Quand deux géants s’attaquent à un petit Belge cela donne un film d’animation en 3D à base de capture de mouvement. De quoi titiller la curiosité des fans de Spielberg, Jackson et Tintin. Rencontre entre deux nouveaux complices.

THE ADVENTURES OF TINTIN

A quel point cela a-t-il été difficile d’adapter Tintin car vous deviez rester fidèle à Hergé tout en donnant au film votre propre style et vous deviez aussi faire un film qui ne soit pas trop enfantin pour plaire aux adultes tout en restant accessible aux plus jeunes ?

Steven Spielberg : C’était un équilibre à trouver mais la chance a voulu que les héritiers d’Hergé acceptent que l’on adapte librement Tintin. Ils ne nous ont pas imposé une adaptation littérale. Une seule aventure de Tintin ne durerait d’ailleurs pas plus de 30 à 45 minutes à l’écran, c’est pourquoi on utilise deux albums et demi, Le Crabe aux pinces d’or pour la rencontre entre Tintin et le Capitaine Haddock, Le Secret de la Licorne et un peu du Trésor de Rackam Le Rouge. On verra un peu plus de Rackam Le Rouge dans le prochain Tintin que réalisera Peter. Et c’est vrai qu’un réalisateur apporte toujours sa propre sensibilité à l’histoire qu’il réalise, mais dans le cas de Tintin, Peter et moi n’avons jamais cessé de penser à ce qu’Hergé aurait fait s’il avait lui-même mené l’adaptation.

Peter Jackson : Il était en effet primordial pour nous de ne pas mettre trop de nous-mêmes dans le film. Nous avons cherché à nous canaliser à travers la propre sensibilité d’Hergé, son sens de l’aventure et de la comédie. La beauté de Tintin réside dans ses différents niveaux de lecture. Les plus jeunes voient en lui un modèle à suivre et rêvent de vivre ses aventures. Mais en vieillissant, vous voyez plus le message politique, la satire, la parodie, l’ironie des histoires d’Hergé mais aussi ses influences. Il adorait les films d’Hollywood des années 20, 30 et 40, Charlie Chaplin, Buster Keaton et les comédies muettes façon tarte à la crème. Ce sont des comédies que Steven et moi adorons aussi. On s’est découvert beaucoup de points communs avec Hergé et il n’était pas difficile d’adapter Tintin de façon à être fidèle à ce qui avait influencé Hergé.

Tintin-afficheS.S. : Le choix des scénaristes a aussi été déterminant. Steven Moffat nous a écrit une première version mais il a dû ensuite nous quitter pour écrire les nouveaux épisodes des séries Sherlock et Doctor Who. Joe Cornish et Edgar Wright ont pris la suite. Tous trois ont su adapter Hergé et adopter la voix d’Hergé.

P.J. : On sentait que tous ceux qui collaboreraient de façon créative à Tintin devaient être des fans de Tintin pour que l’esprit de Tintin trouve naturellement son chemin dans le film. On ne voulait pas d’étrangers dans la communauté de Tintin (il éclate de rire). On a créé ce petit club…

S.S. : Dont j’avais l’impression d’être étranger car j’ai découvert Tintin sur le tard, en 1981, avec une critique française des Aventuriers de l’arche perdue, alors que vous autres étiez tous nés et aviez grandi avec Tintin. Puis j’ai découvert que certains d’entre vous n’étaient même pas nés en 1981 ! (rires) Je me suis senti tout de suite mieux !

Comme vous le disiez Steven, en 1981, un Français a comparé Indiana Jones à Tintin. Pensez-vous qu’en voyant votre film, les Américains vont maintenant comparer Tintin à Indiana Jones ?

P.J. : Oui ! Ca va être l’inverse !

S.S. : S’il y a des gens qui aiment comparer les films, ce sont bien les Américains ! Ils adorent trouver des éléments qui leur rappellent ce qu’ils ont aimé.

Steven, Tintin est votre premier film en capture de mouvement (mocap). Comment avez-vous approché cette nouvelle technologie, vous avez cherché conseils auprès de réalisateurs ou vous vous êtes jeté à l’eau et appris tout seul ?

spielberg-jackson_9S.S. : Si je m’étais jeté à l’eau, je me serai noyé tant la piscine était profonde ! (rires) Non, je suis allé à l’université Zemeckis et Cameron (sourire). J’ai passé un ou deux jours sur le plateau de Bob Zemeckis sur le tout premier film qui utilisait la mocap, Le Pôle Express. J’ai aussi passé quelques semaines sur le plateau d’Avatar de James Cameron. Et j’ai beaucoup appris. Mais cette technologie a aussi rapidement évolué, passant d’un rendu final assez artificiel à un rendu final extrêmement photoréaliste et naturel comme dans Avatar. Le plus important en mocap, c’est d’oublier qu’elle est là au bout de cinq minutes de film. Si l’histoire fonctionne, on oublie la technique utilisée. Quand un film en 3D est bon, on oublie la 3D. La 3D, l’image de synthèse, la mocap, l’animation… Ce sont juste des outils. Ils ne sont pas là pour améliorer l’histoire, les personnages ou le ton d’un film mais pour améliorer l’expérience du spectateur.

P.J. : Paradoxalement, avec Tintin, nous avons trouvé un moyen de rendre la mocap organique pour que la réalisation ressemble au procédé que Steven et moi avons toujours connu.

