Jon Landau est le complice de James Cameron depuis leur première collaboration sur True Lies (1994) alors qu’il était vice-président exécutif en charge de la production des longs métrages à la Twentieth Century Fox. Depuis, ils ont notamment commis ensemble Titanic (1997) et Avatar (2009) avec le succès que l’on connaît. Ils se retrouvent à nouveau pour Alita : Battle Angel, l’adaptation du célèbre manga Gunnm, qui sort en salles ce 13 février.

Jon Landau

Pourquoi produire une adaptation de manga ? On ne peut pas dire que ce soit un genre de films qui connaisse un grand succès.

Ce n’est pas le manga qui fait que ce sera un succès ou non. Ce sont les histoires qui sont dans ce genre qui importent. Regardez ce que Yukito Kishiro a créé : c’est une histoire universelle, celle d’une jeune fille qui devient une adulte, qui va gagner de la confiance en elle. Au début du récit, elle se trouve insignifiante puis elle découvre qu’elle peut faire une différence. Cette histoire est universelle, qu’elle vienne d’un manga, d’un roman ou d’un film. J’ai élevé deux enfants, et pas des filles mais des garçons, et cette histoire me parle. Tout le monde se demande à un moment de sa vie : « Est-ce que j’ai une quelconque importance ? » Et c’est essentiel aujourd’hui de dire à chacun : « Oui, tu as de l’importance. Oui, tu as au fond de toi cette capacité de changer les choses. »

Quand avez-vous su que vous pouviez changer les choses ?

(Rires) Ma réponse va vous surprendre. J’ai découvert ça quand j’étais à l’université. En parallèle, je travaillais en tant qu’entraîneur de football américain dans un lycée. Et, bien que je ne sois pas beaucoup plus vieux qu’eux, j’ai vu que je pouvais avoir un impact sur la vie de ces lycéens et les faire croire en eux-mêmes. Pour la première fois, je réalisais l’impact qu’une personne peut avoir sur une autre.

Dr. Ido en live (Christopher Waltz) et Alita en capture de mouvement et images de synthèse (Rosa Salazar)

Il y a souvent ce reproche qu’Hollywood se repose trop sur les adaptations, les suites et autres, qu’il n’y a plus d’histoires originales. Est-ce aussi votre sentiment ?

Je ne pense pas qu’Hollywood se repose uniquement sur ça. Quelqu’un a dit : « Il n’existe que sept histoires à raconter et on passe notre temps à répéter ces sept histoires. » Ce qui est intéressant avec Alita, c’est que pour la plupart des gens dans le monde, ce n’est pas une adaptation. La plupart des gens dans le monde ne savent pas qu’à la base c’est un manga. Nous n’adaptons pas un classique de la littérature, ce n’est même pas un manga connu au niveau international. Nous prenons cette histoire et nous la présentons au monde comme si elle était nouvelle, comme si c’était une histoire originale. Si vous regardez les extraits, c’est un film unique et vous ne pouvez pas le confondre avec quoi que ce soit d’autre. Et c’est ce qui est excitant dans cette histoire. Nous présentons quelque chose que personne n’a encore jamais vu d’un point de vue cinématographique, que ce soit au niveau du personnage ou de l’action.

Il y a une communauté de fans de mangas qui pensent qu’Alita est un des meilleurs mangas qui existent.

Bien sûr.

Avez-vous pensé à eux dans ce projet ?

Nous les avons gardés constamment à l’esprit. Mais le plus grand fan auquel nous avons pensé est Kishiro, le créateur d’Alita. Quand nous nous sommes intéressés à ce projet, Jim Cameron est allé à Tokyo pour rencontrer Kishiro, avant même d’avoir signé pour les droits. En pré-production, je suis allé à mon tour à Tokyo afin de montrer à Kishiro le concept art du film mais aussi lui faire lire le scénario. J’y suis retourné à plusieurs reprises depuis et Kushiro est venu sur le plateau quand nous filmions à Austin, au Texas. C’était la toute première fois qu’il venait aux Etats-Unis. Kishiro est un homme de peu de mots. Quand il est entré sur le décor, c’était celui d’Iron City. Son visage s’est illuminé et il a fait un grand sourire. C’était plus parlant que tous les mots. Et quand Rosa Salazar l’a rencontré, elle était toute joyeuse et bondissante et elle l’a pris dans ses bras. Surpris, il a fait un pas en arrière et Rosa a alors reculé. Il l’a regardée et a dit : « Alita ! » Voilà. Ce sont deux de mes moments préférés de cette production. Kishiro nous a vraiment soutenus et si nous avons obtenu son soutien, je pense que nous aurons aussi celui des fans.

Quelle a été sa collaboration dans les faits ?

Encore une fois, ce n’était pas une collaboration continue mais nous voulions son retour et son avis sur le scénario, sur le design des personnages. Nous avons écouté certaines choses et pour d’autres, nous lui avons expliqué que cela ne pouvait pas fonctionner car le cinéma est un autre format.

Vous dites toujours que faire un film c’est plus que du divertissement. En quoi Alita est plus qu’un film et un divertissement ?

