Le projet de Loup a vite été qualifié de « folie » : tourner au milieu de nulle part, parfois par -50°C, avec des loups et des acteurs débutants. Le réalisateur Nicolas Vanier a pourtant réussi à raconter une nouvelle histoire sur sa sainte trinité toute personnelle : un homme, un animal, un territoire.

Nicolas Brioudes incarne Sergueï, le héros de Loup

63°15,932 N 139°13,861 E. Ce sont les coordonnées GPS du lieu de tournage de Loup de Nicolas Vanier, tiré de son roman éponyme. Au fin fond de la Sibérie, en pleine Iakoutie. Le pays des Evènes, les héros du film. « Les repérages nous ont ramené à l’essence même du film, aux Evènes, raconte le réalisateur. Pour des raisons de coûts, nous avons d’abord pensé tourner en Laponie, en Norvège ou en Finlande et emmener des Evènes là-bas. Mais ça ne faisait pas assez authentique. Je voulais tourner l’histoire en conditions réelles, avec les vrais éleveurs de rennes dans leur cadre de vie. L’option la plus difficile, à savoir tourner en Sibérie, était donc aussi la meilleure pour le film. C’était une aberration économique et de production mais en voyant les images, je suis content de ne pas avoir cédé à la facilité. »

Nicolas Vanier

Entre 50 et 60 décors différents ont été trouvés dans un rayon de 40 km : des lacs, des rivières, des montagnes, des plaines…. Et au milieu, l’indispensable : une route. La seule. La Kolyma. Longue de 2 032 km, elle traverse l’est de la Russie et a gagné son surnom de « Route des os » parce que les squelettes des prisonniers de Staline qui l’ont tracée y sont enfouis tout le long du tracé. C’est près d’elle que le camp du film a été érigé. La ville la plus proche, Khandyga, est à 257 km.

Un froid extrême authentique

Le camp de vie a été baptisé Michaugrad, du nom du régisseur Pierre Michaud, responsable de sa construction fin 2007. Il a abrité une centaine de Français, Russes, Evènes et Canadiens pendant onze semaines de février à avril 2008 pour tourner la partie hiver et pendant cinq semaines en juillet et août pour tourner la partie été. Des wagons en bois ont été fabriqués à Iakoutsk pour servir de logements, d’espaces de vie et de lieux de stockage pour le matériel. Ils ont transportés en camion jusqu’au camp, soit un trajet de 18 heures. C’est de là que partait aussi le ravitaillement, une fois par semaine.

Chaque wagon est équipé du chauffage à bois au cas où les groupes électrogènes tombent en panne. L’hiver, la température peut descendre à -55°C. « Il fallait tourner en février pour avoir le grand froid, explique Nicolas Vanier. Nous avions besoin d’un minimum de -35°C car c’est à partir de cette température que la respiration se transforme en givre. Le froid peut alors se voir à l’image et à contre-jour, ce qui donne une impression de froid magnifique impossible à reconstituer avec des effets spéciaux. » Il a tout tourné en lumière naturelle, menant quotidiennement une course contre la montre et les éléments. « J’avais trois feuilles de service par jour : soleil, pluie, temps gris. Nous prenions la décision des plans à tourner vers 3 ou 5 heures du matin, en fonction de la météo. »

Des loups canadiens surprenants

Le budget du film a été calculé à 11 millions d’euros mais en Russie, il est très difficile de s’y tenir entre les taxes et les pots de vin. Loup est aussi un film trop atypique pour tout chiffrer d’avance. « Tout peut influer sur les scènes, avoue Nicolas Vanier. De petites histoires peuvent se créer comme avec ce louveteau qui s’est montré timide sur le plateau, ce qui a enrichi le scénario. Le film s’est construit sur place, instinctivement. J’ai d’ailleurs ajouté 20 séquences qui n’étaient pas prévues. »

Le tournage a ainsi multiplié les surprises, bonnes et mauvaises, surtout en hiver : gel de l’huile des moteurs, panne de générateurs, motoneiges qui ne démarrent pas… En revanche, il n’y a eu aucun problème avec le matériel cinématographique testé dans des congélateurs à Paris. Paradoxalement, il a plus souffert pendant l’été, à cause de la poussière. Avec le froid extrême, le métal colle aussi à la peau : poignée de porte, branches de lunettes, bracelets, parois en tôle ondulées des wc à la turque… Un des acteurs a même avoué que ce qui lui avait le plus manqué pendant cette aventure était un siège de toilettes !

