Avec Invisible Man, Leigh Whannell revisite le mythe de l’Homme invisible. Son film raconte la trajectoire d’une victime harcelée par ce monstre. La jeune femme tente de prouver que quelque chose d’affreux lui arrive sans parvenir à en convaincre qui que ce soit. Plus thriller psychologique que film d’horreur, ce captivant et intense Invisible Man sort en salles ce 26 février.

Elisabeth Moss

1 – L’histoire

Cecilia Kass, une architecte intelligente et douée, vit avec Adrian Griffin un scientifique, brillant et riche, pionnier en matière d’optique. Ne supportant plus ce compagnon violent et tyrannique, elle prend la fuite une nuit et se réfugie chez des amis. Quand elle apprend qu’il s’est suicidé en lui laissant une part importante de son immense fortune, elle doute de sa mort. Parallèlement, une série d’événements aussi étranges que cruels touchent ses proches.

2 – Une revisite qui en appelle d’autres

Elisabeth Moss et Leigh Whannell

En 2017, avec La Momie d’Alex Kurtzman, Universal relançait son univers cinématographique des monstres. Ce dernier avait fait son succès dans les années 30 et 40 avec des figures légendaires comme Dracula, le Loup-garou, la créature de Frankenstein et la Créature du Lac Noir. Le résultat décevant du long métrage – malgré Tom Cruise – semblait avoir refroidi le studio. Avec l’excellent Invisible Man de Leigh Whannell, Universal annonce inaugurer une nouvelle approche de ses créatures mythiques. Le studio souhaite renouveler les enjeux des personnages grâce à des réalisateurs et scénaristes audacieux et inventifs. Il promet des budgets confortables, l’exploration de registres variés et des publics différents. Et il rejette l’idée de saga avec moult chapitres, misant plutôt sur des unitaires.

3 – L’Homme invisible réinventé

Blumhouse a invité Leigh Whannell (Saw, Insidious) à rencontrer son équipe du développement afin d’évoquer d’éventuels projets, dont Invisible Man.

Le personnage imaginé par H.G. Wells passionne Leigh Whannell depuis l’époque où il séchait l’école pour voir en secret les films de monstres Universal à la télévision. L’histoire de cette entité maléfique n’ayant pas été surexploitée dans d’innombrables versions, le réalisateur s’est senti plus libre que s’il s’attaquait à un mythe comme Dracula.

Tandis que le personnage du roman était un scientifique qui basculait vers la folie, Leigh Whannell s’intéressait davantage à ce qui obsédait cet être diabolique. Au cours de sa rencontre avec les gens de Blumhouse, il a compris qu’il fallait renverser le point de vue. « J’ai eu cette idée de manière spontanée, sans vraiment y réfléchir. J’ai suggéré que si on faisait un film sur l’Homme invisible, on devrait adopter le point de vue de sa victime. Par exemple, une femme qui réussit à échapper à son mari violent en pleine nuit et qui découvre ensuite qu’il s’est tué, sans y croire vraiment, surtout lorsque de mystérieux phénomènes commencent à se produire. » Après ce rendez-vous, cette idée initiale ne l’a plus quitté.

4 – Le pouvoir aux femmes

Quand on parle de l’Homme invisible, les gens partent du principe que le rôle-titre est le personnage principal. Dans Invisible Man, c’est Cecilia Kass (Elisabeth Moss). Leigh Whannell a renversé le point de vue traditionnel pour adopter celui d’une femme forte.

Invisible Man est aussi une histoire très actuelle, qui évoque les violences conjugales, la perception des femmes dans les médias et les droits des femmes. « Leigh ponctue le film de ces thématiques et les intègre avec subtilité dans la trame narrative, explique Kylie du Fresne, coproductrice avec de sa société australienne Goalpost Pictures. Il raconte comment des femmes qu’on a fait souffrir – sous l’emprise d’un homme pendant un moment – ont le sentiment de perdre pied avec la réalité, et que la société les considère comme étant ‘tout simplement hystériques’ et estime qu’elles ont tout inventé. Ce n’est pas vrai. On le ressent très fortement à l’heure actuelle et le film l’évoque comme peu de longs métrages l’ont fait. »

Elisabeth Moss et Oliver Jackson-Cohen

Elisabeth Moss renchérit : « Pour Leigh et moi, c’était important d’imaginer des rapports qui ne soient pas seulement violents d’un point de vue physique, mais aussi émotionnel et psychologique. Ces rapports peuvent être tout aussi dévastateurs. J’espère que ce film permettra à tous ceux qui en ont souffert de se sentir mieux représentés et soutenus. En tant que femmes, nous avons le sentiment de nous émanciper et d’incarner une génération qui n’hésite plus à prendre la parole, mais je crois qu’on juge parfois sévèrement celles qui ne mettent pas fin à des relations toxiques. Je trouve qu’il est important de se montrer tolérant vis-à-vis des femmes qui sont plus faibles que d’autres. On peut être à la fois fort et terrorisé. Et on peut être à la fois fort et faible. On peut être féministe et amputé de son libre-arbitre. C’est important de s’en souvenir et de l’accepter. »