S.S. : Parce que je ne savais pas comment travailler autrement. En mocap, le plateau, que l’on appelle le « Volume », est un décor rudimentaire avec quelques éléments de références pour les acteurs comme une marque au sol ou un encadrement de porte pour qu’ils effectuent les bons gestes ou les bons déplacements et que, par la suite, les animateurs sachent où créer les objets dans l’image. Généralement, le réalisateur dirige ses acteurs, qui portent leur costume de mocap, et les ordinateurs, via les caméras placées autour du « Volume », enregistrent ensuite les positions des capteurs. Mais le réalisateur ne met jamais une caméra dans le « Volume » tant que les acteurs sont là. Ce n’est qu’après, une fois qu’ils ont quitté le plateau, qu’il y entre pour définir ses plans. J’ai fait ce que personne n’avait encore jamais fait : j’ai mis une caméra dans le « Volume » pour filmer au plus près les acteurs et définir chaque plan. J’ai juste apporté à une nouvelle technologie un procédé conventionnel que je maîtrisais dans la réalisation traditionnelle.

spielberg-jackson_4P.J. : Tu utilisais cette caméra numérique…

S.S. : J’avais plus l’impression de tenir une manette de jeu.

P.J. : … Avec un petit écran qui permet de voir le résultat final. Dans le « Volume », vous avez les acteurs mais sur l’écran de la caméra, vous les voyez évoluer dans le décor virtuel, avec les objets qui les entourent.

S.S. : Ce qui fait que je pouvais demander à mon acteur de se déplacer de quelques centimètres vers la droite ou la gauche pour que mon plan soit parfait. Avant, on pouvait avoir une mauvaise surprise en découvrant a posteriori, et donc trop tard, qu’un personnage était à 50 centimètres de la position idéale. J’étais aussi plus près des acteurs, à deux ou trois mètres d’eux et pas à 20 mètres, dans le village vidéo. Notre rapport était plus intime.

P.J. : Tu tenais la caméra, tu décidais du cadre, tu dirigeais les acteurs, tu décidais de la lumière… Tu étais tout autant cadreur que directeur de la photographie et, en un sens, c’est ce qui t’a permis de réaliser un film de façon naturelle. On a forcé la technologie à nous servir nous, les réalisateurs. On n’était pas au service de la technologie. Ca a son importance.

S.S. : C’est vrai qu’un réalisateur travaille toujours avec des centaines d’artistes, acteurs et individus talentueux et que cette technique m’a obligé à porter plus d’une casquette ! J’ai vraiment senti que je vivais une nouvelle manière de raconter une histoire. Grâce à cette petite manette de jeu, j’ai trouvé de meilleurs procédés visuels pour raconter une histoire.

P.J. : C’est aussi une technique très libératrice. Quand tu tournes un film traditionnel, tout est vite régi par des questions de logistique et de détails pratiques. Si tu veux tourner dans un décor particulier, tu dois y amener toute ton équipe. Si tu veux tourner une scène à l’aube, tu sais que ça va te prendre huit heures, mais tu connais des aubes qui durent huit heures, toi ? Avec la mocap et l’animation, tu crées littéralement le monde que tu veux et ce monde artificiel te libère en tant que réalisateur. Comme on se le disait, tourner Tintin est ce qui se rapproche le plus des tournages de nos films en Super 8, quand on était gamin.

S.S. : (songeur) Nos films en 8 mm…

P.J. : Tu n’as pas d’équipe technique, pas de costumes… Mais tu cours partout et tu filmes des trucs. C’est la liberté. C’est fantastique.

spielberg-jackson_2Votre Tintin est en 3D. Que pensez-vous de cette déferlante de films 3D depuis le succès d’Avatar ?

P.J. : La 3D nous paraissait naturelle pour Tintin. Le défi était de prendre les dessins en deux dimensions d’Hergé et de créer un espace en trois dimensions pour une version filmée et dans lequel vous vous déplacez avec votre caméra, de créer une réalité en trois dimensions avec des éléments qui ont du volume et du poids. Au final, les spectateurs vont vraiment avoir l’impression d’évoluer dans les décors créés à l’origine par Hergé.

S.S. : Notre 3D est modeste, elle n’est pas là pour vous en mettre plein la vue mais pour donner plus de profondeur à certains plans. Mais pour parler de la 3D en général, j’attends la 3D qui ne nécessite pas de lunettes.

P.J. : Tu vas voir qu’ils vont inventer des microprocesseurs à implanter dans le cerveau… (sourire)

S.S. : Ou si les lunettes sont indispensables, qu’elles ne soient pas des lunettes de soleil. Elles nous font perdre 10% de la luminosité de l’image. Je déteste ça.

P.J. : Les fabricants de projecteurs et les exploitants de salles devraient travailler pour augmenter la luminosité des projections. Je trouve aussi qu’il ne faudrait pas payer plus cher pour un film en 3D. Surtout s’il est mauvais !

S.S. : Sauf si c’est en Imax. Ce ne me gêne pas de payer plus cher pour voir un film en 3D si c’est dans une salle Imax.

P.J. : Et il y a plus de luminosité en Imax, non ?

S.S. : Un peu plus, oui.

Pour finir, quelle est votre insulte du capitaine Haddock préférée ?

S.S. : Politiciens d’eau douce ! (rires)

P.J. : Milles millions de mille milliards de mille sabords ! Oui, je sais, c’est l’insulte évidente. (rires)

Article paru dans Studio Ciné Live – N°30 – Octobre 2011