Les films qui marchent ont au final une thématique qui est plus grande que leur genre. Vous laissez l’intrigue dans le cinéma et vous repartez avec la thématique. Alita possède ce genre de thématique qui ne vous quittera pas à la fin du générique. C’est le genre de film que les parents voudront que leurs enfants voient pour qu’ils comprennent leur potentiel.

Mais le manga, bien que porteur d’espoir et d’un message positif, est extrêmement violent, avec notamment le personnage de Makaku qui mange des cerveaux humains. Avez-vous atténué cet aspect en l’adaptant ?

Nous avons décidé de faire un film qui soit PG-13 [déconseillé aux moins de 13 ans] aux Etats-Unis et non un film classé R [les moins de 17 ans doivent être accompagnés d’un adulte]. Nous en avons parlé à Kishiro et nous lui avons expliqué pourquoi. Aujourd’hui, quand vous faites un film classé R, vous limitez votre audience. Nous voulions ouvrir l’histoire à un public plus vaste. Et nous avons l’impression d’avoir réussi à créer de l’action qui suggère un plus grand sentiment de violence mais sans aller trop loin. L’intérêt reste l’histoire et non le sang et les tripes.

Quel a été votre grand défi sur ce film ?

Trouver le bon design pour Alita et qu’elle captive et émeut le public. Nous voulions aussi être fidèles au manga. Vous parlez de mangas, de fans de mangas et des autres adaptations de mangas, mais aucune n’a jamais vraiment été fidèle aux concepts du design du personnage, avec une petite bouche et de grands yeux. Nous voulions être fidèles à ça. Kishiro nous a aussi rendu un grand service en situant Alita dans un monde où le melting pot existe. Il n’a pas ancré Alita en Asie ni n’a pas fait d’Alita un personnage asiatique. Ce qui a ouvert son univers à l’interprétation et a rendu notre travail plus facile pour le transférer dans une forme cinématographique tout en restant fidèle à ce qu’il a créé sur le papier.

Alita, le film, semble repousser encore les frontières de la technologie. Ne pensez-vous pas qu’à un moment cette technologie dévore l’histoire ?

La technologie a-t-elle dévoré l’histoire d’Avatar ?

Pour moi, oui, au début du film. Ensuite, j’étais plongée dans l’histoire et je n’y pensais plus.

Voilà. C’est un point de vue que j’accepte. Je pense que ce sera pareil avec Alita. Quand vous allez rentrer dans l’histoire d’Alita et que vous allez la rencontrer, il y aura des spectateurs qui ne verront que le côté technologique. Mais quand, par exemple, Hugo emmène Alita au sommet du pont par une nuit pluvieuse et brumeuse, qu’il lui prend la main, vous ne penserez plus à la technologie. Vous serez enveloppée dans l’histoire et dans ce moment. Le meilleur usage de la technologie, c’est quand elle fait oublier la technologie. Et j’espère que c’est ce que fait Alita.

Vous avez tourné le film en 3D. Qu’apporte-t-elle au film ?

Une qualité plus immersive à la narration pour le spectateur. Elle crée une expérience plus voyeuriste à plus d’un titre. Elle vous met dans une salle avec des gens. Si vous regardez notre 3D, nous ne l’utilisons pas pour faire des gags visuels qui semblent surgir de l’écran. Pour nous, la 3D n’est pas un monde qui sort par une fenêtre mais une fenêtre qui s’ouvre sur un monde. Et quand vous êtes dans la salle de cinéma, elle fait disparaître l’écran et vous regardez le film en vous sentant, je crois, beaucoup plus connecté. La 3D est aussi tout autant importante pour un dialogue entre deux personnes, voire peut-être même plus encore, que pour une scène d’action.

La 3D n’a quand même pas très bonne réputation aujourd’hui.

Elle a une mauvaise réputation quand elle est mal faite. Vous pourriez dire la même chose d’un film qui était tourné en numérique au début de cette technologie. « Le numérique ne marche pas. Le film ne ressemble plus à un film quand il est digital. » Aujourd’hui, 99% des films sont tournés en numérique parce que les gens ont appris à le faire bien. Je crois qu’il n’y a pas meilleur maître ès 3D que Jim Cameron. Je crois que Robert Rodriguez a en fait filmé en 3D avant Jim quand il a réalisé Spy Kids, et ce en utilisant les caméras de Jim, celles que nous avons créées. Je crois que pour Alita, nous apportons la sensibilité de Jim et tout ce que nous avons appris en 3D avec Avatar.

Avez-vous discuté avec Jim sur le choix de Robert Rodriguez ? Parce qu’il semble qu’il lui a proposé le projet spontanément, presque sur un coup de tête.

