Productrice exécutive et co-scénariste, sa carrière est irrémédiablement liée à celle de Peter Jackson. Elle forme avec lui et Fran Walsh le trio infernal derrière les adaptations du Seigneur des anneaux et du Hobbit mais aussi des scénarios de King Kong, de Lovely Bones et aujourd’hui de Mortal Engines, l’adaptation du roman post-dystopique de Philip Reeve. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Mortal Engines sort en salles ce 12 décembre.

Philippa Boyens © James Gillham / StillMoving.net

Pourquoi avoir adapté Mortal Engines ?

Le livre se lisait bien, il aborde des idées incroyables et il était facile à visualiser. Cette idée de villes nomades est extraordinaire. Cette idée de darwinisme municipale [les grandes locomopoles dévorent les plus petites] est comme une réflexion sur notre monde actuel sans l’être réellement. Mais ce n’est pas un monde dystopique. C’est un monde post-dystopique. Le monde revient à la vie, il commence à s’épanouir à nouveau. Ces villes nomades sont une métaphore de ce que nous faisons à notre Terre aujourd’hui mais en plus tragique car la Terre pourrait se régénérer si nous lui donnions une chance. Dans Mortal Engines, la seule façon de survivre était de devenir mobile. Les populations ne pouvaient plus vivre à même la terre et devaient toujours bouger afin de trouver quelques gouttes d’eau ou le dernier bout de verdure. J’adore ce concept. Mille ans plus tard, ce système est enraciné et la structure des classes sociales se retrouve dans les différents étages des villes, des égouts au sommet. Et face aux locomopoles, il y a les antitractionistes qui veulent des communautés sédentaires, qui croient qu’ils peuvent vivre à même le sol. Ces deux systèmes et façons de vivre étaient intéressants à étudier, comme le conflit géopolitique ou la reconstruction d’un monde. Le XXIè siècle est considéré comme l’époque des anciens et dans ce monde post-dystopique, les gens essayent de comprendre comment nous vivions et pourquoi nous avons fait certains choix. Certaines théories sont tellement fausses qu’elles sont hilarantes. Pour reconstruire leur monde, ils creusent le nôtre. J’adore cette idée. Et en périphérie de cette société, il y a toujours des outsiders, des gens qui peuvent détruire tout système social. Ce sont ceux que vous ne voyez pas venir, comme ces charognards qui suivent les villes pour en récupérer les miettes et pièces détachées. Et puis, je trouve que c’était une histoire inédite et je n’en vois pas beaucoup en ce moment. Je ne dis pas cela de façon négative, je suis prête à regarder un nouveau Star Wars n’importe quand. Mais je crois qu’il existe un marché pour de nouvelles idées.

L’adaptation s’est-elle avérée très difficile ?

Quand vous pitchez l’idée, tout le monde la trouve cool et extraordinaire. Mais quand vous commencez à écrire, vous réalisez que c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. Il est difficile de raconter comment ces deux mondes fonctionnent sans minimiser l’histoire ni ruiner son exposition. Philip Reeve est l’inventeur de cet univers. Mortal Engines était son premier roman et il menait ses propres expériences et apprenait tout en l’écrivant. Certaines parties du livre s’intègrent parfaitement dans le film mais pour d’autres, c’est plus délicat. Nous avons deux méchants qui font la même chose… Avons-nous vraiment besoin des deux ? Nous avons aussi deux filles même si nous ne le réalisons pas tout de suite. Dans le livre, Londres est détruite mais nous ne voulions pas ça dans notre film. Jusqu’où pouvions-nous aller dans notre adaptation ?

Mais plus que d’un monde, Mortal Engines parle d’une histoire humaine.

