Avec Last Night in Soho, Edgar Wright retrouve un de ses thèmes de prédilection, l’horreur, mais laisse de côté la comédie pour mettre en scène une histoire désarmante de sérieux. Peut-être parce que le sujet le touche personnellement à plus d’un titre. Last Night in Soho sort en salles ce 27 octobre.

Thomasin McKenzie et Anya Taylor-Joy

Passionné de cinéma, l’auteur-réalisateur britannique Edgar Wright a commencé sa carrière à la fin des années 80 avec des courts-métrages, principalement des parodies de films cultes tournées en Super 8. À 21 ans, son premier long-métrage, A Fistful of Fingers (1995), un pastiche des westerns au budget dérisoire, lui permet d’être repéré et engagé afin de mettre en scène quelques épisodes de séries télé. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de l’acteur Simon Pegg. Leur duo donnera naissance à une amitié sans faille et accessoirement à la série-culte “Les Allumés” (1998).

Fasciné à la fois par le cinéma d’horreur et les comédies, il associe les deux dans Shaun of the Dead (2004) qui rencontre son premier succès critique et public sur grand écran. Son apocalypse zombie est même validée par George A. Romero en personne. C’est le premier élément de sa trilogie Cornetto qui sera complétée par deux autres oeuvres comiques abordant le genre policier, Hot Fuzz (2007), et l’invasion alien, Le dernier pub avant la fin du monde (2013). Entre-temps, Hollywood lui a fait les yeux doux. Il réalise une fausse bande-annonce pour le diptyque Grindhouse (2006) de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, adapte le célèbre comic Scott Pilgrim (2010) et participe à l’écriture des Aventures de Tintin : Le secret de La Licorne (2011). Marvel fait aussi appel à lui pour donner vie au super-héros Ant-man. Il sera écarté du projet pour différences créatives.

Son plus gros succès à ce jour demeure Baby Driver (2017), un thriller d’action qu’il a écrit et qui prouve qu’il peut tourner autre chose que des comédies loufoques. Il réitère d’ailleurs avec son thriller horrifique Last Night in Soho où une étudiante d’aujourd’hui fait de mauvais rêves plus qu’habités qui la plongent dans les années 60. Edgar Wright restera dans les films de genre pour son prochain projet, la nouvelle adaptation du Running Man de Stephen King.

Une obsession

Edgar Wright et le directeur de la photographie Chung-hoon Chung

Comment est née l’intrigue de Last Night in Soho ?

Edgar Wright : Je suppose qu’elle émane d’un certain nombre de choses. Avant tout, comme Eloise, l’héroïne de Last Night in Soho, j’ai une obsession similaire avec les années 60. Elle a probablement commencé avec la collection de vinyles de mes parents. Ils avaient une petite sélection d’albums des années 60. Ils l’ont débutée en 1964 et semblent l’avoir arrêtée net au début des années 1970, quand mon frère aîné est né, ce qui est triste. (Rires) En effet, à la naissance de mon grand frère, ils n’ont plus acheté de disques. Comme j’étais laissé tout seul à la maison, ce qui était fréquent, j’ai développé cette obsession pour ces albums des années 60, et aussi par association, pour l’histoire culturelle de l’époque à travers la musique, les films, la mode, la télévision et l’art. Je pouvais également en parler à mes parents quand ils étaient là, mais leurs histoires n’étaient pas toujours vraiment concluantes. J’avais l’impression qu’ils ne me disaient pas tout. D’une certaine manière, cela m’a conduit à poursuivre une quête afin de découvrir la vérité.

Et puis, au-delà de ça, quand j’avais 20 ans, j’ai déménagé à Londres. Je vis à Londres depuis 27 ans. A mon avis, j’ai passé plus de temps à Soho que sur n’importe quel canapé, dans n’importe quel appartement où j’ai vécu. Je suis à Soho alors que je vous parle et l’un des lieux de tournage de Last Night in Soho se situe de l’autre côté de la rue. J’adore ça. C’est en quelque sorte fascinant et parfois dérangeant. J’ai l’impression que c’est l’endroit où je vais passer le reste de ma vie.