C’était spontané de la part de Jim de penser à Robert. Jim n’est pas du genre à vous taper sur l’épaule et vous dire : « Hé, j’ai eu une idée. » Nous n’avons pas non plus dit : « Robert, tu vas faire ce film. » Jim a eu l’idée au cours d’un déjeuner avec Robert. Puis nous lui avons donné quelques écrits de Jim et quelques dessins que nous avions. Le premier test a été de voir ce que Robert allait faire de tout ça. Parce que Jim avait un scénario de 186 pages, soit 60 pages de trop. Robert s’est isolé pendant quatre mois puis est revenu avec un scénario de 128 pages. Et quand Jim et moi l’avons lu, rien ne manquait. Des éléments avaient disparu mais pas le cœur ni les thématiques que Jim avait mis dans le script. Tout était là. Ce qui prouvait que Robert avait compris l’importance d’Alita. Robert nous a dit que quand il avait fait Sin City, il avait fait un film dans le style de Frank Miller et qu’avec Alita, il comptait faire un film dans le style de Jim Cameron. Et j’ai parlé avec Robert et Jim des forces de Robert, de sa carrière, de son expérience, de ce qu’on attendait de tout ça. Puis j’ai dit à Robert qu’il y a avait deux ou trois choses que je voulais voir avec lui avant de nous jeter tous dans ce projet. La première était que nous voulions qu’il engage un directeur de la photographie, parce que d’habitude, il assume ce poste. Il a dit qu’il comprenait. La deuxième était que nous voulions qu’il engage un monteur parce que d’habitude, il assume ce poste. Donc Bill Pope, le directeur de la photographie qui a fait Matrix, et Steve Rifkin, qui est notre monteur sur Avatar, nous ont rejoints. La troisième était que nous voulions qu’il engage un compositeur parce que Robert fait habituellement sa propre musique de film. Nous avons parlé de tout ça avec Robert et il était d’accord avec ces choix. Et la dernière chose que nous avons abordée avec lui était les effets visuels parce qu’il fait aussi ses propres effets visuels. Nous luis avons dit que nous voulions que Weta Digital s’en charge. Là encore, Robert était d’accord. Quand on a commencé à dessiner le monde d’Alita, j’ai dit à Robert que nous voulions prendre quelques designers d’Avatar pour les mettre sur Alita pendant quelques mois afin qu’ils travaillent sur le design des personnages et de l’univers. Et Robert a aussi adopté cette idée. Ce sont toutes ces choses qui nous ont convaincus de notre choix avant même de nous engager envers la Fox. Nous avons vu son ouverture d’esprit pour faire une production hybride. Nous ne faisons pas une production Troublemaker [la société de production de Robert Rodriguez] mais une production Lightstorm avec Troublemaker.

Jon Landau et James Cameron © Eric Charbonneau / Invision

Vous n’avez pas eu le sentiment de dépouiller Robert de tout ce qui lui permet de faire ses films ?

Non. Nous l’avons libéré, il y a une différence. Parce que nous ne l’avons pas mis dans une boite, parce que nous ne lui avons pas dit ce qu’il devait faire. Ce qui serait en effet l’équivalent de lui couper les ailes. Nous lui avons dit : « Robert, tu n’as jamais réalisé de film à cette échelle, de cette envergure. Nous voulons te délester de certains fardeaux que tu n’as pas besoin de porter. Tu peux mettre en scène tous les plans que tu veux mais laisse un directeur de la photographie les éclairer. Tu peux faire tous les choix de montage que tu veux mais laisse un monteur tout mettre en forme. » Je crois que Robert a vu ça comme étant libérateur. Ce sont des occasions qu’il n’avait jamais eues avant. Même concernant le processus de design du film. Je me rappelle avoir dit à quelqu’un il y a peu que sur ses précédents films, Robert avait une semaine pour créer six personnages. Là, on lui donnait six semaines pour créer un personnage. (Rires) C’est une approche très différente. Mais elle est libératrice pas restrictive.

Si Jim avait réalisé Alita en 2005, à quoi ressemblerait le film ?

Je pense que le film aurait été fait avec la même technologie que nous avons utilisée sur Avatar, ce qui était spectaculaire à l’époque. Nous sommes capables de faire encore mieux aujourd’hui avec Alita. C’est drôle mais Jim était vraiment déchiré quant à savoir quel film choisir entre Avatar et Alita. Et une des raisons qui l’ont décidé à faire Avatar en premier est parce qu’il pensait que ce qu’il allait apprendre sur Avatar améliorerait le traitement qu’il donnerait ensuite à Alita. C’est aujourd’hui vrai jusqu’à un certain point. Ce que nous avons appris sur Alita va beaucoup plus influencer les suites d’Avatar que ce qu’Avatar a fait pour Alita. (Sourire) Et c’est vraiment passionnant. Weta Digital a vraiment appris avec Alita. Nous les avons poussés au maximum. Sur Avatar, ils pouvaient se cacher derrière la peau bleue des personnages. Sur La planète des singes, ils pouvaient se cacher derrière les visages et la fourrure des singes. Avec Alita, ils ne peuvent plus se cacher. Tout doit être à l’écran à chaque instant. Cela a poussé Weta vers un tout autre niveau que nous appliquons maintenant sur les suites d’Avatar.

Article paru dans L’Ecran fantastique – N°405 – Février 2019

Crédit photos : © Twentieth Century Fox