Storyboarder, superviseur des effets visuels et réalisateur, Christian Rivers travaille avec Peter Jackson depuis Braindead au début des années 90. Oscarisé pour son travail sur les effets spéciaux de King Kong, il a commencé sur Mortal Engines par les storyboards et les animatiques avant d’en récupérer la mise en scène. Ce film est son tout premier long métrage. Ce ne sera pas le dernier. Mortal Engines, adapté du roman post-dystopique de Philip Reeve, sort en salles ce 12 décembre.

Christian Rivers sur le tournage de Mortal Engines

En passant de superviseur des effets visuels à réalisateur, que pensez-vous apporter de plus qu’un autre metteur en scène ?

Le monde de Mortal Engines ne peut être créé sans un gros travail sur les effets visuels. De nombreux décors que nous avons construits en dur sur les plateaux de tournage existent en fait, à l’écran, sur des villes mouvantes. Mon passé dans les VFX est donc très utile. Mais les effets que j’admire le plus sont ceux qui sont au service de l’histoire. Le côté spectaculaire des VFX de Mortal Engines est dû aux décors et au récit. J’espère en tout cas que c’est ce que les spectateurs verront.

Etait-ce difficile de visualiser le livre et/ou le scénario ?

Le livre est écrit pour des enfants de 8 ans, avec le langage qui va avec, mais les thèmes s’adressent plus à un public de 18 ans et plus. C’est pour cela que nous avons vieilli les protagonistes, ce ne sont plus les ados du roman. Mais nous avons tenté de respecter les aspects du livre que nous aimions visuellement. Nous avons minimisé le côté steampunk pour mieux associer différents éléments d’un possible futur. Le film ne se réfère donc pas qu’à l’ère victorienne ou à de la technologie rétro, il y a des technologies de notre époque et au-delà et de vieux trucs aussi. Plus que le visuel, l’humour est aussi très important dans ce long métrage car beaucoup de films d’aventure récents tendent à être assez sombres, tout est de la dystopie pure et dure. Nous voulions que Mortal Engines soit un film d’aventure de grande envergure avec des frissons, une belle histoire d’amour et de l’humour. Nous sommes tous des êtres humains et nous aimons rire. Parce que ça fait du bien.

Vous êtes connu pour être le protégé de Peter Jackson.

(Rires)

Christian Rivers et Peter Jackson ©Hugh Stewart

Comme se passe votre collaboration sur ce film ?

Peter est un des producteurs mais aussi un des scénaristes. Il y a quelques années, il prévoyait de réaliser Mortal Engines, il représente donc un fantastique cerveau pour me guider. Mais il me laisse vraiment donner forme à beaucoup de choses par moi-même. Il me conseille mais plus sous forme d’indications comme « As-tu pensé à la taille du décor ? » ou « De quoi penses-tu avoir besoin pour que le décor serve l’histoire ? ». Parfois, je l’appelle pour qu’il m’aiguille sur la façon de rester dans le budget imparti. Ses suggestions ne permettent pas vraiment de rester dans le budget imparti mais elles m’aident à mieux servir l’ambition du film. Il est vraiment présent pour m’épauler dans la réalisation du film que je veux faire. C’est un réalisateur qu’il est bon d’avoir de son côté.

Quand il vous a proposé le projet, aviez-vous déjà l’intention d’être plus qu’un superviseur des VFX ?

Absolument. J’avais déjà commencé à suivre cette voie. Ce n’était un secret pour personne. Beaucoup de superviseurs de VFX parlent de devenir réalisateur mais peu finissent par y parvenir réellement. J’avais fait un court métrage et je travaillais souvent en tant que réalisateur de deuxième équipe. J’étais en train de développer un film à petit budget. Réaliser un long métrage comme Mortal Engines était donc pour moi un pas naturel à franchir.

Ne vous sentiez-vous pas intimidé de marcher sur les traces de Peter Jackson ?

Déjà, personne ne marche sur les traces de Peter Jackson. (Sourire) C’est Peter Jackson. C’est un phénomène de la nature, dans le bon sens du terme. Il n’en existe qu’un spécimen par génération. Ayant dirigé des deuxièmes équipes et travaillé sur de gros films comme Peter et Elliot le dragon ou Le Hobbit, je n’avais pas peur de la taille des équipes ou de la technologie que le projet impliquait. J’appréhendais en revanche la responsabilité de raconter cette histoire très compliquée. C’est probablement le plus grand défi pour moi. L’intrigue n’est pas une simple ligne droite. En plus de tout un monde à raconter, il y a deux histoires parallèles, des sous-intrigues qui trouvent leur résolution indépendamment, de multiples personnages…

Qu’avez-vous appris sur vous-même avec cette expérience ?

