Un long métrage d’animation, de science-fiction, à la française et pour les enfants s’avère suffisamment rare pour désirer le mettre en avant. Après les aventures des As de la jungle, le trio de TAT Productions – David Alaux, Eric et Jean-François Tosti – s’attaque à un territoire alien plein de bonnes surprises et d’une grande richesse visuelle. Terra Willy – Planète inconnue sort en salles ce 3 avril.

Flash et Willy

Willy, 10 ans, se retrouve par accident tout seul sur une planète inexplorée. C’est le postulat de départ de Terra Willy – Planète inconnue, une création originale du studio d’animation français TAT Productions. C’est l’histoire d’un petit garçon tout à fait normal, sans trauma ni passif exagéré, sans qualités surdimensionnées. Il a des réactions et parle comme un enfant de 10 ans. Et il a une existence sympa et cool avec ses parents jusqu’à ce qu’il vive des (més)aventures sur une terre dont la faune et la flore se montreront tour à tour accueillantes et hostiles. Tout en surfant, pendant près de dix ans, sur le succès télé et cinéma de leur franchise Les as de la jungle, Eric et Jean-François Tosti et David Alaux ont développé leur structure, fait leurs preuves, gagné en crédibilité auprès de divers partenaires et travaillé à d’autres projets. Terra Willy – Planète inconnu est leur nouveau défi, muri depuis cinq ans, et qu’ils relèvent haut la main.

Jean-François Tosti, David Alaux et Eric Tosti

Les jumeaux Eric et Jean-François Tosti et David Alaux se connaissent depuis le collège. Ils ont toujours été passionnés par l’animation et les effets spéciaux en stop motion de Ray Harryhausen. Leurs premiers courts métrages ont connu quelques succès en festivals à la fin des années 1990, ce qui les a encouragés à créer, à Toulouse, leur société de production, TAT Productions, en 2000, puis leur studio d’animation, TAT Studio, en 2005. En 2011, ils ont sorti le téléfilm Les as de la jungle : opération banquise qui a ensuite inspiré des séries (dont l’une obtiendra l’International Emmy Kids Award) et un long métrage de cinéma signé David Alaux en 2017. La reconnaissance critique et publique de cette franchise les a conforté dans le développement de nouveaux projets de films dont Terra Willy – Planète inconnue d’Eric Tosti, en salles cette année, mais aussi Les aventures de Pil de Julien Fournet et Argonautes de David Alaux prévus respectivement pour 2021 et 2022. Selon les métrages, les trois compères occupent différents postes. Sur Terra Willy – Planète inconnue, Eric Tosti est réalisateur et coscénariste, Jean-François Tosti est producteur et coscénariste et David Alaux est coscénariste.

Buck et Willy

Pourquoi après Les as de la jungle avez-vous choisi Terra Willy – Planète inconnue parmi les projets que vous avez en développement ?

Eric Tosti : Parce que c’était mon tour de faire mon film. (Rires) David Alaux a réalisé Les as et on s’est dit que ce serait moi qui ferais le deuxième film de TAT Productions. Le projet que je portais était Terra Willy – Planète inconnue. Cela me semblait être un bon second projet, avec une dimension réaliste qui nous permettait d’expérimenter de nouvelles choses par rapport à ce qu’on savait déjà faire depuis 10 ans, comme les humains, par exemple, car dans Les as, ce sont des animaux qui parlent.

D’où vous vient cette idée de faire un film de science-fiction pour enfants ?

E.T. : Tous nos projets défendent des univers qui nous intéressent sinon nous ne serions pas assez motivés. Nous sommes fans de cinéma de genre en général. La SF nous a toujours plu à tous les trois. Cela parle aux enfants car dès l’âge de 5 ans, ils sont tous fans de Star Wars. Cela ne nous semblait pas incompatible. La SF n’est pas non plus un domaine si exploré que ça en animation pour enfants. Et puis, l’animation est un médium qui permet d’inventer à peu près tout ce qu’on veut et donc de créer des univers qui coutent probablement moins cher qu’en prises de vues réelles.

Jean-François Tosti : Ce n’est pas mal d’assumer qu’on fait clairement des films pour les enfants, non ? Mais nous mettons aussi des références qui permettent aux adultes qui accompagnent les petits de passer aussi un bon moment.

