Cette troisième adaptation cinématographique du roman de Richard Matheson aura mis près de quinze ans pour voir le jour. Plusieurs grands noms de 7è art américain y ont été associés, sans succès, jusqu’au projet signé Francis Lawrence avec Will Smith. Vu l’aventure, Je suis une légende, le film, pourrait lui-même être qualifié de légende.

L’armurerie de l’Etat de New York, situé à Brooklyn, a été transformée en studio de cinéma. L’entrepôt a accueilli l’équipe de tournage de Je suis une légende pendant quatre semaines. C’est là qu’a été construit l’appartement de Robert Neville alias le dernier homme vivant sur terre. C’est en tout cas ce qu’il croit.
Toutes les fenêtres et les portes de l’appartement sont barricadées. C’est une véritable forteresse. La cuisine regorge de boîtes de conserves et de sacs de nourriture. La décoration du salon mélange des objets nord-africains et asiatiques. Un Van Gogh et d’autres peintures célèbres traînent un peu partout à côté des photos de la famille de Robert Neville, sa femme, sa fille. Des médailles et d’autres décorations prennent la poussière sur des étagères. Il y a beaucoup de pendules et d’horloges. Des livres sur les virus, les armes, le chaos et la crise sous toutes leurs formes s’entassent dans son bureau à côté de piles de CD et de DVD. Des cartes de Manhattan sont punaisées aux murs et signalent où trouver de l’eau et de la nourriture, des magasins de bricolage, de l’équipement médical, des armes mais aussi les lignes de métro, les rues et les abris que Robert Neville a déjà « nettoyés » des créatures nocturnes assoiffées de chair et de sang.

Trois ans plus tôt, une épidémie a décimé la population terrestre en commençant par Manhattan. Le KV virus, développé en laboratoire, est devenu incontrôlable. Il a tué 91% de la race humaine. Des 9% restant, 8% vivent avec le virus et sont devenus des sortes de vampires cannibales. 1% des hommes sont immunisés. Robert Neville a donc espoir de ne pas être le seul non affecté sur terre. Un espoir récompensé parce qu’aujourd’hui, assis sur le rebord de sa baignoire, dans sa salle de bain, il réalise qu’il a deux autres personnes chez lui. « Deux personnes réelles prennent leur petit déjeuner dans ma cuisine. Passée cette première impression de merde, tu fais quoi ? Tu prends une douche, tu changes de fringues, tu t’excuses ? » Mais quelques temps plus tôt, après une rencontre infortunée avec l’une des créatures de la nuit, il a eu droit à un bon coup d’arme blanche dans la cuisse. Les médicaments qu’il a pris pour soulager la douleur lui ont donné des hallucinations. Alors forcément, aujourd’hui, Robert Neville se méfie de ce qu’il voit.

Vincent Price, Charlton Heston, Will Smith

Je suis une légende de Francis Lawrence avec Will Smith est la troisième adaptation au cinéma du roman de Richard Matheson. Cette histoire écrite en 1954 raconte la survie, entre 1976 et 1979, de Robert Neville après qu’une bactérie ait entraîné une épidémie décimant la terre, transformant les humains en vampires. Ce roman a été le premier a tenté d’expliquer l’origine scientifique des monstres tels que les vampires, laissant de côté les légendes et le folklore. Sa première adaptation sur grand écran date de 1964. Le dernier homme sur terre était une production italienne réalisée par Sidney Salkow et Ubaldo Ragona avec Vincent Price dans le rôle principal. Richard Matheson en avait écrit le scénario mais a refusé d’en être crédité sous son vrai nom après tous les changements imposés par la production. Il existe donc sous le patronyme de Logan Swanson au générique. La seconde adaptation, Le survivant de Boris Sagal avec Charlton Heston, remonte à 1971 et met en scène une société de créatures photosensibles mais loin des vampires habituels. Je suis une légende, le roman, serait aussi à l’origine de La nuit des morts vivants de George A. Romero et donc par extrapolation de nombreux films de zombies.