J’ai découvert beaucoup de patience et que je pouvais abattre de nombreux murs. J’ai fait des choses que je voyais comme une imitation de ce que je savais faire et j’ai donc dû me dépasser. Chaque jour est plus dur que la veille. Et j’apprends tous les jours.

Qu’est-ce qui vous a mené aux effets visuels ?

J’ai toujours aimé dessiné. J’ai grandi en regardant Star Wars et les films de Steven Spielberg. J’ai passé mon enfance à la campagne et ma télévision n’avait qu’une chaîne. Dans les années 70 et 80, nous n’avions ni Internet ni les technologies dont nous disposons aujourd’hui, et pour recréer l’expérience que j’avais ressenti en regardent les films, je me suis mis au dessin. En combinant cette compétence avec ma passion du cinéma, je suis devenu un storyboarder et un illustrateur conceptuel. Et en travaillant aussi longtemps avec Peter Jackson, j’ai appris à visualiser un monde et à le transposer de la page à l’écran.

La réalisation était-elle déjà un objectif à l’époque ?

J’ai toujours voulu réaliser des films. La première fois que j’en ai eu envie c’était en travaillant avec Peter Jackson sur Braindead. Je sortais du lycée et c’était mon premier emploi. J’avais 18 ans. J’ai dessiné le storyboard du film, ce qui a pris plusieurs mois. C’était un processus très intime car j’allais chez Peter et nous travaillions dans son très petit bureau. Il me disait quels plans dessiner, j’ai donc découvert sa capacité à décrire un film plan par plan. Je n’avais encore jamais été sur un plateau et je me rappelle le tout premier jour de tournage. J’ai vu Peter au travail et j’ai eu une révélation. (Il claque des doigts.) C’était ce que je voulais faire. Cela m’a pris du temps, dans les 20 ou 25 ans (sourire), pour y arriver car d’un point de vue créatif, j’étais assez épanoui par mon implication sur différents projets et pour différentes expertises. Et j’apprenais sans cesse. Vous devez toujours ressentir le besoin d’apprendre, quel que soit le domaine où vous exercez. Mais je n’étais pas pleinement heureux. Je dessinais ou je sculptais des monstres cool ou je faisais de l’animation en images de synthèse mais c’était toujours au service de la vision d’un autre. Je crois que j’ai atteint un point où je me suis dit : « A mon tour de posséder ma propre vison d’un film. »

En avez-vous parlé à Peter Jackson de cette idée de devenir réalisateur ?

Nous en avons toujours parlé mais le but n’était pas de lui dire : « Donne-moi un film à réaliser. » Devenir réalisateur est une démarche personnelle que vous devez accomplir par vous-même. J’ai quitté Weta Digital et mon poste de superviseur des VFX pour réaliser un court métrage et diriger des deuxièmes équipes. Puis ils m’ont demandé de revenir pour aider sur les Hobbit quand Andy Serkis est parti réaliser son propre film. Ensuite, ils m’ont proposé Mortal Engines. Ils ont dû penser qu’il était temps pour eux de me donner le projet. J’ai vraiment de la chance.

Christian Rivers et les acteurs Hugo Weaving, Robert Sheehan et Leila George

Est-ce plus acceptable aujourd’hui de se lancer dans un autre domaine que celui pour lequel vous vous êtes fait connaître ?

Je ne sais pas. Il y a plein d’histoires sur des superviseurs de VFX qui sont devenus des réalisateurs. Tout dépend en fait de votre capacité à raconter ou non une bonne histoire parce que c’est le plus important.

Que pouvez-vous nous dire du casting des acteurs ?

Nous essayons de présenter un monde nouveau à un public et nous avons voulu avoir aussi peu de visages connus que possible. Aussi, le casting a pris beaucoup de temps mais nous sommes bénis par les acteurs que nous avons trouvés. Ce sont eux qui donnent vie aux personnages, qui apportent ces caractéristiques et ces singularités auxquels nous n’aurions jamais pensé. C’est ce que vous recherchez chez un acteur, qu’il incarne pleinement un personnage et qu’il vous surprenne.

Comment saviez-vous que vous aviez le bon acteur ?

Je n’étais pas tout seul pendant le casting ni pour prendre la décision. J’ai reçu beaucoup d’aide et de conseils de la part de Peter, de Fran Walsh et de Philippa Boyens. Et vous pouvez dire de leur palmarès qu’ils ont une intuition plutôt sûre en matière de casting. Mais vous devez suivre votre instinct, ce qui est la chose la plus difficile à faire parce que vous êtes toujours en train de trop analyser les choses. Quand vous voyez l’acteur, vous sentez que c’est le bon mais vous avez peur de faire confiance à votre instinct, alors même que c’est une évidence.

Article paru dans L’Ecran fantastique – N°403 – Décembre 2018

Crédit photos : © Universal Pictures / MRC