5 – Le casting d’Elisabeth Moss

Dans Invisible Man, Leigh Whannell a fait de Cecilia une femme forte, douée et débrouillarde. Son existence a été bouleversée par une relation toxique et elle s’effondre devant des obstacles qui semblent insurmontables. Pour ce rôle, il cherchait une actrice qui puisse camper ce personnage dont la raison vacille mais de manière réaliste, sans tomber dans l’excès ni surjouer.

Son choix s’est porté sur Elisabeth Moss (Mad Men, Top of the Lake, The Handmaid’s Tale). « Je savais qu’elle pouvait jouer cette forme de descente aux enfers sans excès, souligne-t-il. Elisabeth est la garante de l’authenticité. Si elle avait le sentiment qu’une scène ne fonctionnait pas ou sonnait faux, elle avait du mal à la jouer. On a formé une bonne équipe. Elle m’encourageait à revoir les dialogues et le scénario. Et je la poussais à adopter un jeu plus physique. On s’est tous les deux poussés dans nos retranchements respectifs. »

6 – Les motivations du monstre

Scientifique aussi riche que brillant, Adrian Griffin est charmant et séduisant. Et violent. Il est obsédé par Cecilia et ne songe qu’à la dominer. Quand elle tente d’échapper à son emprise, rien ne l’arrête pour la récupérer. « Avec ce personnage, je voulais évoquer le narcissisme et le comportement propre au sociopathe qui aboutissent à la réussite, précise Leigh Whannell. Ça le rend fou de savoir que Cecilia pourrait le quitter, que quelqu’un ose le défier de cette manière. Il a un besoin compulsif et pathologique de la dominer et c’est, fondamentalement, ce qui l’anime. »

L’acteur qui l’incarne, Oliver Jackson-Cohen, a passé pas du temps en répétitions avec Elisabeth Moss et Leigh Whannell pour mettre au point ces rapports de domination. « On voulait montrer comment ce type de relation s’installe, raconte-t-il. Et comment certaines personnes se remettent en couple avec un conjoint violent tout en étant conscientes des risques. Car ces gens exercent une forme de magnétisme. Adrian réussit à retenir Cecilia, puis à faire en sorte qu’elle se trouve là où il veut. Il obtient exactement ce qu’il désire : voir Cecilia souffrir et basculer vers la folie. »

7 – Un thriller avant l’horreur

Leigh Whannell entendait se distinguer des films de monstres traditionnels. Il ne voulait pas que son Invisible Man tombe dans l’esthétique prévisible du cinéma d’horreur avec ambiance malsaine, papiers peints de couleurs voyantes, espaces confinés et oppressants et toiles d’araignée partout. Le cinéaste a abordé le film comme un thriller réaliste, à la fois contemporain et épuré. Il a souhaité amener de la lumière et faire un film d’horreur baigné de lumière naturelle. Il n’y a pas de créature tapie dans l’ombre, mais quelqu’un qui est présent sans l’être vraiment. Et la meilleure façon de le représenter à l’écran est d’éclairer l’espace.

8 – Quatre maisons en une

L’action du long métrage se déroule à San Francisco mais Invisible Man a été tourné à Sydney. Un des plus grands défis de la production a donc consisté à repérer des lieux dans la ville australienne susceptibles d’évoquer la ville américaine. Elle a porté une attention toute particulière à la propriété d’Adrian.

Pour des questions de budget, cette maison devait être un décor réel. Il fallait que la bâtisse ait l’air de se situer aux alentours de la Silicon Valley et surtout être éloquente sur la personnalité obsessionnelle, autoritaire, froide et implacable du scientifique. Elle devait ainsi posséder une architecture singulière, brutaliste, avec des formes marquées, monolithiques et dures. Comme une sorte de prison de luxe. Finalement, la propriété d’Adrian a été tournée dans quatre lieux différents.

Leigh Whannell a filmé l’intérieur de la maison à Pebble Cove, à environ deux heures et demie de route de la côte sud de Sydney. C’était la première fois qu’une équipe de tournage opérait dans cet espace verdoyant sur le littoral. La luxueuse maison est en béton avec un parquet en bois construit à partir de poutres qui ont échappé à un incendie au château de Windsor.

