Son visage est connu, son nom peut-être moins. Sarah Paulson est ce qu’on appelle aux Etats-Unis une character actress, une actrice souvent de seconds rôles qui peut tout jouer, qui disparaît dans ses personnages et qui laisse une empreinte dans toutes ses scènes. Avec Glass, la suite d’Incassable et de Split, l’actrice renommée pour ses talents de caméléonne fait son entrée dans l’univers surnaturel de M. Night Shyamalan afin de damer le pion aux super-humains. Glass sort en salles ce 16 janvier.

Sarah Paulson ©Ryan Pfluger / The New York Times / Redux

Qui est votre personnage dans Glass ?

Je joue une psychiatre du nom d’Ellie Staple. Je suis spécialisée dans les troubles liés à la mégalomanie et je traite en particulier les gens qui croient qu’ils sont des superhéros ou qu’ils ont des pouvoirs surnaturels.

(Sourire) Est-ce une spécialité qui existe vraiment ?

En tout cas dans le monde de notre film. (Sourire)

Remplacez-vous la psy de Split, le Dr. Karen Fletcher ?

Non, je ne dirais pas ça. Vous ne pouvez pas remplacer Betty Buckley [l’actrice qui joue le Dr. Karen Fletcher], elle était formidable dans le film. Non, le Dr. Ellie Staple ne la remplace pas parce que je ne pense pas qu’elle soit un personnage périphérique. Vous en saurez plus sur elle en voyant le film. Je pense qu’elle ne croit pas en ces superhéros ni en ces pouvoirs surnaturels mais une part d’elle voudrait être convaincue de leur existence. Mais elle est trop sensée pour l’accepter sans enquêter sur ces phénomènes. Donc, elle veut surtout les guérir de ce qu’elle croit être un trouble de l’esprit et qui n’est pas sain pour eux. Elle veut apporter de la normalité dans leur vie.

M. Night Shyamalan et Sarah Paulson ©LTA/Wenn.com/SIPA

Connaissiez-vous les films et l’univers de M. Night Shyamalan avant de tourner dans Glass ?

Bien sûr. Incassable est d’ailleurs un de ses films que je préfère. J’aime bon nombre de ses films. J’ai vu Split mais seulement parce qu’un ami a insisté pour le voir. Je voulais l’éviter car il me paraissant trop effrayant pour moi. Mais j’y suis allée et j’ai trouvé que James McAvoy était extraordinaire. Il livre une performance si extraordinaire. Si le film n’était pas estampillé film d’horreur, James aurait été nommé aux Oscar. C’est quasi impossible que cela arrive dans ce genre de film si particulier. Malheureusement. Car beaucoup d’acteurs font un travail extraordinaire dans le monde des extrêmes, ce qui est parfois vraiment dur à réussir. Je pense que James était formidable. Et je ne pouvais pas croire que j’étais assise dans une pièce avec eux trois [James McAvoy, Bruce Willis et Samuel L. Jackson] avec Night dans les coulisses à lancer « Action ! ». C’était quelque chose d’assez extraordinaire et d’assez fou.

Qu’aimez-vous dans les films de M. Night Shyamalan ?

Il sait construire un monde magnifique, magique et fantastique et l’ancrer dans la réalité, ce qui donne ce sentiment que tout ceci est possible. Il commence toujours avec un « Et si… », ce qui est une entrée merveilleuse dans l’imagination. En tant que spectateur, vous pouvez vraiment pénétrer ce monde et décider ce qui est possible ou non. Vous glissez dans ce monde parce que le tissu et la structure des histoires sont toujours liés à quelque chose d’accessible comme la famille, le mariage ou le fait d’être parent. Ces films évoquent toujours ce genre de thèmes essentiels. Ces derniers sont au cœur de l’intrigue et ce qui arrive autour met les personnages à l’épreuve et bouscule la nature de leurs relations. Incassable était probablement l’un des premiers films de superhéros. Il précéda les X-Men, les Iron Man et autres films de l’univers Marvel. Il possédait un élément si humain… Personne n’y enfile un costume ni s’envole dans la nuit. Cela parait si réaliste et donc possible. Je pense que c’est pour cela que les gens ne restent pas indifférents. C’est une chose d’avoir le fantasme de mettre un costume que vous avez cousu dans votre sous-sol et c’en est une autre d’être un vrai héro ou un vrai méchant. Qu’avons-nous tous au fond de nous-mêmes ? Qu’est-ce que nous honorons et qu’est-ce que nous rejetons ? C’est intéressant, non?