La survie est au cœur du récit mais c’est aussi le reflet d’une histoire plus large. Le film évoque également le prix à payer pour survivre. Prenez le personnage central, Hester Shaw. Depuis l’âge de 7 ans, cette fille est obligée de survivre dans un environnement inhospitalier. Et elle a été littéralement élevée par un monstre. La seule éducation parentale qu’elle a reçue est venue d’un monstre. Mais vous découvrez que dans son acte de survie, elle n’a jamais perdu l’espoir. Il existe toujours une partie d’elle-même qui espère que les choses peuvent changer, bien que son but ultime soit une vengeance. A chaque instant de l’histoire, vous pensez qu’elle va perdre cet espoir.

Comment fonctionne votre collaboration avec Peter Jackson et Fran Walsh ? Et comment a-t-elle évolué pendant toutes ces années ?

Philippa Boyens et Peter Jackson

Elle n’a pas vraiment changé en 20 ans. Je crois qu’elle est née au moment du Seigneur des anneaux. Nous nous connaissons plutôt bien. Nous avons confiance les uns en les autres. Notre collaboration est construite sur le respect. Parfois, il est difficile d’entendre les autres et d’entendre ce qu’ils disent réellement mais cela donne toujours une collaboration créative encore plus solide et aide à avancer. L’écriture n’est qu’une étape dans le processus, il y a aussi le casting qui peut influencer l’écriture ou les choix visuels. Tout se rejoint à un moment.

Avez-vous écrit un film indépendant ou le premier épisode d’une quadrilogie, comme pour les livres ?

C’est un film indépendant. Mais nous avons mis tant d’effort dans la création de ce monde qu’il possède des pistes de travail pour une éventuelle suite. Nous espérons que les enfants vont se plonger dans cet univers, s’évader grâce à lui et avoir envie d’y retourner. Mais pendant l’écriture, je ne cessais de penser à ce que nous devions garder pour plus tard ou non, si nous devions ou non tuer tel ou tel personnage… Cette histoire possède réellement des sujets que nous pouvons reprendre et continuer plus tard.

Dans le livre, certains personnages principaux meurent. Comment décidez-vous de les tuer ou de les garder en vie ?

C’est toujours un risque. Surtout avec une toute nouvelle histoire. Vous pouvez rapidement vous aliéner un public en tuant le mauvais protagoniste. Mais vous pouvez aussi l’assumer. Pour moi, il y a trop de morts dans le roman. C’est différent quand vous lisez un livre parce que vous avez le temps, vous pouvez poser l’ouvrage, laissez passer un peu de temps et réfléchir avant de continuer votre lecture. Quand vous regardez un film, tout vous atteint d’un coup, en plein visage et si vous avez de bons acteurs qui parviennent à vous noyer dans ce moment, cela devient une agression. Et plus encore si vous voulez que l’un des thèmes centraux soit l’espoir…

Comment a eu lieu la passation entre Peter Jackson et Christian Rivers pour la réalisation ?

Pete a décidé de ne pas réaliser Mortal Engines avant que Christian soit impliqué. Il travaille avec Christina depuis un bon moment. Ce projet a commencé avec Pete pour beaucoup de raisons dont celle, essentielle, de son potentiel visuel et Christian est un artiste. Mon cerveau ne travaille vraiment pas comme le leur. Quand j’écris, tout ce que je visualise est tellement petit comparé à ce qu’ils imaginent et qu’ils finissent par faire. J’aimerais penser aussi grand quand j’écris.

Mortal Engines est un livre destiné aux jeunes. Est-ce aussi le cas du film ?

Je l’espère, si nous avons réussi notre coup. Nous avons voulu faire une grande aventure pleine d’action plus que de la science-fiction. Ce n’est d’ailleurs pas de la SF car l’histoire ne se passe pas sur une autre planète. Mais nous visons le marché du Seigneur des anneaux, le public de Harry Potter parce que nous sortons le film à Noël. C’est une tradition familiale que nous avons commencé avec Le seigneur des anneaux et continué avec Le Hobbit. Nous visons un large public. Le film est PG-13.

Article paru dans L’Ecran fantastique – N°403 – Décembre 2018

Crédit photos : © Universal Pictures / MRC