Vous reconnaissez-vous un peu dans le personnage d’Eloise ? Car comme elle, vous avez quitté votre campagne dans le Somerset pour étudier à Londres.

Effectivement. C’est un amalgame de plusieurs choses. Je suis venu de la campagne à Londres, donc j’ai en effet vécu l’expérience du rat des champs. C’est aussi lié à ma mère. Nous avons tous les deux étudié dans une école d’art. Elle dessinait également des vêtements. La mère et la grand-mère de Krysty Wilson-Cairns, qui a co-écrit le scénario, étaient couturières. Ma belle-soeur, qui vient de Cornouailles, a pareillement fait des études d’art et dessine des vêtements. Cette histoire de rat des champs débarquant à Londres me parle, comme elle parle à Krysty. Il y a donc de gros éléments autobiographiques dans Last Night in Soho, c’est sûr.

Dame Diana Rigg

L’un de vos personnages, Miss Collins jouée par Dame Diana Rigg, dit : “C’est Londres. Quelqu’un est mort dans chaque pièce, à chaque coin de rue et dans chaque immeuble”. Habitant et travaillant à Soho, y pensez-vous quand vous marchez dans la rue ?

Oui. (Rires) Devant n’importe quel vieil immeuble. Si le bâtiment a 100 ans ou plus, je parie que quelqu’un est mort dans chaque pièce. C’est ce qui est aussi captivant. L’autre grande influence sur le scénario vient de ma mère. Elle est comme Eloise. Je la qualifierai de surnaturellement active. Elle a vu le film pour la première fois l’autre jour et je suis ensuite allé déjeuner avec mes parents et mon frère. Cela a fait ressortir toutes ces histoires que j’ai entendues en grandissant.

Ma mère est le genre de personnes qui ressent des présences dans les vieilles maisons ou dans des lieux ayant une signification historique. Et même dans notre propre maison de famille dans le Somerset. Ma mère y a vu deux fantômes distincts : un ancien propriétaire et l’enfant d’un autre propriétaire. J’ai grandi dans cette maison de 11 à 20 ans. Ma mère disait qu’elle pouvait voir des choses, et ni mon frère ni moi n’avons jamais rejeté ce fait. Je l’envie presque parce que moi, je n’ai pas vu de fantôme. J’aurais adoré en voir un. Donc, le fait que ma mère est, d’une certaine manière, très ouverte à l’idée de présences surnaturelles est quelque chose qui a eu un impact majeur sur moi. Ainsi, quand Miss Collins dit cette phrase, je la crois.

Une femme hors du commun

Thomasin McKenzie et Anya Taylor-Joy

Last Night in Soho est le premier long-métrage où vos personnages principaux sont des femmes.

C’est quelque chose qui me tenait à cœur et que je voulais faire depuis longtemps. J’ai cependant toujours travaillé avec une équipe de collaboratrices comme Nira Park et Rachael Prior, qui ont produit tous mes films.

Sur Last Night in Soho, avant même de commencer à écrire avec Krysty, Lucy Pardee, une directrice de casting récompensée par un BAFTA, a fait des recherches approfondies pour moi. C’était il y a presque dix ans, quand j’ai eu l’idée de l’histoire et que j’ai commencé à y penser. C’était peut-être cinq ans avant que je rencontre Krysty. Lucy a mené des centaines d’interviews de gens qui ont vécu et travaillé à Soho, dans les années 60, mais aussi aujourd’hui. Elle a également parlé à des étudiants dans le secteur de la mode et d’autres qui ont quitté la province pour venir à Londres. Quand j’ai entamé l’écriture avec Krysty en 2018, j’avais un document gros comme un annuaire à lire avec tous ces entretiens étonnants, dérangeants et fascinants qui validaient en quelque sorte l’histoire que j’avais déjà concoctée.