Quel genre de superhéros voudriez-vous être ?

Le genre qui pourrait virer Donald Trump de la Maison blanche. (Sourire) Pardon. Mais oui, le genre de superhéros qui pourrait faire ça.

Dans Glass

Seule une femme pourrait le faire.

C’est vrai. Vous avez parfaitement raison. On progresse. On n’en est pas encore là mais la détermination existe.

Les choses avancent quand même aux Etats-Unis, rien que pour la place des femmes dans l’industrie du cinéma.

Je sais que je suis l’une des très rares chanceuses à ne pas avoir connu ça dans ma carrière. Je pense que cela a beaucoup à voir avec les hommes particuliers avec qui j’ai travaillé, avec le fait que j’ai toujours été plus intéressée par les histoires de femmes, et plus particulièrement par les histoires de femmes de plus de 30 ans, de plus de 40 ans. Je sais que c’est un environnement rare pour évoluer en tant qu’actrice et en tant que personne. J’ai eu la chance d’avoir cet environnement pour apprendre à me connaitre en tant qu’actrice et en tant que femme. Je n’ai donc pas été confrontée à tout ça. Mais je suis une des rares chanceuses.

Comment tout cela peut-il changer ?

Nous progressons et nous avançons dans la bonne direction. Mais c’est tout un processus et cela va prendre beaucoup de temps. Ce qui apparaît clairement évident après les élections de mi-mandat, c’est qu’il y a eu une sorte de vague avec plus de femmes, de gens de couleurs, de LGBTQ parmi les élus comme jamais auparavant. La participation à ces élections de mi-mandat a aussi été plus importante que celle de l’élection présidentielle, ce qui n’était encore jamais arrivé. C’est donc évident qu’un feu a été allumé et que les choses bougent. Mais c’est comme tout, parfois on fait deux pas en avant puis dix pas en arrière. Mais il ne faut pas laisser la lassitude s’installer ni l’autosatisfaction. Cela peut en effet être fatigant et usant car vous commencez à vous demander ce qui va arriver, ce qui peut être fait, jusqu’où on peut aller… Mais je suis confiante.

Avez-vous une sorte de conscience féminine quand vous choisissez un rôle ?

Sarah Paulson et Samuel L. Jackson dans Glass

En toute honnêteté, je ne pense pas. Je n’ai pas en tout cas de boussole qui me guide dans quoi que ce soit. Je crois que ce qui m’a portée plus particulièrement au début de ma carrière et jusqu’à très récemment, c’est d’avoir juste la possibilité de travailler. Je ne parle pas de luxe mais de vraiment avoir un travail. Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir le luxe de pouvoir choisir un rôle en fonction du soin avec lequel il était écrit pour représenter les femmes et je le regrette. En même temps, je pense que je peux défendre tous les choix que j’ai faits. Mais je ne peux pas dire que bon nombre d’entre eux aient été faits dans cette optique. Il était plus question pour moi de manger, de payer mon loyer et de travailler. Mais tout ça à une signification différente pour moi maintenant. J’ai un processus de réflexion différent avant de choisir un rôle et ce n’est pas juste dû au mouvement que nous vivons actuellement.

Quels sont vos critères de choix désormais ?

Je cherche déjà à ne pas me répéter.

Ce que vous avez réussi jusqu’à présent.