Pour son extérieur, il a choisi Dovecote, une autre demeure d’exception – elle a remporté le prix australien de la Maison de l’année en 2019. La résidence d’Adrian est censée se situer en dehors de la ville, en bordure d’océan, dans un espace ouvert mais hautement sécurisé. Elle est aussi adossée à une grande forêt et cernée d’un mur imposant qui retient Cecilia prisonnière. L’équipe a donc construit de vastes murs de béton avec un portail électronique en bois sombre devant la maison. La postproduction a agrandi les murs pour donner l’illusion qu’ils font le tour de la propriété.

Le troisième lieu était à Coogee, une station balnéaire des environs de Sydney. L’équipe a construit le dressing et la salle de bain d’Adrian dans le salon de cette maison et créer une chambre avec salle de bain attenante.

Enfin, le quatrième lieu, le garage d’un riche propriétaire qui abritait huit voitures de collection, a servi pour le laboratoire high-tech d’Adrian. Il y avait des bandes de lumière LED au plafond et sur les murs. L’équipe Décoration a ensuite ajouté des pièces sécurisées et des espaces climatisés pour les expériences scientifiques. Afin d’apporter de l’intensité et de donner une impression « dernier cri », elle a peint les murs en noir brillant.

9 – Créer un homme invisible

[SPOILERS] Les équipes d’Odd Studios ont mené des recherches sur les techniques d’invisibilité qui existent aujourd’hui à petite échelle. Par exemple, on peut détourner la lumière autour d’un objet, ce qui le fait disparaître puisqu’il ne renvoie plus la lumière vers nous. Cependant, cette idée n’est pas très cinématographique. Leigh Whannell a plutôt choisi un concept en rapport avec l’optique. La combinaison qui rend l’homme invisible est recouverte de centaines de mini-caméras qui filment ce qu’il y a autour d’elles. Ainsi, une caméra située à l’arrière du costume filme ce que se passe derrière. L’image est alors projetée sous forme d’hologramme sur le devant de la combinaison. Du coup, ce qui se situe derrière la personne portant le costume est projeté devant lui, ce qui le fait disparaître.

La production a consulté des experts du Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO) en Australie et des universités. Selon les scientifiques, ce que propose le film est faisable en théorie. Mais il faudra encore une vingtaine d’années de développement pour y arriver. Ce qui était parfait pour Invisible Man. Leigh Whannell voulait justement que cette technologie ait l’air inaccessible aujourd’hui mais néanmoins plausible.

Le superviseur effets visuels Jonathan Dearing et son équipe de Cutting Edge ont ensuite créé une version numérique d’une véritable combinaison de plongée, avec ses centaines d’objectifs qui permettent de faire disparaître la surface du costume. Sur le plateau, c’est le cascadeur Luke Davis, en costume vert, qui incarnait l’Homme invisible. Il était ensuite effacé en postproduction. [FIN SPOILERS]

10 – La terreur du visible

Leigh Whannell et le directeur de la photographie Stefan Duscio ont dû relever le défi de créer du suspense avec des images très lumineuses. Il leur fallait obtenir un sentiment de terreur alors que le moindre recoin de l’espace domestique est visible. Et il devait prouver que l’Homme invisible pouvait être n’importe où dans cet environnement. Tout ceci dans le but notamment d’intensifier la paranoïa et la folie – supposées – de Cecilia.

Stefan Duscio a donc filmé exprès des espaces vides, en laissant la caméra s’attarder dans les recoins des pièces. Il a également cadré Elisabeth Moss de manière inhabituelle pour suggérer que quelqu’un se tient dans le hors champ. Il pouvait aussi s’attacher à un élément inattendu du cadre, au-delà d’un personnage situé au premier plan. « Cette technique peut sembler étrange ou inhabituelle dans sa composition mais notre but est de créer une tension constante, explique le directeur de la photographie. On espère aussi que ça permet d’attirer l’attention du spectateur pour chercher à déceler le moindre mouvement ou indice de la présence de notre prédateur dans les recoins de chaque plan. »

11 – Des bleus et des bosses

Face au grand nombre de scènes particulièrement physiques que comporte Invisible man, Elisabeth Moss a réalisé beaucoup de ses cascades. En général, le chef cascadeur Harry Dakanalis (Matrix) et le chorégraphe de combat Chris Weir répétaient les scènes d’action avec Sarah Laidler – doublure cascade d’Elisabeth Moss – et Luke Davis – doublure cascade de l’Homme invisible – jusqu’à ce qu’elles prennent forme. Ils faisaient ensuite découvrir à l’actrice comment la séquence allait se dérouler et à quel rythme. Ce qui prenait en moyenne trois à quatre heures de travail. L’étape suivante était le tournage avec Luke Davis. Très en amont des répétitions, le chef cascadeur a découvert que les réactions spontanées d’Elisabeth Moss s’avéraient beaucoup plus intéressantes que ses gestes chorégraphiés.