Mais je voulais entendre des points de vue réels. Krysty a, en outre, apporté sa propre perspective. Par exemple, Eloise est engagée dans un pub appelé le Toucan où Krysty a été employée comme barmaid pendant cinq ans. Et elle vivait au-dessus d’un club de striptease au coin de Dean Street qui existe toujours, il a survécu à la pandémie. J’ai travaillé à Soho pendant 27 ans et, plus récemment, j’y ai vécu, et Krysty a, en quelque sorte, fait de même. Avoir son point de vue sur l’histoire est évidemment inestimable. Elle a pris ce que j’avais déjà à proposer et offert des suggestions incroyables.

J’ai l’impression que les gens ne savent pas que j’ai toujours collaboré avec des femmes sur mes projets. Elles sont encore aujourd’hui les premières personnes que je consulte pour savoir ce que je veux faire, et surtout avec Last Night in Soho. C’est probablement pour cette raison que développer ce long-métrage m’a demandé plus de temps. Je voulais le faire correctement.

Edgar Wright et la scénariste Krysty Wilson-Cairns

Pensez-vous que cette perspective féminine était plus appropriée notamment parce que vous abordez le thème de l’exploitation sexuelle des femmes dans les années 60 ?

Je suppose, d’une certaine manière. Cet élément émane aussi du fait que j’ai regardé beaucoup de drames des années 60. Ces histoires tournaient alors autour de ce genre de clichés : une jeune femme débarque à Londres pour devenir une star, puis elle est punie sévèrement pour cette audace. Mais c’était une version moralisatrice et salace, généralement écrite par des hommes. Pour moi, quand on regarde ces longs-métrages, ils ressemblent à la vieille garde de l’époque et expriment une sorte de réprimande contre la libération de ceci ou de cela et contre les mouvements progressistes. J’ai trouvé ce thème très prenant et j’imagine qu’il a inspiré l’idée du film : deux récits jumeaux avec une jeune fille qui arrive à Londres dans le monde moderne et qui voit l’histoire d’une autre jeune femme arrivant à Londres dans les années 60.

Vous disiez envier votre mère et son aptitude à percevoir des fantômes. J’imagine que dans le cas d’Eloise, vous estimez que de voir des esprits est pour elle un don et non une malédiction.

Oui. Un journaliste m’a demandé dans une interview ce que Last Night in Soho disait sur les maladies mentales. J’ai répondu qu’en ce qui me concerne, Eloise n’est pas une malade mentale. Elle a un don. Évidemment, pour les gens extérieurs à tout ça… Si vous entrez dans une salle d’interrogatoire de police, comme Eloise le fait dans le film, et que vous dites que vous avez eu la vision d’un meurtre dans les années 60, l’officier de police va vous regarder comme si vous étiez fou. C’est pareil avec ma mère. Elle partage ses histoires, mais pas avec tout le monde parce qu’elle sait comment les gens vont la percevoir. Ils vont penser qu’elle est folle. Mais je crois que pour quelqu’un qui possède cette aptitude psychique, oui c’est un don, absolument.

L’angoisse du présent

Thomasin McKenzie

Comment ce don fonctionne-t-il dans votre film ? Parce qu’on voit Eloise dans le reflet de Sandie quand elle est devant un miroir donc on comprend qu’elle est dans le corps de Sandie. Mais parfois il n’y a ni miroir ni reflet et Eloise est une simple spectatrice de ce qui arrive à Sandie. Quelles règles avez-vous établies ?

L’idée est qu’Eloise chevauche des vagues émotionnelles. Dans un sens, elle ressent distinctement les souvenirs d’une personne. C’est basé sur les deux concepts des fantômes. Soit ce sont des âmes laissées derrière, dans le purgatoire, sur Terre, avec des problèmes non résolus. Soit ce sont des résidus psychiques d’un événement et non de vraies âmes. C’est ce qu’Eloise capte. Elle capte les vibrations d’un événement, et donc elle est tellement à l’écoute, que dans son rêve, elle revit les souvenirs de quelqu’un d’autre.