Existe-t-il des thèmes ou des valeurs incontournables dans les films pour enfants ? Déjà dans Les as de la jungle, il y avait l’ouverture à l’autre, la curiosité, le parcours initiatique, la solidarité…

E.T. : Cela nous intéresse de parler de la famille, et en particulier de la famille décomposée, recomposée, atypique. Dans Les As, il y a l’histoire de l’adoption entre différentes espèces. Dans Terra Willy, il y a cette famille qui se recompose autour de Willy avec le robot/père de substitution et le petit animal de compagnie. Ce n’est pas un combat et ce n’est pas revendiqué de notre part mais cela transparaît en tout cas. La curiosité, la découverte, l’ouverture sont des thèmes de Terra Willy mais ils traversent toujours un peu tout ce qu’on fait.

David Alaux : Cela fait très politiquement correct de dire ça mais quand vous vous adressez à des enfants, il faut mieux véhiculer des valeurs positives que négatives. Tout film a plus ou moins un message et c’est toujours plus sympa qu’il soit positif. On essaye d’être vigilant sur ça. Le respect de l’autre, l’acceptation de la différence ou encore l’ouverture d’esprit sont au cœur de la société actuelle.

Quelle est l’idée principale derrière le design visuel du film ?

E.T : Un des défis quand on veut faire découvrir un univers, c’est qu’il tienne la route. On s’est donné une grande liberté avec les deux directeurs artistiques, Benoît Daffis et Laurent Houis. On voulait que les gens en aient pour leur argent et donc, on s’est lâché. On a fait tout ce qui nous passait par la tête puis on a fait le tri. Pour tout ce qui est environnement et décors, le critère était que ce soit inédit, qu’on ne pense pas qu’on était sur Terre et en même temps, que ce soit hyper crédible. Pour les créatures, il y avait différents critères : que ce soit joli ou rigolo. Parfois elles étaient nécessaires par rapport à la narration. On voulait en tout cas que ce soit fun et coloré, qu’à chaque fois qu’une bestiole débarque, on ait le sourire ou qu’on se demande sur quoi on allait tomber. On avait envie de s’amuser, d’être généreux.

D.A. : C’est un film qui s’adresse aux enfants en premier lieu, il fallait donc que ce soit imaginatif, différent, original mais qui permette aussi aux enfants de s’approprier immédiatement les choses, de les identifier tout de suite. Les adultes peuvent appréhender de la SF très tendue avec des extra-terrestres complètement bizarroïdes mais c’est beaucoup plus difficile pour les enfants. Il y a eu une phase de recherche sur certaines bestioles pour éviter d’aller trop loin dans le délire. Il fallait trouver le juste équilibre.

D’où la création de Flash qui a tout du chien dans son attitude mais pas dans son visuel.

E.T. : C’était important d’avoir ce personnage qui apporte un peu de détente et de réconfort dans ce que traverse Willy. Il s’amuse avec lui mais il l’aide aussi à s’épanouir et à gagner en autonomie. Faire ressembler cette créature à un chien permet de comprendre immédiatement son rôle et on s’y attache. Nos bestioles peuvent aussi être des mélanges plus ou moins transparents de créatures terrestres ou extra-terrestres qu’on a vues dans des films. On a fait beaucoup de recherches sur Google.

D.A. : Dans Terra Willy, il y a beaucoup de plantes qui existent sur Terre mais avec une autre couleur ou une échelle complètement différente – une plante de 10 cm sur Terre est devenue un arbre dans Terra Willy.

J-F. T. : La planète possède deux univers : une partie désertique assez aride et pesante et une partie végétale très colorée où on se sent presque bien, où on a envie de passer du temps.

Combien de créatures avez-vous créées ?

E.T : Une trentaine mais on ne les a pas toutes gardées. Il doit y en avoir entre 20 et 25 dans le film. Avec le montage et la narration, il n’y avait pas de place pour tout le monde.

Etait-ce compliqué de créer le robot Buck ? Vous passez après R2D2, Wall-E, Eve, BB-8…

E.T. : Oh oui. BB-8 nous a bien embêtés d’ailleurs. (Rires) On voulait un robot assez simple, pas anthropomorphe. R2D2 était une des inspirations principales. Vincent du Trou noir aussi mais il est plus mal aimé et il n’est resté que dans la mémoire de geeks comme nous. Très vite, en discutant avec les directeurs artistiques, a surgi l’idée d’un robot sphérique pour son côté rassurant. On avait designé Buck avant que Disney ne dévoile BB-8 et quand on a vu que BB-8 avait les mêmes couleurs que notre Buck, on était dégoûtés. Buck est donc devenu rouge. Mais c’est nettement plus beau.

Dans le film, vous avez atteint un bon équilibre entre l’action et les scènes plus intimistes. Lesquelles étaient les plus difficiles à réaliser ?