(Rires) Je pense que je m’en sors en effet bien de ce côté-là. Et puis, je suis une character actress et je joue des personnages qui parfois semblent être des premiers rôles mais en fait sont de vrais rôles secondaires de composition et personne ne le sait. Je pense que la longévité dans une carrière vient vraiment de choix qui n’ont rien à voir avec la vanité. Mais plus je vieillis et plus c’est difficile parce que ce que le miroir me renvoie est une image différente tous les jours. C’est un vrai défi. Mais je fais en sorte que ce qui me gouverne aujourd’hui concerne plus la surprise et la peur qui gravitent autour du choix, le risque qu’un choix peut représenter. Et je ne veux pas jouer une victime juste parce que c’est une victime. Tant de gens sont aujourd’hui des victimes. Je pense qu’il est important de raconter des histoires pénibles à regarder pour certains parce qu’il y a quelqu’un quelque part qui vit justement cette histoire. Pourquoi devrait-on trouver seulement de l’intérêt dans des films sur des vies que les gens rêveraient d’avoir alors que l’on pourrait parler de ces vraies vies que les gens ont ? Je pense que c’est important. Et je crois qu’il est pour ainsi dire vital d’approcher notre travail avec ça à l’esprit. Je pense sincèrement que ceux qui choisissent de vivre grâce à l’art – je veux dire les acteurs, les réalisateurs, ceux qui font les films et racontent des histoires en général – devraient essayer de mettre en avant des comportements honnêtes et décrire de vraies vies pour que les gens ne se sentent pas seuls sur cette planète. Les spectateurs peuvent regarder une expérience ou un moment entre deux personnes, des histoires d’amour et de familles, des récits vieux comme le monde et voir leur reflet dans le film peut leur donner de la force, les faire ne plus se sentir si étrangers face à ce qui les entoure. Quelqu’un a écrit cette histoire, l’a filmée et l’a rendue vivante et réelle et donne le sentiment d’avoir aussi vécue cette histoire et cela vous fait vous sentir moins seul. Je crois que cela fait partie de notre métier d’acteur.

Dans 12 Years a Slave de Steve McQueen ©Regency Pictures / Plan B

Je n’ai pas vu tout ce que vous avez fait…

(Rires)

Mais j’ai le sentiment que chaque nouveau rôle vous sort de votre zone de confort et que plus le personnage est difficile à jouer et plus vous aimez ça.

C’est vrai que j’aime un bon défi et j’ai toujours peur d’être nulle à l’écran. Ce n’est pas une béquille, je trouve que c’est très motivant de vouloir ne pas être horrible et de vouloir bien faire son travail. C’est-à-dire de raconter une histoire du mieux possible, aussi honnêtement que possible, sans laisser mes propres jugements interférer dans mes choix en tant qu’actrice. J’ai fait un film avec Steve McQueen [12 Years a Slave] et il m’a dit : « Si tu la juges, si tu juges le personnage que tu interprètes, tu ne racontes plus une histoire. Ce n’est pas à toi de décider si oui ou non elle est une personne morale ou si ses choix sont conduits par la moralité. Tu raconterais alors mal cette histoire si tu pensais de cette façon. » Je sais que parfois les acteurs ne veulent pas jouer certains personnages de peur de ternir leur image. Je ne suis pas d’accord avec cette façon de penser. Tout le monde peut faire ce qu’il veut. Je ne juge personne. Mais je n’ai jamais refusé un rôle parce que je ne voulais pas que les gens me voient dans tel ou tel personnage. En partie parce que c’est un luxe que je ne peux pas me permettre, parce que j’ai un loyer à payer et que je veux travailler. Je n’ai jamais pensé au fait qu’une personne pourrait me croire méchante parce que j’incarnais un personnage méchant.

Vous n’avez jamais non plus joué un personnage vraiment méchant.

Non. Elle était quand même assez méchante dans 12 Years a Slave.

Même dans American Horror Story, vos différents personnages ne sont jamais vraiment méchants.

J’ai commencé avec un personnage méchant cette saison [Saison 8, Apocalypse] mais très rapidement, j’ai joué un autre protagoniste. Cela arrive parfois. Mais n’oubliez pas que je vais débuter cette série, Ratched [Mildred Ratched, l’infirmière de Vol au-dessus d’un nid de coucous]. Et elle n’est pas quelqu’un de gentil. Je ne veux pas la juger mais elle est compliquée. On apprendra par la suite ce qui la motive.

Mais Ryan Murphy est aux commandes, le personnage sera assurément plein de nuances.

C’est vrai. J’attends ce rôle avec impatience.

Pour en revenir à Glass, avez-vous parlé de votre expérience avec James McAvoy car comme lui vous avez joué plusieurs personnages dans une même histoire, et même un personnage à deux têtes dans American Horror Story : Freak Show (saison 4) ?