D’une certaine manière, ce qui se passe dans les rêves d’Eloise est comme ce qui se passe dans mon propre cauchemar du voyage dans le temps. Je reviens dans le passé, mais je ne peux rien faire, j’ai juste la possibilité de regarder. Dans Retour vers le futur, Marty McFly voyage physiquement dans le temps et peut littéralement changer le futur. Mais Eloise ne fait que rêver et revivre en quelque sorte les souvenirs de quelqu’un d’autre. Elle est presque comme un avatar qui est incapable de modifier le cours de l’histoire. Quand elle échange de corps avec Sandie, les émotions deviennent si fortes qu’elle ne fait plus qu’une avec elle. Et à d’autres moments, elle est juste une voyeuse. Eloise représente mon cauchemar de remonter le temps sans pouvoir rien faire, sans pouvoir modifier le cours de l’Histoire.

Vous aimeriez donc retourner dans le passé.

Oui. Cependant, le problème est qu’on ne peut pas avoir le bon sans le mauvais. C’est le sujet de Last Night in Soho, mais bien sûr, oui j’aimerais revenir en arrière. Toutefois, bizarrement, je pense que rêver de retourner dans le passé signifie que je ne veux pas faire face aux difficultés du présent. (Rires) J’ai l’impression d’avoir beaucoup pensé à remonter le temps, au point de commencer à réfléchir à des questions pratiques comme : et si je remontais le temps et que je n’avais pas le bon argent ? Et si je remontais le temps et que je devais trouver un assassin, mais que je ne me souvenais pas de la date de l’assassinat ? Et alors je me dis : “Mais pourquoi je me plains de tout ça ? Cela ne m’arrivera jamais”. Et c’est là, alors que vous passez des heures, des jours et des semaines à penser à ce genre de choses, que vous vous dites que ce qui se passe vraiment, c’est que vous n’arrivez pas à gérer le présent. (Rires)

Anya Taylor-Joy

Aujourd’hui, et surtout depuis la pandémie, beaucoup de gens ont peur du futur ou même du présent. Ils ont alors tendance à préférer penser au passé car ils le connaissent et  possèdent les codes pour le comprendre. C’est plus rassurant pour eux.

Certes. Toutefois, Eloise est obsédée par une décennie qu’elle n’a jamais vécue. Je suis obsédée par une décennie dans laquelle je ne suis pas né. Étrangement, les décennies que j’ai vécues n’ont pas autant d’intérêt pour moi. Quand il y a un revival des années 80, comme avec beaucoup de films et de séries télé, cela ne me touche pas parce que j’y étais. (Rires) Prenez des longs-métrages comme Wonder Woman 84 ou des séries comme “Stranger Things”, pendant que vous vous souvenez des années 80, moi, je dis : “Oui, je me rappelle des années 80. Qu’avez-vous d’autre ?”. (Rires) Je suis né en avril 1974 et je viens de réaliser un documentaire sur les Sparks [The Sparks Brothers, 2021] qui ont eu leur premier gros succès le mois de ma naissance. Je me souviens d’une partie de cette histoire. Mais tout ce qui s’est passé avant ma naissance reste pour moi le plus fascinant.

Quelles règles avez-vous inventées concernant les fantômes de Last Night in Soho, quant à ce qu’ils pouvaient faire et ne pas faire ?

C’est difficile d’en parler sans trop dévoiler l’intrigue. Je ne peux pas vraiment expliquer tout ça sans révéler la fin. (Rires) Dans six mois, je pourrai aborder le sujet. Nous avions une règle. Mais elle peut expliquer littéralement quelque chose qui se passe dans la scène finale. Donc, je ne veux pas l’évoquer. (Rires)

Chorégraphies et transgressions

Anya Taylor-Joy et Thomasin McKenzie

Comment avez-vous filmé les scènes impliquant les miroirs et les reflets de vos protagonistes ?

