Peter Jackson travaille sur l’adaptation du roman de Philip Reeve, Mortal Engines, depuis 2008 et devait le réaliser après Lovely Bones. Mais Le Hobbit est arrivé. Il a ensuite préféré passer la main pour se consacrer à l’écriture d’autres projets. Avec ce film qu’il a co-écrit et qu’il produit, il pourrait être l’instigateur d’une toute nouvelle franchise à succès comme il en a le secret. Mortal Engines sort en salles ce 12 décembre.
Pourquoi n’avez-vous finalement pas réalisé Mortal Engines ?
Nous avons développé ce projet en 2008 et 2009 mais Le Hobbit est arrivé. Guillermo del Toro devait réaliser Le Hobbit et j’étais prêt pour réaliser Mortal Engines. Puis, Guillermo a dû se retirer du Hobbit et j’ai fini par abandonner Mortal Engines pour le faire à sa place. A la fin de la production de la trilogie du Hobbit, les droits de Mortal Engines allaient expirer et nous devions agir vite. Sauf que pendant ces cinq ans que nous a pris Le Hobbit – une durée que Fran et moi n’avions pas anticipée – nous avons découvert d’autres projets que nous voulions aussi développer. Je ne rajeunis pas et je me demande combien de films je vais pouvoir encore faire. Quand vous atteignez mon âge, vous commencez à vous poser ce genre de questions. Nous avons d’autres projets sur lesquels nous voulons travailler. Si je me lançais dans Mortal Engines, cela voulait dire encore deux ans de travail et l’impossibilité alors de travailler sur d’autres scénarios. Je produis donc Mortal Engines. Christian Rivers est quelqu’un dont je voulais produire les films. Fran et moi avons le temps – pas pendant le tournage mais plus tard pendant la post-production – d’écrire un autre film. Nous avons toute une pile de projets qui nous intéressent et donner Mortal Engines à Christian était une façon pratique pour nous ne pouvoir nous y consacrer.
Pourquoi avoir choisi Christian Rivers pour Mortal Engines ?
A part Fran, Christian est celui avec qui j’ai travaillé le plus longtemps. Il a commencé tout jeune, à la sortie de l’école, en dessinant les storyboards de Braindead puis en travaillant sur d’autres projets pour moi, pour des storyboards et des animatiques. Quand nous faisons un storyboard, c’est juste lui et moi qui passons des semaines à parler de l’histoire. Je lui explique l’intrigue, il suggère des choses. J’ai alors réalisé qu’il comprenait les histoires et les personnages et qu’il savait comment tourner les scènes. Il a dirigé l’animation de Kong – je devrais dire la performance du personnage de Kong – et a gagné un Oscar pour cela. Il comprend l’émotion et il sait raconter une histoire. Il voulait réaliser un film et je voulais l’aider depuis longtemps. Je suis heureux d’y parvenir aujourd’hui.
Mais pourquoi spécifiquement Mortal Engines et pas un autre projet ?
Parce que nous allions perdre les droits des livres.
C’est donc juste une question de timing ?
Oui. Je ne voulais pas perdre les droits et Christian était intéressé par le projet. Mortal Engines est le livre préféré de son fils. Christian était aussi en charge des animatiques de Mortal Engines en 2009 quand je voulais encore réaliser le film. Il travaille sur le projet depuis aussi longtemps que moi et je pensais qu’il serait enthousiaste à l’idée de le réaliser.
Pourquoi avez-vous abandonné le style steampunk des livres ?
Le style steampunk se réfère à la science-fiction enracinée dans l’ère victorienne mais nous avons opté pour une direction différente. L’action se passe 2 000 ans après notre époque, c’est un monde analogue et non digital. Les gens de cette époque ne savent pas créer des ordinateurs ni des téléphones portables. Il n’y a pas de technologie digitale mais ils ont poussé la technologie analogue beaucoup plus loin que nous ne l’avons jamais fait. Nous avons créé un monde futuriste plus qu’un retour à l’ère victorienne.
Christian Rivers dit que vous êtes « un phénomène de la nature », dans le bon sens du terme. Qu’en pensez-vous ?
« Phénomène de la nature » n’est pas ce que j’écris quand je remplis la case profession d’un formulaire. (Sourire) Tout ce que vous pouvez faire en tant que réalisateur, fabricant de films ou producteur, c’est de travailler sur des films que vous avez envie de voir. Nous ne sommes pas une usine, nous n’évoluons pas dans un système industriel. Je pourrais arrêter de faire des films pendant cinq ans si je voulais, je ne ressens aucune pression ni obligation à faire des films. Nous avons au contraire ce luxe de ne faire que des films que nous voulons voir.
Vous ne ressentez pas de pression pourtant, vous avez créé toute une industrie en Nouvelle-Zélande. N’avez-vous pas cette obligation de nourrir la bête ? De trouver de nouveaux projets ou une nouvelle franchise pour l’alimenter ?