Le thème de Je suis une légende est un classique et dans les années 1990, le réalisateur Ridley Scott devait commencer sa propre adaptation sur un scénario de Mark Protosevich et avec Arnold Schwarzenegger. Avant lui, les noms de Tom Cruise et Michael Douglas avaient été évoqués. L’action se passait à Houston et non à Los Angeles. Mais en 1997, la production a été arrêtée face au budget qui ne cessait de grossir (pour atteindre 108 millions de dollars, ce qui était impensable à l’époque). Puis le réalisateur Rob Bowman a tenté sa chance avec une version moins chère avant de renoncer pour réaliser Le règne du feu. Il a ensuite été question de Michael Bay avec Will Smith, mais ils ont préféré se lancer dans Bad Boys II. Guillermo del Toro aurait refusé le projet, en dépit de la demande personnelle de Will Smith, et même Matthieu Kassovitz aurait été approché. En 2004, le scénariste et producteur Akiva Goldsman a récupéré le projet. Le réalisateur Francis Lawrence a signé en 2005, Will Smith en 2006. Le tournage devait commencer en 2007, le temps pour Akiva Goldsman de finir le scénario. Quand des problèmes de retard de production sont apparus sur l’autre film de Will Smith, Hancock, il a été décidé d’inverser les dates de tournage des deux films, précipitant les choses pour Je suis une légende qui a alors commencé son tournage avec un scénario inachevé. Mais la production était enfin lancée. « On a longtemps été en lice pour le record du film qui aura mis le plus de temps à être réalisé », plaisante Akiva Goldsman.

Un tournage épique à Manhattan

« Fondamentalement, notre film se différencie du livre par son côté contemporain, reprend Akiva Goldsman. Quand Richard Matheson a écrit son livre, le virus qui transformait les hommes en vampires était considéré comme de la science-fiction. Aujourd’hui, on parle plus de fantastique. On en sait plus sur les virus, les épidémies, la quarantaine, sur ce que cela pourrait donner dans une grande ville. On a une meilleure compréhension des procédures d’urgences, des traitements médicaux… » Francis Lawrence a d’ailleurs orchestré le flashback de l’évacuation de l’île de Manhattan avant la fermeture de ses ponts.

Six jours de tournage en janvier 2007, près du pont de Brooklyn avec un millier de figurants qui, grâce à la magie des images de synthèse, deviendront dix milles à l’écran. La scène à elle seule aurait coûté 5 millions de dollars (le budget total du film serait de plus de 150 millions de dollars). Après avoir reçu l’accord de pas moins de 14 agences gouvernementales (pour des raisons de sécurité depuis les attentats du 11 septembre), des véhicules militaires, des hélicoptères, des bateaux, des gardes nationaux, des pompiers, des plongeurs, des gardes côtes et 250 techniciens ont pu prendre position sur les quais. Il faisait moins de 5°C. Pour réchauffer tout le monde, Will Smith rappait sur son titre Summertime.

Je suis une légende a entièrement été tourné à New York, du 23 septembre 2006 au 31 mars 2007. Une prouesse dont très peu de productions peuvent se vanter. « L’action du livre se situe à Los Angeles, précise Akiva Goldsman, mais en réalité, Los Angeles peut être vraiment vide à 3 h du matin. Ou même à 3h de l’après-midi si on prend certaines rues ! New York n’est jamais déserte. C’était donc plus impressionnant de montrer la Grosse pomme vide de toute présence humaine. » Pour les besoins d’une séquence, la 5è avenue de New York a ainsi été fermée, sur dix pâtés de bâtiments, en pleine journée. C’est comme fermer les Champs-Elysées ou la rue de Rivoli à Paris aux heures de pointe.

Des plantes, des fleurs et toute sorte de mauvaises herbes ont été apportées de Floride et installées sur les trottoirs et la chaussée : la nature de l’après-épidémie a repris ses droits. Des voitures abandonnées, parfois incendiées, ont été garées ici et là. Deux cents assistants à la mise en scène étaient disséminés aux endroits stratégiques et demandaient aux passants de disparaître de la vue des caméras pendant les prises, que ce soit dans la rue ou dans les boutiques. Les décorations de Noël ont dû être retirées, les néons des devantures des magasins ont été éteints. La coopération des New Yorkers n’a cependant pas été totale. Certains propriétaires de commerces ont exigé de l’argent, d’autres ont carrément refusé de jouer le jeu. Pour ceux-là, les lumières de leur magasin seront effacées en post-production, tout comme quelques irréductibles passants. Pour ceux qui connaissent New York, la voir totalement vide sera des plus surprenants. Tout comme voir Will Smith chasser le cerf à Times Square.