E.T. : Le plus dur a été de monter tout ça ensemble. (Rires) Le montage a demandé très longtemps et on a fait beaucoup de versions différentes afin de trouver le bon équilibre dont vous parlez. Sinon, les deux sont aussi compliqués à réaliser pour moi. Les scènes d’action demandent beaucoup d’animation, des mouvements de caméra complexes, des effets spéciaux. En même temps, ce n’est pas si compliqué quand vous avez un bon storyboard et de bons animateurs qui prennent en charge les séquences. Cela ne m’a jamais fait peur car on avait ce qu’il fallait. En revanche, les séquences d’émotion sont un autre défi : dans le timing et dans l’écriture. Faisons-nous parler les personnages ou non ? Mettons-nous de la musique ? Et quel genre de musique avec quels instruments ? C’était plus compliqué à gérer pour moi car en plus il y en a beaucoup dans le film.

J-F.T. : Eric ne voulait pas faire un film hystérique. Les dernières productions américaines et même européennes grand public sont assez hystériques, avec un rythme effréné ou tout part un peu dans tous les sens. Eric avait envie de faire un film plus simple où on a le temps de se poser et d’observer, de ressentir des émotions, de ne pas être en permanence dans la course au gag, à l’action ou aux rebondissements. Et il s’en est plutôt bien sorti.

Quels sont les avantages et les inconvénients d’être son propre producteur ?

J-F.T. : Je vois surtout des avantages.

E.T. : Vous avez eu du mal à couper les robinets, quand même.

D.A.: C’est vrai que sur Terra Willy, on a largement dépassé le budget alloué au départ mais c’est un choix assumé. Quand on a vu l’avancée du projet et ce qu’on pouvait obtenir visuellement au final, on s’est dit que ça valait le coup. L’avantage aussi d’être producteur, c’est que tout l’argent va dans le film. Et on contrôle absolument tout. Et puis on se connaît tellement bien tous les trois. Bien sûr, parfois on s’engueule et on n’est pas d’accord mais au final, on est à peu près sur la même longueur d’ondes. On a une volonté commune d’avancer ensemble et de faire progresser le studio.

Pouvez-vous évoquer vos deux autres projets, Les aventures de Pil et Argonautes ?

J-F.T. : La nouveauté pour nous avec Les aventures de Pil, c’est que le projet est porté par un autre auteur-réalisateur, Julien Fournet. Il est chez nous depuis 7 ou 8 ans. Il a écrit et réalisé beaucoup d’épisodes de la série des As de la jungle. Comme nous trois ne pouvions humainement enchaîner les films, parce que le processus de création d’un film court sur 5 ou 6 ans, nous avons proposé à Julien de développer un projet. C’est un film moyenâgeux. Pil est une petite fille d’une dizaine d’années, qui vit dans une cité baptisée Rocquenbrune. Elle est orpheline et vit avec trois fouines. Pour survivre, elle doit voler aux nobles et sur les grands marchés de la ville. Elle va être embarquée dans plein d’aventures. C’est sympa pour nous de changer d’univers et d’avoir une héroïne féminine car on a plutôt l’habitude d’écrire des personnages masculins. Et il y a tout ce qu’on aime. Ce sera un film de genre d’une certaine manière. Il y a des éléments fantastiques et tout ce décorum du Moyen-âge. Julien étant très rigolo, ce sera un film qui sera vraiment drôle tout en véhiculant les mêmes valeurs et notions que nous développons dans ce qu’on écrit. On a beaucoup de références communes mais, parallèlement, Julien apporte quelque chose de nouveau et possède son propre univers. C’est une expérience assez chouette d’épauler un auteur.

D.A. : Argonautes est mon projet. C’est notre hommage à Ray Harryhausen. Enfin ! J’ai toujours adoré la mythologie et trippé à mort sur ces films comme ceux les Sinbad et ceux avec de l’animation pour les effets spéciaux. C’est ce genre d’univers qui me passionnait quand j’étais jeune et que j’aime énormément encore maintenant. Ensuite, Argonautes est un film d’aventure avec des voyages, des monstres, des conflits mais aussi des histoires de familles. J’ai aussi intégré des animaux qui parlent. C’est un univers mythologique avec aussi des humains, des dieux, des créatures, des héros mais tout est vu à hauteur d’animaux. Toute la problématique est résolue par une équipe d’animaux assez exceptionnels. Et l’héroïne est une petite souris.

Article paru – en partie – dans L’Ecran fantastique – N°407 – Avril 2019

Crédits photos : © TAT Productions