Dans American Horror Story : Freak Show ©FX

J’ai tourné une scène avec lui dans Glass où il joue cinq ou six personnes différentes en quatre minutes et demi et mon personnage reste assise là, sonnée par ce qu’elle voit. Elle est médecin et elle a déjà vu ce genre de choses mais à chaque fois que vous voyez un truc pareil… C’était génial que Night me dise : « Tu n’as pas à la jouer comme si elle est était blasée par ce qu’elle voit ». C’était très utile pour l’interpréter. Parfois, les gens jouent des médecins qui se croient supérieurs et qui pensent savoir tout mieux que les autres et c’était très important pour Night qu’elle ne soit pas comme ça. C’est ce qui la rend unique. Et j’adorais cette idée. Et donc pendant cette scène, je ne pouvais pas croire ce que je voyais. Je ne plaisante pas. Cela dure quatre minutes, James parle plusieurs langues… Il mérite bon nombre de statuettes dorées. C’est extraordinaire ce qu’il peut faire. Extraordinaire. C’est un des meilleurs, vraiment.

Avez-vous parfois le sentiment d’avoir vous aussi un dédoublement de la personnalité en tant qu’actrice ?

(Rires) Vous devriez poser la question aux gens que je connais et que j’aime, ils auraient une meilleure réponse pour vous à ce sujet. Etre acteur est, je crois, une bénédiction et une malédiction. Il y a parfois des choses qui vous aident dans votre métier mais qui représentent un véritable obstacle dans votre vie. Je suis très émotionnelle, très sensible. Je peux interpréter certaines choses sans aucun effort et, par ailleurs, il ne m’en faut pas beaucoup parfois pour me mettre à pleurer. Et ce n’est pas toujours bon quand vous êtes sur votre lieu de travail. (Rires) Etre aussi émotionnelle, ressentir autant d’émotions, cela me sert pour exercer mon métier mais cela peut être vraiment gênant dans mon travail ou dans ma vie au quotidien. (Rires) Ce sont les risques du métier. Cela m’aide pour interpréter un personnage mais si, par exemple, mon pass est rejeté dans le métro, je suis capable de hurler et de donner des coups de poings dans le vide. J’ai toujours été comme ça, depuis que je suis toute petite. A la seconde où je n’obtenais pas ce que je voulais ou si quelque chose me contrariait, j’étais par terre à hurler et à pleurer d’une manière des plus dramatiques. Ma mère m’appelait Sarah Bernhardt. Mais pour moi, je ne me donnais pas en spectacle, je montrais juste à quel point telle ou telle chose comptait pour moi, combien cela pouvait me contrarier et combien cela était important pour moi.

Vous souvenez-vous pourquoi vous êtes devenue actrice ? Y a-t-il eu un moment, une révélation ?

J’étais très jeune et je regardais le film Frances avec Jessica Lange et je me rappelle m’être dit : « Oh, ces gens me font ressentir tant de choses. Et ceux-là pas du tout. Et elle, je l’ai vue dans un autre film. » Et tout à coup, j’ai juste réalisé qu’ils donnaient corps à tous ces différents sentiments dans des personnages. C’est un moment du genre : « Eurêka ! ». Et ensuite, j’ai pensé : « Ça veut dire que je peux gagner ma vie en faisant ça ? » Je n’avais jamais pensé à ça avant. Mais j’étais très très jeune. Je n’ai jamais voulu faire autre chose. Pendant une seconde, j’ai pensé devenir vétérinaire puis j’ai découvert que je devrais ouvrir des bébés animaux pour les opérer et ça n’allait donc pas le faire. Et puis une école de médecine n’était pas non plus inscrite dans mes cartes. Non, j’ai toujours voulu être actrice. Je ne sais pas. Parfois, je me dis qu’on entre dans ce monde en étant ce qu’on est et parfois que ce sont les choses qui nous arrivent qui nous façonnent. Vous êtes malléable en entrant dans ce monde puis vous rencontrer des choses en chemin qui laissent leur empreinte. Mais je crois que je suis née actrice en sortant du ventre de ma mère.

Sarah Paulson et Diane Keaton dans L’autre soeur ©Touchstone Pictures

Avez-vous eu un modèle ou un mentor dans votre carrière ?

