Pour son nouveau film, Tsui Hark se lance pour la première fois dans un film de guerre. Le résultat final est aussi épique qu’a pu l’être sa production. Deuxième partie : tournage.
Propos recueillis par Xavier Leherpeur
Avec combien de cameras travaillez-vous ? Faites-vous beaucoup de prises ?
Sérieusement, une caméra me suffit la plupart du temps. La deuxième équipe s’est fait plaisir sur trois décors avec des caméras 3D. Pour ma part, je pense qu’il y a rarement plus d’un bon angle par plan. A moins d’une exception, je n’utilise donc qu’une caméra. Et je pense que la deuxième équipe a joué la sécurité en tournant sous plusieurs angles.
Pendant le tournage, comment travaillez-vous vos mouvements de caméra, vos plans… Qu’est ce qui détermine vos choix ?
La camera est un outil pour voir ce qu’une personne veut voir. Avec un tel lien avec le public, un réalisateur peut manipuler ce qui est vu et ce qui ne l’est pas. La narration ou plutôt ce procédé de création d’émotions présente au public ce qu’il ressent quant à ce qu’il voit ou veut voir ou va voir. La direction de la photographie récolte tous ces éléments pour fournir un maximum d’options au moment du montage. Qu’un plan améliore la qualité de l’histoire est à la base de la décision quant à ce à quoi que ce plan doit ressembler. Les plans doivent être chorégraphiés comme les partitions en musique ou les pleins et déliés en calligraphie. Parfois, un plan fort peut remplacer tout un montage trop lourd et une suite de plans peut créer une toute autre signification. Parfois un mouvement de caméra va créer un état émotionnel, parfois le fait qu’elle soit statique donnera un plan plus fort. Les mouvements de caméra devraient être synchronisés avec l’esprit de la narration. Ils devraient aussi pouvoir aider la créativité quand les conditions de travail sont limitées. Comment la caméra peut-elle donner l’impression d’une centaine de personnes à l’écran quand il n’y a que 20 personnes sur le plateau ? Comment la caméra peut-elle faire passer une réception d’hôtel pour un palais ?
Comment avez-vous travaillé vos scènes de guerre?
En premier lieu, j’ai essayé d’éviter de penser que c’était une scène de guerre. Quand vous pensez à la guerre, vous pensez à des tirs, des explosions et à la mort. Ils sont inévitables mais ils ne constituent pas l’intérêt principal. Quand je regarde un film de guerre, je cherche à voir autre chose que des gens qui tuent ou se font tuer. Je cherche à voir quelque chose d’inédit.
Quand vous chorégraphiez les combats, quelles questions vous posez-vous ?
Une seule règle : que le combat ne donne pas l’impression d’avoir été chorégraphié.
La scène finale dans l’avion est un chef d’œuvre. Comment l’avez-vous créée ?
Le méchant s’appelle Le Faucon. Comment un faucon ne peut-il pas penser à voler ? La scène finale devait donc être liée à une échappée en avion. Une des premières idées était de finir la scène juste avant de voir le Faucon monter dans l’avion. Mais cela semblait si ennuyeux. Le public est intelligent, il allait remarquer que l’avion n’était qu’un accessoire immobile. Un des moments les plus amusants était de faire rouler l’avion de façon incontrôlable. Mais jusqu’à quel point pouvait-il être incontrôlable ? La question était alors de savoir jusqu’où pouvait-on aller dans l’extravagance et continuer à aimer ça. Nous avons joué avec des maquettes pendant un temps puis nous avons étudié le budget que nous avions. D’abord, nous n’avions pas de budget pour le tunnel. Ensuite, nous n’avions pas d’argent pour faire glisser l’avion avec ses hélices en mouvement. Puis nous n’avions rien à détruire sur le décor, etc. Le superviseur des effets coréen, Kim Shu, qui a travaillé avec moi sur deux films, connaissait mon problème. Il a suggéré de tourner la scène avec un avion statique et sans hélice, sans tunnel et rien à détruire. Nous l’avons tourné comme ça et avons croisé les doigts jusqu’à la première projection.
C’est un film en 3D. Cela a-t-il influencé votre réalisation ?
La plupart du temps, tourner en 2D ou 3D est assez similaire. La grande différence est de pouvoir contrôler le regard du public sur des objets en particulier.
Il y a beaucoup d’effets spéciaux numériques dans votre film. C’est rare. Est-ce un avantage ou un inconvénient?
Les outils sont là pour servir l’histoire. C’est comme conduire une voiture. Une fois que vous êtes habitué à sa conduite, la voiture ne pose plus de problème. Si vous conduisez une voiture en mauvais état, les conséquences peuvent être désastreuses : percuter un arbre, tomber d’une falaise. En d’autres mots, engagez les bonnes personnes qui feront les choses correctement.
Montez-vous votre film en même temps que vous tournez ?
Je voulais éviter d’oublier une idée ou un plan. Nous voulions suivre le scénario à la lettre. Le montage sur le plateau était aussi une façon d’éviter certains ennuis. Je suis sûr que cette méthode n’est pas pour tous les réalisateurs mais j’ai vraiment aimé ce procédé. Je me sentais plus créatif en voyant les plans montés instantanément, je me sentais d’humeur plus audacieuse pour ma réalisation. Le film a été monté à 100% sur le plateau pendant le tournage. Les finitions ont pris quatre semaines. Evidemment, personne ne peut penser que cette première version était définitive. J’ai quand même été stupéfié de découvrir tout ce temps que j’ai pu perdre pendant l’installation des plans dans le passé et combien de travail je peux abattre pendant ces moments d’attente. Je pense à restructurer mon équipe pour l’avenir.
Le résultat final est-il très différent de votre vision initiale ?
Tous les films devraient sembler différents une fois que la musique, les effets visuels et la post-production sont finis. Sinon, ce serait ennuyeux à mourir à faire.
Il y a un plaisir dans votre film qui nous ramène à l’enfance. Est-ce une transposition de votre propre plaisir à faire des films ?
Je n’ai jamais osé m’interroger à ce sujet. C’est comme mettre une lumière sur une ombre pour voir à quoi elle ressemble. Cela ne fonctionne jamais de cette façon parce que la magie existe quand vous ne savez pas vraiment ce que vous êtes ni qui vous êtes. Et c’est merveilleusement agréable comme ça.
Ne trouvez-vous pas que le cinéma chinois de cette époque est souvent résumé à sa dimension idéologique alors que dans la forme, il est très inventif ?
Chaque époque a ce besoin de révolutionner son contenu et ses valeurs. La République populaire de China été créée dans le but de prolétariser la culture et le système social. L’industrie du théâtre est devenue très stylisée quand des éléments idéologiques y ont été injectés. La créativité a toujours touché le cœur du peuple quand les sentiments étaient réels. Mon souci est de trouver comment générer et mettre en valeur la réalité de ce cœur qui est derrière tout cela.
Interview réalisée par e-mail
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