Contrairement à des affrontements traditionnels, Cecilia se bat contre quelqu’un qui est littéralement absent. Pour accomplir ce tour de force, Elisabeth Moss et Sarah Laidler pouvaient compter sur Luke Davis qui, la plupart du temps, était en combinaison verte. Cet « homme invisible » tangible pouvait ainsi tirer la jeune femme ou la projeter à droite et à gauche. Des câbles ont également été utilisés pour maintenir le personnage de Cecilia immobile ou la faire voler dans les airs.

12 – L’illusion d’une descente aux enfers

Pour restituer la déliquescence mentale de Cecilia, la cheffe de l’équipe maquillage-coiffure Angela Conte a travaillé en étroite collaboration avec Elisabeth Moss. « C’est extrêmement difficile d’enlaidir Elisabeth, admet-elle. Si bien que lorsqu’il a fallu imaginer son allure de femme brisée, sa coopération a été décisive. Elle a un regard formidable et elle est audacieuse. Ensemble, on lui a façonné des expressions que j’appelle ‘sublimes et envoûtantes. »

Cecilia passe de la femme à l’allure parfaite quand elle est aux côtés d’Adrian à une femme au visage dévasté dès lors qu’elle plonge dans ce que son entourage perçoit comme la folie. Cet état comportait plusieurs phases. « Elisabeth ne voulait pas avoir l’air d’une potiche caricaturale, relève Angela Conte. Car Cecilia a subi des violences physiques et émotionnelles de la part de son partenaire. Tandis qu’elle perd pied peu à peu – et que son état mental suit le même chemin –, son maquillage se met à couler et sa coiffure est en bataille. »

Pour son allure de « potiche », Angela Conte lui a ajouté des extensions de magnifiques cheveux blonds bien épais. Pour son allure de femme dévastée, elle a très légèrement assombri sa teinture et rendu ses cheveux plus fins. Il ne s’agissait pas de modifier sa couleur de cheveux mais de leur donner un aspect sale et mal soigné. À mesure qu’elle lui enlevait les extensions, ses cheveux devenaient plus cassants et filasses.

Pour les scènes où Cecilia est au fond du gouffre, Angela Conte a mis au point un maquillage donnant à l’actrice un teint pâle et un air malade et dénué d’expression. Elle a affublé Elisabeth Moss de rougeurs sur le visage, de cernes sous les yeux, de coupures et d’égratignures. Il fallait que tout ce maquillage tienne sous une pluie diluvienne et pendant les scènes d’action sans qu’Angela Conte soit obligée de le retoucher toutes les cinq secondes. Elle a donc utilisé une teinture et un maquillage – et des extensions de cheveux – résistants à l’eau.

13 – Une musique discrète

Aldis Hodge, Elisabeth Moss et Storm Reid

Leigh Whannell a engagé Benjamin Wallfisch pour composer la musique d’Invisible Man. Il lui a clairement spécifié qu’il ne voulait « surtout pas d’une musique démonstrative, avec des cordes très présentes, pour bien souligner les moments où on est censé avoir peur. » « Il s’agissait d’utiliser les silences par souci de rythme, explique le compositeur. Lorsqu’on entend de la musique, les sonorités prennent ainsi un relief très particulier. On croit qu’on va entendre la musique, mais elle ne vient pas. C’est comme un écho à la présence invisible d’Adrian Griffin. Je tenais aussi à restreindre l’instrumentation aux cordes. Les musiciens devaient alors donner la pleine puissance à leur interprétation sans l’appui d’un orchestre au grand complet. »

Pour le « Thème de Cecilia », il a composé une mélodie toute simple pour violoncelle et cordes. Il l’utilise à chaque fois qu’il veut montrer que la jeune femme se souvient qu’elle a toute sa tête, y compris dans les moments où le sol se dérobe sous ses pieds. Ce morceau n’est entendu que quelques fois dans Invisible Man, à des moments-clés de sa trajectoire. Un autre thème, au piano, revient à quelques reprises. Ce motif insistant montre que Cecilia est encore capable de se raccrocher à sa véritable identité, en dépit de tous les obstacles.

Pour mettre en musique la présence d’un antagoniste invisible, le compositeur a créé une sonorité qui lui est propre et qui prend le spectateur par surprise. « Le thème de l’Homme invisible est entièrement électronique, explique-t-il. Et quand il est poussé au maximum, on a fait en sorte que les sonorités occupent tout l’espace. »

Crédit photos : ©Universal Pictures