Je dirais que c’est à la fois simple et remarquablement compliqué. Quand Anya Taylor-Joy (Sandie) est d’un côté de la vitre qui représente un miroir et Thomasin McKenzie (Eloise) est de l’autre côté, la scène a été filmée en même temps. Anya et Thomasin sont côte à côte ou face à face. En fait, le plus compliqué est de faire de longues prises fluides, sans écran vert et, à quelques exceptions près, sans contrôle de mouvement. Une grande partie s’appuie juste sur une chorégraphie. Pour être honnête, tout tient à la chorégraphie. Le caméraman doit être au bon endroit au bon moment, et heureusement, il était absolument brillant. Quant aux actrices et aux acteurs, ils doivent s’imiter les uns les autres. Thomasin et Anya se sont immédiatement liées comme des soeurs, car elles devaient tout le temps être le miroir l’une de l’autre. Et puis, d’autres fois, comme dans mon propre cauchemar de retour dans le passé, Thomasin est juste une voyeuse. Elle est dans la scène avec Anya Taylor-Joy et Matt Smith, mais elle ne peut que les observer.

La plupart des scènes avec ces effets ont été filmées en utilisant toutes les astuces existant dans le cinéma. Certaines d’entre elles, compliquées, sont incroyablement primitives comme les doubles décors. Vous avez deux chambres ou deux vestibules et une actrice dans chaque pièce qui regarde l’autre. Dans une des scènes dans le sous-sol du bar, Thomasin est assise sur une banquette double, mais pour rendre le tout compliqué, la personne à qui elle parle est vue devant un vrai miroir de sorte que vous pouvez voir son reflet. Ces différents dispositifs bien réels permettaient aux acteurs de ressentir des émotions pendant qu’on les filmait. Nous avons travaillé très dur avec les équipes caméra, décors et effets visuels afin d’élaborer ces plans. On en a tourné certains en vidéo en amont, et parfois avec les acteurs, pour que tout le monde sache ce qu’il devait faire. Quelques fois, sur le plateau pendant le tournage, certains membres de l’équipe qui n’avaient pas participé à ce processus nous regardaient en s’interrogeant : “Mais qu’est-ce qu’ils font ?”. (Rires) Et puis finalement, alors qu’ils voyaient la scène en train d’être filmée, ils réalisaient : “Ah, maintenant, j’ai compris”.

Je pense que la raison pour laquelle cela fonctionne si bien – si cela fonctionne vraiment –, c’est parce que les comédiens ont travaillé les uns avec les autres, qu’ils se sont nourris les uns les autres. Si on les avait séparés et qu’on avait tourné entièrement sur un écran vert par exemple, on n’aurait pas obtenu les mêmes performances d’Anya et de Thomasin. Plus d’une fois, ce n’est qu’une simple histoire de chorégraphie et de précision. Les gens s’imaginent que c’est plus compliqué que cela ne l’est en réalité. Ce grand numéro de danse où Matt Smith passe d’une partenaire à l’autre, la plupart du temps, c’est juste un plan filmé avec une steadycam alors qu’Anya et Thomasin échangent leur place hors champ. C’est excitant de concevoir ces scènes avec un chorégraphe et de les voir à la caméra sur le plateau, pendant le tournage, car on n’a pas à attendre six mois pour voir l’effet final. Vous repassez l’enregistrement et vous laissez toute l’équipe se presser autour des moniteurs pour regarder. Quand ça fonctionne, vous entrez dans le monde magique des illusions d’optique. J’adore ça.

Anya Taylor-Joy, Edgar Wright et Matt Smith

Pouvez-vous nous parler de l’esthétique de Last Night in Soho ? Comment avez-vous créé ces deux univers à deux époques différentes ?