Quand j’étais très jeune, j’ai tourné un film avec Diane Keaton. J’avais 19 ans. Elle jouait ma mère dans ce film, L’autre sœur. Elle est devenue une amie très chère et nous le sommes toujours, plus de 20 ans plus tard. J’ai toujours trouvé qu’elle avait les pieds sur terre alors que je pouvais devenir hystérique après une audition. J’ai très peu travaillé après ce film. Parfois, quand commencez et que vous avez rapidement un rôle, vous vous dites : « Ça va toujours être comme ça. Je vais enchaîner les cachets car j’ai eu un rôle dès ma première audition. » Puis vous n’avez aucun engagement pendant deux ans et vous pensez : « Attendez une seconde, ça va vraiment être toujours comme ça ? » Et Diane avait la tête sur les épaules et me remettait les idées ma place. Elle me disait de ne pas m’inquiéter quant au boulot que j’aurai ou pas, quant à savoir si je devais ou non engager un avocat ou un manager… Elle méprisait tout ça et préférait me voir lire un livre et appréhender le monde autour de moi que de me voir m’inquiéter pour mon prochain boulot. Elle était plus intéressée par le fait que j’évolue en tant que personne et moins par le fait de cultiver cette partie de moi qui pourrait être possédée ou obsédée quant à mon éventuel succès. Et j’ai eu beaucoup de chance car ma famille m’a toujours soutenue, ce qui m’a aidée dans ce sens. Mais Diane était du métier, et depuis longtemps, et elle m’a protégée de certaines façons de faire cannibales de cette industrie.

Voyez-vous un tournant dans votre carrière ?

American Crime Story : The People vs O.J. où je joue Marcia Clark. Ma carrière a complètement changé.

Pas avant ?

Quand j’ai tourné 12 Years a Slave, j’ai également fait un film qui s’appelait Martha Marcy May Marlene et aussi Game Change sur HBO. Tout ça en deux ans et demi et c’est à ce moment-là que j’ai pensé que peut-être… Mais j’étais un peu plus vieille que la plupart des gens à qui ce genre de choses arrive habituellement. Cela m’a vraiment inquiétée car il n’y a rien de pire qu’un peu d’espoir dans cette industrie. Tout le monde est à un battement de cœur du rôle qui changera sa vie et cela vous garde sur des charbons ardents car vous espérez constamment que cela va arriver. D’un côté, c’est une bonne chose. De l’autre, cela vous incite à continuellement chercher ce qui peut vous attendre au coin de la rue. Et vous oubliez alors de vous concentrer sur ce que vous être en train de faire, que ce soit le travail que vous avez obtenu ou la vie que vous vivez. Avant The People vs O.J., je pensais qu’il y avait peut-être plus de possibilités mais après, il y a eu comme une reconsidération de l’industrie à mon égard, comme si on avait pris conscience de mon existence. Même si American Horror Story est une série géniale et qu’elle m’a réussi, c’est une série de niche et peu de monde la regarde. Elle est trop sombre pour certaines personnes et en matière de public plus large et d’une reconnaissance plus large, le rôle de Marcia Clark m’a propulsée dans une autre stratosphère car tant de personnes ont regardé The People vs O.J. C’est d’ailleurs grâce à ça que Night m’a demandé de faire Glass. Il l’a vue, m’a rencontrée et a pris son temps pour réfléchir et finalement il m’a donné le rôle. Je continue à penser que Ocean’s Eight et tout le reste est arrivé grâce à The People vs O.J., notamment du côté du cinéma.

Dans American Crime Story : The People vs O.J. ©FX

Mais vous continuez la télé. Vous ne comptez pas ne faire que du cinéma à l’avenir.

Je n’ai rien planifié. Je pense que ce serait se limiter et ennuyeux de choisir l’un ou l’autre. Et il se passe tant de choses dans les deux. Avant, tout était compartimenté et catégorisé et si vous étiez une actrice de télévision, vous le restiez. Aujourd’hui, toutes les frontières ont explosé et vous pouvez connaître un succès énorme en télé qui se répercute ensuite sur le cinéma et vice versa. Certaines des plus grandes stars du cinéma jouent aujourd’hui dans des séries télé parce que c’est là aussi que sont les rôles. Pour moi, le plan le plus intelligent est d’aller là où il y a du travail, là où on me demande. Ne frappez pas à une porte où vous n’intéressez personne. Continuez d’aller vers les gens qui disent : « Je vous ai vue, oui, vous et je vous engage. ».

Et donc, vous pensez qu’aujourd’hui les meilleurs rôles sont à la télé et non au cinéma.