Pour les autres, c’est leur famille qu’ils ne pouvaient contacter que cinq minutes par semaine via un téléphone satellitaire et quelques e-mails envoyés et reçus une fois par jour, Internet étant hors de prix. L’équipe était coupée du monde : ni télé, ni journaux, ni portables. Beaucoup s’y sont vite habitués pour avoir déjà travaillé en conditions extrêmes ou avec Nicolas Vanier. Ils savaient qu’ils vivaient encore une expérience hors du commun. Ceux qui n’ont pas participé au tournage de l’hiver ont le sentiment d’avoir raté quelque chose. Tous n’ont qu’un regret : personne ne s’est roulé tout nu dans la neige ! Et tous ont le même meilleur souvenir : les loups.

Nicolas Vanier a retrouvé son dresseur du Dernier trappeur, Andrew Simpson. Ce dernier a emmené onze loups sur le film. Les animaux ont été traumatisés par leurs 87 heures de voyage entre Calgary, au Canada, et Michaugrad au point d’être incapables de tourner pendant dix jours. Une fois remis, ils ont fait des merveilles et pas seulement aller d’un point A à un point B. « Rien de ce qui est demandé à un loup est impossible, précise Andrew Simpson, que ce soit de rester derrière un traineau sans attaquer les rennes alors que son instinct lui dit de les attaquer ou d’attaquer un homme alors que le loup n’attaque jamais l’homme. Rien n’est impossible pour lui, juste inhabituel. »

Les Evènes, futurs réfugiés environnementaux

Face aux loups, il y a quelques humains, acteurs français et figurants évènes. « Le casting s’est fait un peu au dernier moment, se souvient Nicolas Vanier. J’ai surtout eu des difficultés à trouver le héros, Sergueï. Je cherchais quelqu’un qui ne soit pas encore tombé dans l’âge adulte, qui ait de l’innocence et du charisme. J’ai choisi Nicolas Brioudes à une semaine du départ. » Les quelques acteurs français du film ont suivi une préparation d’un mois auprès des Evènes pour mieux appréhender leur comportement et leur mode de vie.

Nicolas Vanier a vécu pendant huit mois avec des Evènes, en 1990. La tribu qu’il connaissait vivant trop loin, il a engagé d’autres Evènes qui ont installé leurs camps de toile et leur harde de rennes près du camp de vie. Les Evènes font partie des derniers nomades mais rares sont ceux qui n’ont pas un logement sédentaire. Les plus jeunes parlent russe, et non plus évène, et délaissent les traditions. Ils portent des tee-shirts Shrek, dansent le Moonwalk et ont des lecteurs de dvd ou des appareils photo numériques qu’ils rechargeaient sur les batteries des quads de la production.

« Les Evènes pourraient vivre en autarcie grâce aux rennes, précise Nicolas Vanier. Ils sont l’exemple parfait de vie durable. Chaque clan de 20 à 25 personnes possède jusqu’à 3 000 rennes. Ils vivent en tuant 200 rennes par an mais le troupeau se renouvelle. Ils utilisent tout du renne, pour se nourrir et se vêtir. Ils pourraient vivre encore des centaines d’années si le déséquilibre climatique ne faisait pas disparaître le lichen, la nourriture essentielle du renne. » Le cycle du lichen étant très lent, une fois une harde passée, il faut du temps pour qu’il repousse. De plus en plus de temps. Quand il repousse. Sans lichen plus de renne. Sans renne, les Evènes deviendront des réfugiés environnementaux. « Loup est un témoignage de leur vie actuelle pour les générations futures, reprend le réalisateur. Tous ces films qui parlent de la nature suscitent de l’émerveillement et donnent l’envie de préserver ce qu’on a. Faire aimer, c’est aussi protéger. »

Article paru dans Studio Ciné Live – N°10 – Novembre 2009

Crédit photos : © Taiga Films, MC4 Production

 

 

 

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