Les spectateurs n’en ont pas fini avec l’univers de Harry Potter. J.K. Rowling adapte personnellement Les animaux fantastiques, un livre annexe à sa saga. Une gageure quand vous savez que ce dictionnaire sur des créatures imaginaires ne possède pas une once de narration. Visite sur le tournage à Leavesden, en Angleterre, à l’automne 2015.
New York, 1926. Le chaos règne dans la réserve d’un grand magasin. Le sol est jonché de cartons, de boites et de paquets tombés des étagères. Au milieu d’eux, Jacob, un nomage – soit un moldu américain – est plaqué contre un pilier par une créature fantastique qui a décidé de détruire les lieux. Pour jouer sa scène, l’acteur Dan Fogler doit faire preuve de son imagination, l’animal en question sera en effet ajouté en images de synthèse en postproduction. Le comédien le décrit comme une créature tentaculaire. Le livre Les animaux fantastiques de Newt Scamander répertorie 75 espèces de créatures. Une vingtaine d’entre elles seront dans le film éponyme réalisé par David Yates. Viendront s’ajouter quelques créatures inédites conçues spécialement pour le long métrage et qui s’annoncent surprenantes, les artistes ayant été encouragés à se lâcher dans leur design. Certaines sont des personnages à part entier dans l’histoire et ont même reçu un nom de baptême – gardé secret.
La Warner continue ainsi à surfer sur la vague financière de Harry Potter en adaptant une autre œuvre de J.K. Rowling. Dans l’univers du jeune sorcier, Les animaux fantastiques est un manuel scolaire de référence pour les élèves de Poudlard au même titre que Le Quidditch à travers les âges. Dans notre réalité, J.K. Rowling reverse les revenus de ses deux livres à l’association humanitaire Comic Relief qui lutte contre la pauvreté et l’injustice sociale. Alors que le succès des films Harry Potter battait son plein, le producteur de la Warner Lionel Wigram pensait déjà adapter Les animaux fantastiques. Il envisageait un faux documentaire sur le magizoologiste Newt Scamander. J.K. Rowling avait cependant une meilleure idée : les aventures de Newt à New York dans les années 1920. Qui d’autre qu’elle pouvait se charger de l’adaptation ? Les animaux fantastiques est un en effet un simple dictionnaire listant les créatures existantes dans le monde qu’elle a elle-même créé. A part quelques anecdotes, il ne possède aucune narration. L’auteure est donc partie de presque rien pour écrire son tout premier scénario – et les deux suites déjà prévues – si ce n’est le personnage de Newt Scamander. Et son imagination débordante a fait le reste.
An Englishman in New York (air connu)
Dans le film, à peine arrivé à New York, Newt (Eddie Redmayne) fait la connaissance de Porpentina Golstein (Katherine Wasterson) une sorcière du MACUSA – Congrès magique des Etats-Unis d’Amérique, équivalent du ministère de la Magie britannique – de sa sœur Queenie (Alison Sudol), une sorcière télépathe, et de Jacob Kowalski (Dan Fogler), nomage vétéran de la Première Guerre mondiale qui rêve de devenir boulanger-pâtissier. Le quatuor se met vite en chasse des animaux fantastiques qui se sont échappés dans les rues de la ville. Ici, les nomages ne connaissent pas l’existence des magiciens et sorciers. Seuls quelques uns en sont persuadés. Ces derniers appartiennent à la Nouvelle société philanthropique de Salem et se font appelés les « Second Salemers ». Leur but est d’exterminer les sorciers. Le MACUSA possède un Menaçomètre, un baromètre qui indique le risque de révélation de l’existence du monde magique. Avec le lâcher de créatures fantastiques dans les rues de New York, il est à son plus haut niveau. Surtout qu’elles font des dégâts.
Sur le plateau, Queenie vient d’ailleurs d’en faire les frais après le passage dévastateur de l’une d’entre elles. Paniquée et arborant un saladier en argent sur la tête, elle est aplatie sur le sol de la réserve du grand magasin. L’actrice Alison Sudol se demande si elle n’a pas trop l’air ridicule avec son brillant accessoire sur le crâne mais se rassure en se disant qu’elle vit à Los Angeles et qu’elle a appris qu’en cas de tremblement de terre ou de tout autre danger, il faut avant tout se mettre à couvert.