La solitude de la survie

Will Smith est tout seul pendant la première moitié du film. Seul ou avec son chien. « Son personnage est tout seul pendant trois ans, confirme Francis Lawrence. Cette idée du type tout seul dans un environnement urbain désert me plaisait bien. Que lui arrive-t-il psychologiquement ? Comment peut-on vivre sans interaction sociale ? Il y a deux idées fondamentales dans cette histoire : la vie après la mort de ses proches, quel genre de vie peut-on avoir quand on a tout perdu, et l’espoir là où il se semble pas y en avoir. » « L’équilibre est difficile à trouver, reconnaît Akiva Goldsman. On veut raconter une histoire humaine parce qu’on suit Robert Neville dans sa survie mais, en même temps, on met des monstres. On se balance entre un film sur l’Armageddon et Seul au monde. » « J’espère que les spectateurs vont me trouver aussi intéressant que Tom Hanks, » rit Will Smith. Il faut l’espérer car l’acteur est de toutes les scènes du film. « C’est le rôle le plus flippant que j’ai eu à jouer depuis Ali, avoue l’acteur. On essaye de briser les structures du genre pour faire quelque chose de nouveau. Je connais les conventions du genre, le parcours des héros à la Joseph Campbell. Mais là, je suis tout seul avec un chien pendant les 60 premières pages du script. C’est terrifiant. Le drame naît du conflit, mais quand on est tout seul, c’est dur de trouver un conflit. Akiva Goldsman a trouvé un archétype mythologique rare dans le personnage de ce soldat médecin. Et c’est sur ce conflit intérieur que l’on a travaillé pour la première moitié du scénario. »

Robert Neville est un médecin de l’armée, spécialisé en virologie. Du coucher au lever du soleil, il reste assis chez lui, éveillé, et regarde les monstres dehors, sur son système de caméras qui couvre tout son bâtiment. Quand le jour apparaît, il dort, fait ses expériences dans son laboratoire pour trouver le vaccin, va en ville chercher de la nourriture ou des armes, envoyer un message par radio et tuer quelques monstres endormis… « Nos monstres ne sont pas des zombies, précise Francis Lawrence. Ils sont en état de fièvre constant, ils ont besoin de manger pour conserver leur métabolisme et ne pas mourir. Ils font peur, ce sont des sauvages, mais pas des zombies comme on les connaît, c’est-à-dire en décomposition ou répugnant à regarder. » Une semaine après le début du tournage, le réalisateur trouvait que ces créatures, des acteurs portant des prothèses et du maquillage, n’étaient pas assez convaincants. Il a alors opté pour des avatars numériques.

« On a longtemps débattu pour savoir si mon personnage avait ou non perdu espoir, reprend Will Smith. Est-ce que son quotidien est devenu une routine ou espère-t-il vraiment trouver un vaccin ? L’espoir est en fait son ennemi. Peut-être que dans son subconscient profond il doit espérer pour continuer à veiller tous les jours mais il n’a pas d’espoir conscient du tout. Il a en revanche le complexe du sauveur. Avant l’épidémie, il a fait la couverture de Time Magazine avec comme titre : « Robert Neville : sauveur, soldat, scientifique ». Il était supposé être celui qui endiguerait le virus. Manhattan était sous sa responsabilité. Neville a collé la couverture de Time Magazine sur la porte de son réfrigérateur et il a dessiné un gros point d’interrogation sur le mot « sauveur ». Tous les jours, il essaye de trouver le vaccin. Tous les jours, les créatures essayent de le trouver pour le tuer. Au final, il doit trouver le vaccin avant qu’ils ne le trouvent lui. »

Article paru dans Cine Live – N°119 – Décembre 2007
Crédit photos : © Warner Bros.

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