ce sont vos pairs qui vous attribuent l’Oscar. Que d’autres acteurs nomment un acteur de deuxième génération, un enfant de la balle avec une cuillère en argent dans la bouche, à l’Oscar du meilleur acteur et finalement lui donnent. C’était un moment important.

Cet Oscar de meilleur acteur est plus important pour vous que celui de meilleur producteur ?

Hum… (Il soupire) Je crois que oui. Egoïstement. J’admire mon père mais il n’en a jamais reçu un. Il le méritait pourtant, surtout pour son rôle dans La vie passionnée de Vincent Van Gogh. Cette année-là, c’est Yul Brunner qui l’a eu pour Le Roi et moi. (Il hausse les épaules) Allez comprendre.

Wonder Boys

Wonder Boys

Y a-t-il un rôle dans votre carrière qui ressort plus qu’un autre pour vous?

J’ai toujours aimé les comédies surtout que je ne viens pas de la comédie. J’aime des films comme Wonder Boys. J’aime la comédie pour la même raison qu’on aime tous avoir un ami qui nous fait rire. Il y a assez de gens sérieux comme ça. Il y a ce petit film qui s’appelle Solitary Man. J’aime la moindre scène que j’ai tournée dans ce film. Je ne sais pas si vous le verrez en France, il n’a pas encore de distributeur.

J’ai vu la bande-annonce sur Internet. Avec une scène de sexe…

Oui ! J’accompagne la fille de ma petite amie à la fac et une chose en entraînant une autre… Et toute ma vie s’écroule car elle va tout raconter à sa mère !

Tourner ces scènes vous a rappelé le tournage de Liaison fatale et de Basic Instinct ?

Oui, mais là, c’est de la comédie. Avec ce film, les gens vont dire “Yeark !” parce qu’elle a 18 ou 19 ans. Et moi… (Il sourit) Mais c’est sa faute aussi, je ne l’ai pas forcée ! (Rires) C’est toujours sympa de voir que vous pouvez encore tourner ce genre de scènes. Je suis fier de ces films comme Liaison fatale, Basic Instinct et Harcèlement. Ils ont bien marché. Ca n’est jamais facile de tourner des scènes de sexe parce que tout le monde peut les juger. Ce n’est pas comme de commettre un meurtre ou de tirer sur quelqu’un, vous ne voyez pas cela tous les jours dans votre vie. Mais le sexe, tout le monde peut juger. Et vous devez aussi trouver un équilibre pour que tout le monde soit à l’aise sur le plateau ou que le tournage soit drôle ou relax.

Liaison fatale, Basic Instinct et Harcèlement, ce qu’on appelle votre trilogie sexuelle vous a donné une réputation d’accro au sexe…

C’est un rédacteur en chef anglais qui a inventé cette addiction au sexe. J’étais en cure de désintox en 1991-92 et plutôt que de raconter la sempiternelle histoire de l’alcoolique, il a inventé cette histoire d’accro au sexe. C’était après Liaison fatale et Basic Instinct, il s’est cru intelligent. Et c’est resté.

Votre réputation de séducteur vous gêne ?

Je ne sais pas. C’est toujours sympa à entendre. Mais que faites-vous de ma réputation d’homme heureux en ménage depuis dix ans ? (Rires)

King of California

King of California

Ces dernières années, vous avez enchaîné les comédies comme Espion mais pas trop, Toi et moi… et Dupree, King of California ou encore Hanté par ses ex

C’est vrai que j’ai fait quelques trucs idiots qui m’amusent. J’aime rire et j’aime faire rire. Mais j’ai deux jeunes enfants, je devrais faire plus de films familiaux.

Vous êtes l’acteur que vous rêviez d’être ?

Oh, non, je ne crois pas. Ca n’a rien de facile. J’envie énormément les acteurs qui ont cette présence naturelle à l’écran, ceux qui n’ont rien à faire. Moi, je dois encore beaucoup travailler pour obtenir ça !

Vous n’avez jamais pensé réaliser un long métrage parce que vous avez déjà réalisé un ou deux épisodes…

Des Rues de San Francisco. Oui, je vois que vous avez fait vos devoirs. J’y pense, en effet, mais je suis trop paresseux. En tant que producteur, je travaille étroitement avec les réalisateurs, je leur laisse le final cut et je ne me suis jamais senti privé de quoi que ce soit. Mais j’y pense. Mais j’ai deux enfants, je vais devoir leur demander de m’aider. (Rires)

Pourquoi ne travaillez-vous pas plus souvent avec les mêmes réalisateurs, que ce soit en tant que producteur ou acteur ?

(Rires) C’est vrai que je ne cultive pas ça, je ne charme pas les réalisateurs, je ne leur envoie pas de cadeaux à Noël qui diraient “Retravaillons ensemble !”. Je sais que c’est stupide de ma part. C’est pour ça que c’est plus facile de travailler avec des acteurs, vous n’avez pas à en passer par toutes ces banalités ou cette séduction.

Vous allez prochainement tourner Ma Vie avec Liberace où Matt Damon est votre amant. Etes-vous prêt à l’embrasser ?

(Rires) Oh oui ! Et ce n’est pas tout ce que je suis prêt à faire. Et ce n’est pas tout ce que lui est prêt à faire ! (Rires)

Article paru dans Studio Ciné Live – N°16 – Juin 2010