Wolf Hall, la nouvelle – et excellente – série britannique sur l’ascension de Thomas Cromwell dans l’Angleterre du XVIème siècle, arrive sur Arte. Petit décryptage par Bernard Cottret, historien spécialiste des Tudors.
Que pensez-vous de la série ?
Elle est très subtile et complexe. Elle est d’une très haute tenue et contient beaucoup de références. Les éléments connus des historiens sont respectés. En même temps, l’auteur [la série est adaptée de romans d’Hilary Mantel] fait œuvre d’imagination car on est dans la fiction. Elle a visiblement inventées quelques petites histoires dans la grande mais elle brode sur une trame tout à faire crédible et vérifiable historiquement. Les grandes lignes de l’histoire de Cromwell et d’Henry VIII sont vraies. Il existe des références, et notamment des correspondances diplomatiques précises sur ces personnages. Les détails ajoutés restent plausibles.
Comment expliquez-vous le titre Wolf Hall ?
Le château aux loups. C’est le château des Seymour, une famille qui va s’imposer au 16ème siècle au détriment de la famille Boleyn. A cette époque, il existe une rivalité permanente entre les parvenus. Il ne faut pas oublier que tous sont des parvenus, y compris les Tudors. On s’attend à voir des sociétés aristocratiques, c’est-à-dire fondées sur le lignage, mais dès qu’on s’en approche, on découvre que la légitimité de tous est approximative. Henry VII a conquis son royaume en 1485 parce qu’il a gagné une bataille décisive et défait la dynastie des York. Il y a une volonté de réussite sociale considérable dans cette société, avec des personnages aux origines relativement obscures qui sont prêts à s’entretuer. Cette image des loups est la métaphore des parvenus en lutte pour leur ascension sociale. Cette série se fonde sur la notion de relativité sociale. Elle est très intelligente car elle déconstruit le mythe des Tudors et le mythe de la généalogie prestigieuse. Ces personnages ont su être là au bon moment et au bon endroit. Ils se sont placés et ont placé toute leur famille. Les Anglais ont une certaine crudité dans leur façon de voir les choses. Ils ont une obsession du réalisme politique et n’hésitent pas à dire ce genre de choses. Les grandes familles honorables ? Sont-elles vraiment si honorables et si grandes que cela ? Cette série est d’une radicalité totale.
Cela ne vous dérange pas ces petits arrangements avec la réalité historique pour des effets dramatiques ?
Non, quand la fiction est très fidèle à l’histoire et qu’elle remplit des vides de façon vraisemblable. Les Anglais sont très bons dans les séries grâce au théâtre de Shakespeare. Toute une partie de ses pièces ressemblent à des séries. Les grandes pièces d’évocation historique comme Jules César, Henry IV, Henry V et Henry VI, vous pouvez les lire comme vous regardez une série télé. En France, on aura cela à partir du théâtre romantique avec Victor Hugo.
Quel est l’intérêt des séries historiques ?
Elles sont déterminantes car les gens viennent à l’histoire grâce aux séries. La fiction permet la vulgarisation de l’histoire dans le bon sens du terme. Elle rend l’histoire accessible, elle permet aux gens de s’approprier l’histoire. Les séries possèdent également une esthétique qui pour moi est importante. La qualité des images de Wolf Hall et le jeu des acteurs sont extraordinaires. Si vous n’êtes que dans l’exactitude historique mais que vous n’avez pas le plaisir des yeux, vous vous ennuyez.
Article paru dans Studio Ciné Live – N°76 – Janvier-Février 2016
Crédit photos : © Company Pictures/Playground Entertainment for BBC