Plus maintenant. Cette pression existait quand nous avons créé Weta Digital et même quand nous avons lancé les studios de Stone Street, à Wellington. Nous devions générer des films pour qu’il y ait assez de travail pour tout le monde. Mais heureusement, nous avons dépassé ce stade aujourd’hui. Les studios de Stone Street ont accueilli les tournages de Peter et Elliot le dragon, de Ghost in the Shell et James Cameron commencera Avatar 2, 3, 4 et 5 dès la fin des prises de vues de Mortal Engines. Weta Digital a également participé et participent à ces projets. Avant, Weta était entièrement dépendante de nous, de Fran et de moi-même, pour leur donner du travail. Aujourd’hui, la compagnie compte 1 500 salariés et a travaillé sur Valérian et la cité des mille planètes et sur les films Marvel. Ils n’ont vraiment plus besoin de nous.
Mais vous êtes encore responsable de beaucoup d’emplois. Comment trouvez-vous la paix et le sommeil ?
C’est une bonne question. Quand j’étais enfant, j’avais deux hobbies : faire des films avec ma caméra Super 8 et construire des modèles réduits d’avions. Faire des films, j’en ai fait ma profession. Construire des modèles réduits, je l’ai gardé comme hobby. Cela me permet de m’évader.
Est-ce que lancer une franchise est aujourd’hui une obligation dans vous commencez un projet ?
J’ai fait des films qui sont devenus des franchises. Quand nous avons fait Le seigneur des anneaux, ce n’était pas une franchise mais vous ajoutez la trilogie du Hobbit et maintenant, c’est estampillé « la franchise Tolkien ». Mortal Engines est une franchise potentielle car il existe encore trois autres livres. Chaque roman est d’ailleurs meilleur que le précédent. J’espère que ce film aura du succès pour pouvoir adapté les trois autres récits. Mais pour le moment, Mortal Engines n’est pas une franchise mais un film original. Je ne ressens pas de pression. Je reçois des propositions de franchises de temps en temps. Mais pour être honnête, je ne trouve pas qu’Hollywood soit vraiment excitant actuellement. L’industrie du film hollywoodien s’est posée dans un état mené par les franchises et je ne veux pas jouer ce jeu. Fran et moi avons acheté les droits des livres de Philip Reeve parce que nous les aimions, pas parce que nous pensions à en faire une franchise. Aujourd’hui, quand un studio sort un film qui est original, tout le monde panique. Ce n’est pas une franchise, donc ils ont peur que personne ne voudra le voir. Ils pensent que le cerveau du public est obnubilé par les franchises, les suites et autres. J’espère que ce n’est qu’une phase et que l’industrie du film passera à autre chose. Tout fonctionne par vagues. Nous verrons bien.
Voyez-vous votre influence sur la nouvelle génération de réalisateurs ou de producteurs depuis Le seigneur des anneaux ?
C’est possible. Il y a eu des films de fantasy réalisés après Le seigneur des anneaux. Mais cela ne me gêne pas car je suis moi-même le produit de chaque film que j’ai vu. Quand je tournais la scène avec les trolls des cavernes dans Le seigneur des anneaux, j’essayais d’imiter la séquence du combat avec le cyclope de Ray Harryhausen. J’avais une technologie différente et je pouvais plus bouger ma caméra que Ray Harryhausen, mais c’est ma scène de bagarre à la Ray Harryhausen. Tout le monde est toujours mené par les influences du passé. C’est une bonne chose pour l’art cinématographique. Nous apportons dans notre vie professionnelle d’adulte nos expériences quand nous regardions les films étant enfant. Et si nos longs métrages finissent par influencer les gens et par donner aux jeunes l’enthousiasme de faire leurs propres films, c’est tout aussi génial.
Que recherchez-vous dans une histoire ?
Fran et moi ne faisons pas de recherches de projets, nous ne sommes pas en chasse. Parfois, des connaissances me conseillent de lire tel ou tel livre. Nous voulons des histoires humaines. C’est le sujet de Mortal Engines, l’humanité. Ces villes construites sur des chenilles et des roues et se dévorant les unes les autres, c’est cool visuellement. Mais le cœur du récit concerne la quête de l’amour. C’est l’histoire d’une jeune femme qui pense que l’amour n’est plus possible pour elle et qui doucement va trouver cet amour dans les bras d’un jeune homme. L’humain est au cœur de toute chose. C’est pour cela que nous faisons ces films. Vous racontez une grande histoire romantique et les spectateurs vous suivent pendant 1h30 à 2h00. Vous faites un film sur des villes sur roues et au bout de dix minutes, les spectateurs demandent : « C’est quoi la suite ? Parce que ça devient ennuyeux. » Vous avez besoin d’émotion pour vous investir dans un film.
Est-ce pour cela qu’Hollywood s’est égaré dernièrement, parce qu’ils ne font plus de films émouvants ?
Oui ! Je ne vois pas beaucoup de moments touchants dans les films d’Hollywood. Je ne trouve pas beaucoup de films hollywoodiens émouvants actuellement.
Allez-vous faire un nouveau Tintin ?
Tout a été mis en pause à cause du Hobbit. Une fois notre travail fini sur Mortal Engines, Fran et moi aurons le temps de nous poser pour développer les projets de notre liste blanche. J’ai un énorme désir de faire un nouveau Tintin. Je sais que Steven Spielberg attend avec impatience que je lui donne le feu vert. J’espère que le projet sera lancé dans les deux ans à venir.
Article paru dans L’Ecran fantastique – N°403 – Décembre 2018
Crédit photos : © Universal Pictures / MRC
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