Les séquences de la période moderne, à Londres, possèdent un ton un peu gris et hostile. L’architecture londonienne, comme la ville, peut être un peu brutale. Je voulais créer un sentiment froid et rebutant. Par contraste, quand on retourne dans les années 60, on est frappé par le Technicolor de l’époque. On a regardé des films en Eastmancolor et en Technicolor des années 60 qui nous ont inspirés pour notre palette comme L’Obsédé de William Wyler, Le Voyeur de Michael Powell ou encore Sapphire de Basil Dearden. Ces métrages ont l’air si irréels, mais glamour, et c’était l’idée que l’on recherchait pour les séquences des années 60.

Puis, vers la moitié de l’histoire, lorsque le passé commence à envahir le présent, toutes les couleurs de l’époque l’accompagnent. Si vous regardez la seconde moitié de Last Night in Soho, cette couleur fantasmagorique a maintenant envahi le présent. Nous avons utilisé des lentilles sphériques pour le Londres d’aujourd’hui, puis des lentilles anamorphiques pour les années 1960. À partir de la moitié du film jusqu’à la fin, les lentilles sont anamorphiques pour rendre le film plus onirique. L’idée est qu’au moment où l’on arrive à la fin, avec un peu de chance, on a le sentiment que l’ensemble est très expressionniste et lyrique, de telle sorte que l’on n’est pas tout à fait sûr de ce qu’il se passe. Eloise manque alors tellement de sommeil que l’on ne sait pas si l’on regarde le film à travers ses yeux.

C’est votre œuvre la plus sombre de votre filmographie, sans quasiment aucun humour. Que se passe-t-il ? Avez-vous grandi ?

(Sourire) Eh bien, j’ai 47 ans. Je pense que Soho est un endroit assez envoûtant. Certaines personnes se promènent dans la ville et ne pensent jamais à son histoire. Je ne fais pas partie de ces gens. J’y pense tout le temps. Cela me hante littéralement de réfléchir aux bâtiments dans lesquels je me trouve, à ce qu’il s’y est passé et à leur histoire. Je suppose que c’est dû à ma relation compliquée avec Londres, une ville que j’aime. Comme toute grande cité, elle a beaucoup de problèmes et a vécu des événements très sombres dans son passé. Je ne dis pas que je ne referai pas un film comique, cette idée n’a pas complètement disparu, mais c’est quelque chose que je ressens souvent avec mes projets. J’éprouve des choses que je dois évacuer de mon système. J’ai un peu l’impression, quand je fais des films, d’être sur le divan d’un psychiatre. (Rires) Donc, je ne dirai pas que je ne ferai plus jamais de film drôle, mais étrangement, j’ai le sentiment que Last Night in Soho est un de mes films les plus personnels.

Thomasin McKenzie

Les réalisateurs affirment souvent qu’un film d’horreur peut être cathartique, pour eux comme pour les spectateurs. Est-ce votre cas ? Est-ce que Last Night in Soho vous a guéri, par exemple, de votre obsession des années 60 qui vous poursuit depuis toujours ?

Le film me fait m’interroger sur la raison pour laquelle je pense autant au passé. Comme je vous l’ai dit, je me demande si c’est parce que je ne peux pas gérer le présent. Ce qui est assurément vrai. Je crois aussi qu’il y a quelque chose avec les films d’horreur… Je n’en ai pas fait depuis longtemps, car je voulais trouver un sujet qui me dérange vraiment. J’estime que si vous faites un film d’horreur et qu’il ne vous semble pas transgressif d’une manière ou d’une autre, c’est qu’il y a probablement quelque chose qui ne va pas dans ce que vous faites. Le film semble complaisant si vous n’êtes pas vous-même dérangé par le sujet. C’est sans doute aussi pour cela que Last Night in Soho a mis du temps à arriver. Je ne suis pas sûr qu’il ait été complètement cathartique parce que je ne peux pas m’enfuir du quartier de Soho. Je peux littéralement voir l’un des principaux lieux du tournage depuis ma fenêtre. Donc, je ne suis pas sûr de m’en échapper un jour, à moins de déménager.

Crédit photos : © Parisa Taghizadeh / Focus Features LLC / Universal International Pictures

Article paru dans L’Ecran fantastique reboot – N°13 – Novembre 2021