Secret absolu
Le film se tourne dans les studios de Leavesden de la Warner, à une heure de Londres. C’est là que tous les Harry Potter ont été réalisés. Cet environnement fermé permet de protéger les secrets du tournage. L’intrigue est gardée confidentielle et le film a même un nom de code, Boswell.
Quatre rues du New York des années 1920 ont été recréées sur les terrains des studios. S’il a fallu cinq à six semaines pour dessiner les plans des bâtiments, il faudra seize semaines pour tous les construire. Ils font partie de quatre quartiers : un commerçant, un résidentiel assez snob, un autre nettement plus modeste et un financier. C’est dans ce dernier que s’érige le Woolworth Building, le plus haut édifice de New York à cette époque. Il abrite le MACUSA que seuls les sorciers peuvent voir. « Tout doit apparaître réel et crédible car c’est de là que naît la magie, affirme le chef décorateur Stuart Craig. L’architecture de nos bâtiments est ancrée dans la réalité des nomages. Le New York magique est plus fantasque. Le plafond du hall d’entrée du MACUSA est celui du bâtiment, situé à 241 m de haut. On se croirait dans une cathédrale. » Créée en images de synthèse, évidemment. Comme les extensions des rues et les autres bâtiments qui complètent la ville.
Le décor extérieur reste immense. Une scène a pu accueillir jusqu’à 400 figurants. La plus grande difficulté ce jour-là a été d’habiller tout ce petit monde. La chef costumière Coleen Atwood a dû louer tous les costumes d’hiver des années 20 qu’elle a pu trouver chez les loueurs américains et européens. En comptant ceux qu’elle a fait fabriquer, elle détient dans la garde-robe du film jusqu’à 4 000 vêtements. Dont dix exemplaires du manteau de Newt. « Ce vêtement a déterminé tout son look, raconte la costumière. Je l’ai voulu bleu pétrole car le noir était trop évident. Il a un style typique de l’époque mais il devait se distinguer par sa couleur car Newt n’est pas une personne comme les autres. Mais Newt n’ayant aucun sens de la mode, son gilet est dépareillé. Et pour un côté pratique, son pantalon est fait de tel sorte qu’il puisse glisser le bas dans ses bottes. »
Nous sommes tous des gosses
Coleen Atwood a également créé l’uniforme de l’école de sorcellerie et de magie Ilvermorny, l’équivalent américain de Poudlard. Une scène montre quelques élèves en visite scolaire dans le MACUSA. Mais c’est là la seule présence d’enfants dans le film. Les animaux fantastiques ressemble en effet à du Harry Potter mais ce n’est pas du Harry Potter.
« L’action se situe toujours dans le monde de la magie et contient les caractéristique de l’univers de J.K. Rowling mais l’histoire a ses propres thèmes légèrement plus adultes, précise le producteur David Heyman. Nous traitons de problèmes sérieux concernant la condition humaine, la maltraitance, la peur de l’inconnu, la solitude, l’asociabilité… » « Les personnages ont cette pureté et cette innocence qui existent dans tous les personnages de J.K. Rowling, renchérit David Yates. Quand j’ai cherché les acteurs pour les incarner, j’ai voulu des adultes qui ont su garder leur âme d’enfant. Nous sommes tous des gosses quoi qu’on en dise. »
Eddie Redmayne est l’un d’entre eux, choisi pour incarner le héros. « Newt a de grandes affinités avec les animaux, souligne le comédien. Il est d’ailleurs plus à l’aise avec eux qu’avec les êtres humains. Dans cette aventure, il va apprendre à s’ouvrir aux autres. » Toujours perfectionniste, l’acteur a eu peur de ne pas en savoir suffisamment sur les animaux et a passé les quatre mois de préparation avec les artistes et les animateurs chargés de leur donner vie. Il a aussi rencontré des vétérinaires et un pisteur dont il a adopté la démarche, légère et silencieuse.
Chose que le personnage de Jacob ne connaît pas. Il a plutôt le pas lourd en tout circonstance. Et peut même faire autant de dégâts que la créature qui dévaste le grand magasin. Dans la scène suivante, il court après l’animal et se jette sur lui en criant « Je l’ai ! Je l’ai ! ». Dans les faits, Dan Fogler court après du vent et fait un plongeon sur un matelas pneumatique. La magie doit déjà être sur le plateau avant d’être sur l’écran.
Article paru dans Studio Ciné Live – N°80 – Juin 2016
Crédit photos : © Warner Bros