Il semblerait, en effet. La vie des gens est devenue si intense et il y a tellement de choses qui se passent dans le monde qu’il existe cette envie et ce besoin de se renfermer sur soi-même, de rentrer chez soi, de se déconnecter de l’extérieur et de regarder quelque chose qui vous permette de vous évader. Les gens ne veulent pas quitter leur maison, ils veulent être près de leur famille. Et parfois, vous voulez juste être seule et regarder une bonne série. Mais j’adore aller au cinéma, c’est ce que je préfère. Je n’aime pas beaucoup regarder un film chez moi car je culpabilise à chaque fois en me disant que le réalisateur n’a jamais voulu que l’on regarde son film sur un petit écran. Les films sont faits pour être vus sur un grand écran et c’est pourquoi on tombe amoureux des visages des acteurs. Ils sont si grands que vous voyez la plus petite nuance d’émotion et cela semble surnaturel. Je ne sais pas. Je préfère aller au cinéma mais les gens tendent à ne plus faire ça. Donc je pense qu’on fait des films pour la télé et des séries parce que les gens veulent être chez eux. Mais je suis tout aussi pour car cela signifie plus de travail pour tous. C’est une bonne nouvelle.

En tant qu’actrice, ne préférez-vous pas un personnage de télé que vous pouvez développer sur le long terme plutôt qu’un personnage de cinéma qui n’existe vraiment que pendant deux heures ?

Rappelez-vous que dans American Horror Story, je joue plusieurs personnages et que je peux les retrouver dans d’autres saisons mais que je n’ai jamais eu cette expérience de développer un personnage sur plusieurs années, d’enfiler le même costume, de marcher sur les mêmes décors. Je me demande à quoi ça ressemble. Je vais peut-être connaître ça avec Ratched. On ne sait jamais. Mais je veux juste aller là où il y a de bonnes choses, que ce soit à la télé ou au cinéma. Je me sens juste chanceuse d’être déjà invitée à la fête. C’est la vérité. (Sourire)

Sarah Paulson et Jessica Lange dans American Horreur Story : Coven ©FX

Vous avez réalisé un épisode d’American Horror Story pour cette saison 8. Etait-ce quelque chose que vous vouliez faire depuis longtemps ?

Oui mais je n’avais aucune idée que ce serait aussi dur. Je voulais faire un premier épisode d’American Horror Story parce que je pensais que ce serait plus sûr de me lancer dans la réalisation avec Ryan Murphy, une équipe et une histoire que je connaissais bien. Cette série possède aussi un langage visuel particulier qui est le même de saison en saison et je le maîtrisais de par mon ancienneté sur ce programme. Mais cela avait beau être plus sûr, c’est ce que j’ai fait de plus dur. Il existe une très grande différence entre ce qui est requis d’un réalisateur comparé à ce qui est requis d’un acteur. Et concernant ce dernier, il y a beaucoup de choses totalement inutiles pour un réalisateur. Mon côté émotif, par exemple, n’aide pas du tout quand vous réalisez. Vous ne pouvez pas vous mettre à pleurer ni commencer à donner des coups de pieds dans le mur, des choses que je pourrais faire en tant qu’actrice. Quelquefois, si je ne parviens pas à réussir une scène ou si je suis frustrée face à mes limites en tant qu’actrice, je peux être vraiment contrariée. Vous ne pouvez pas être comme ça face à une équipe technique. Vous ne devriez pas non plus être comme ça quand vous êtes actrice mais il m’arrive d’aller dans un coin et de donner des coups de pied dans le mur et de pleurer dans mon costume. Vous voyez ce que je veux dire ? (Sourire) En tant que réalisateur, il y a certains composants qui sont vraiment nécessaires, comme l’optimisme et la positivité. Mais ce ne sont pas des mots que j’utiliserais pour me décrire. Cette expérience a donc été un vrai défi et j’ai dû me faire à beaucoup de choses.

Vous dites que c’était l’environnement le plus sûr mais vous avez dû diriger les autres acteurs que vous connaissez depuis longtemps et qui connaissent leur personnage mieux que vous.

Cela présente en effet ses propres problèmes car nous nous connaissons en tant qu’acteurs alors que cette fois, je devais porter la casquette de réalisateur, évaluer ce qu’ils faisaient et leur dire comment ils pouvaient essayer de faire autrement. Jessica Lange, qui est probablement l’actrice avec laquelle j’ai le plus travaillé… (Sourire) C’est extraordinaire de pouvoir dire ça. J’ai joué dans une pièce avec elle à Broadway en 2005. J’avais 29 ans et c’était une expérience extraordinaire. Et donc, aller la voir et lui taper sur l’épaule en lui disant : « J’ai une idée. Peux-tu essayer de faire ça ? » Ce n’est pas notre dynamique habituelle. Nous travaillons ensemble sur une scène comme acteurs, avec un respect mutuel et c’était exactement le même environnement que j’ai connu une fois réalisatrice. Elle a été incroyablement généreuse avec moi. On m’a aussi donné une grande latitude pour me permettre de comprendre les choses. C’était une vraie collaboration. Kathy Bates, Frances Conroy ou encore Emma Roberts ont été merveilleuses avec moi. Mais c’est vraiment un autre travail. Et vous devez être attentive au fait que ces acteurs ont été vos compatriotes et vos pairs sur un plateau et que, tout à coup, vous leur suggérez comment jouer une scène. Mais c’était une complication pour moi, pas pour eux. Ils ont été si merveilleux. Mais je ne savais pas toujours trop comment opérer et je me demandais souvent : « Mais qu’est-ce que je fais là ? ». (Sourire)

Ryan Murphy et Sarah Paulson ©FX

Quand vous avez fait votre coming out, n’avez-vous pas eu peur pour votre carrière ?

Je ne l’ai pas fait consciemment. La personne que je fréquentais à l’époque venait de recevoir un prix d’interprétation exceptionnel et je n’allais pas juste lui donner une petite tape sur le dos quand elle s’est levée. On s’est donc embrassé et c’est devenu quelque chose de concret. Mais personne ne me connaissait vraiment alors. Et personne ne semblait vraiment concerné par la chose. Ce n’était pas vraiment de l’actu. Donc quand ma carrière a commencé à se développer, c’était déjà un fait assez connu. Mais dans le monde où je travaille, comme celui de Ryan Murphy, il n’y a pas de place pour une quelconque homophobie ni pour des choses de ce genre. Je m’y suis toujours sentie en sécurité. Et puis le monde a beaucoup changé. Et enfin, je suis plus une character actress et c’est donc plus facile à digérer pour les autres. Ils ne pensent pas à moi comme le personnage principal dont ils doivent se soucier si elle court dans les bras d’une autre femme. Mais ma crainte n’était pas pour ma carrière mais pour cette partie de moi qui soudainement était dévoilée ou exposée. Certains pouvaient alors ne plus m’imaginer dans un autre contexte. Je ne veux pas que cela limite quiconque dans sa capacité à m’imaginer dans d’autres circonstances sans penser à ce qu’ils savent de moi. C’est toujours une drôle de frontière. Je veux pouvoir être capable de faire le travail que je veux, de m’y plonger dans un personnage et je veux que les spectateurs soient capables de faire de même sans qu’ils pensent que je cherche à faire passer un message. Je vis ma vie ouvertement, sans secret d’aucune sorte. Mais je veux que certains aspects restent dans les coulisses et non qu’ils soient placardés dans l’esprit des gens. Pour qu’ils croient le personnage que je joue, si je fais bien mon travail.

Pensez-vous que c’est plus facile pour les actrices que pour les acteurs ?

Bien sûr. Les hommes sont plus facilement dégoûtés par deux hommes ensemble alors qu’ils sont titillés par deux femmes ensemble. Ils disent : « Je peux dépasser ça. » Et vous répondez : « Ok, chéri. » Ça reste déprimant. Mais partout où on regarde, la justice n’existe pas toujours et cela ne devrait donc pas être si surprenant non plus. J’aimerais cependant que les choses soient différentes. Je pense que les gens devraient pouvoir être tranquilles mais je ne pense pas que ce soit possible. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où tout le monde peut avoir accès à tout le monde et à tout. Rien ne peut rester privé désormais. Je ne parle pas du point de vue de celui qui ne veut rien révéler mais du fait qu’en tant qu’actrice, savoir où j’ai grandi ou combien de chiens je possède peut gêner l’imagination d’un spectateur. En tout cas, je le pense.

Crédit photos : © Universal Pictures / Jessica Kourkounis