La chaîne TV Breizh fête toute cette semaine les 30 ans de la série Hercule Poirot. De nombreux acteurs se sont essayés dans la peau du célèbre détective belge créé par Agatha Christie en 1920 dans La mystérieuse affaire de Styles. David Suchet, qui l’a incarné pendant 70 épisodes, est encore celui qui s’est montré le plus fidèle au personnage inventé par la romancière britannique. Voici quelques-uns des secrets derrière sa création.

Le Poirot de Dame Agatha Christie

L’auteur britannique voulait un détective qui soit l’antithèse de Sherlock Homes. Pour son physique, elle s’est inspirée d’un réfugié belge de la Première Guerre mondial qui descendait d’un bus à Torquay, sa ville natale du sud de l’Angleterre, en 1916. Il possédait un crâne en forme d’œuf, une grosse moustache et une dégaine de grand bourgeois européen. Pour son caractère, elle l’a rendu précieux, maniéré et vaniteux. C’était un dandy guindé mais il n’était jamais ridicule. La romancière souhaitait que le lecteur rie avec lui et non de lui. Entre 1920 et 1975, elle a écrit 33 romans et 51 nouvelles sur les aventures de son Hercule Poirot.

Le Poirot de David Suchet

La première interaction du comédien avec Hercule Poirot s’est faite en 1985, quand il a interprété l’inspecteur Japp de Scotland Yard dans Le couteau sur la nuque. Peter Ustinov incarnait alors le détective belge. Trois ans plus tard, le producteur de la série, Brian Eastman, lui proposait le rôle iconique. A l’époque, l’acteur de théâtre a 41 ans et évolue notamment dans la Royal Shakespeare Company qu’il a rejoint en 1973. Il avoue alors n’avoir jamais lu Agatha Christie.

Quand il s’engage pour les dix premiers épisodes, il espère que sa carrière pré-Poirot jouera pour lui et qu’il ne sera pas prisonnier à vie du personnage. Au final, il incarnera Hercule Poirot pendant 25 ans, 13 saisons et 70 épisodes. Il a ainsi joué dans les adaptations – plus ou moins fidèles – de toutes les histoires de Poirot écrites par Agatha Christie. Son détective est l’incarnation qui est jugée comme la plus loyale au personnage créé par la romancière britannique.

Et voici comment il a fait.

Une méthode en 15 étapes

1 – David Suchet était le premier choix de Brian Eastman et de Rosalind Hicks, la fille d’Agatha Christie. L’acteur a néanmoins voulu rencontrer la descendante de l’auteure afin d’obtenir en personne son approbation. Après la troisième saison, Rosalind Hicks lui a envoyé une lettre le félicitant pour son incarnation du détective. Elle avait commencé sa missive par : « Cher Poirot ». L’acteur était aux anges.

2 – Le comédien a lu toutes les histoires d’Hercule Poirot écrite par Agatha Christie. Il a noté le moindre détail concernant le détective et a fini avec un « Dossier Poirot » de cinq pages.

3 – Son « Dossier Poirot » contient une liste de 93 caractéristiques du personnage. La première est : « Belge ! Pas français. ». Les autres évoquent le fait qu’il ne boit presque jamais de thé (qu’il appelle « le poison anglais »), le nombre de sucres qu’il met dans ledit thé (quatre, voire trois, et une ou deux fois jusqu’à cinq morceaux), ses bottines en cuir verni rutilantes très étroites (il était complexé par ses grands pieds) ou encore sa manie de s’incliner quand il salue les gens (même pour serrer la main).

4 – Il a gardé son « Dossier Poirot » avec lui pendant les 13 saisons. Quand il oubliait de le prendre et qu’il ne se souvenait plus d’un détail, il téléphonait à sa femme, Sheila, pour qu’elle cherche l’information dans le document. Toujours dans son personnage, il s’adressait alors à elle avec la voix de Poirot.

5 – Il a confié une copie de son « Dossier Poirot » à tous les scénaristes et réalisateurs chargés des épisodes de la série. Ils voulaient s’assurer qu’ils ne feraient pas d’erreurs de leur côté.

6 – Afin de créer sa démarche à petits pas saccadés et rapides, il s’est inspiré de la méthode utilisée par Sir Lawrence pour jouer Lord Foppington dans La rechute ou la vertu en danger de John Vanbrugh. Il s’est coincé un penny entre les fesses et s’est entraîné à marcher sans le faire tomber. David Suchet aime à préciser que son penny était moderne, post-décimal, et donc deux fois plus petit que le penny pré-décimal de Sir Lawrence Olivier.

7 – Pour trouver la voix et l’accent de Poirot, l’acteur a écouté des radios francophones et anglophones belges. Il a aussi étudié les voix de Français parlant anglais. Il a cependant opté pour des gens de province et non des Parisiens dont il juge l’accent plus singulier. Le comédien a aussi adopté un ton guttural – plus belge que français – et plus aigu que le sien.

8 – Sur le tournage, le comédien collait lui-même au-dessus de sa lèvre sa fausse moustache cirée. Cette dernière correspond en tout point à la description donnée par Agatha Christie dans Le crime de l’Orient-Express. Dès qu’il avait cette moustache, l’acteur prenait la voix d’Hercule Poirot pour s’adresser à tout le monde, et ce pendant toute la journée.

9 – En 1988, David Suchet était mince. Hercule Poirot, lui, pèse dans les 90 kg. L’acteur a donc porté un faux ventre afin d’obtenir une certaine rondeur censée rendre le personnage plus sympathique. En revanche, 25 ans plus tard, le comédien perdra 19 kg pour le tout dernier épisode, Hercule Poirot quitte la scène, où le personnage est très affaibli par la maladie.

10 – Il a participé au choix des costumes et des accessoires raffinés du personnage : montre à gousset, canne, chapeaux, guêtres, bottines cirées, chemises à col cassé… David Suchet a conservé en souvenir la canne de Poirot, celle avec le pommeau en cygne en argent. Il l’a prêtée au Torquay Museum pour compléter leur collection d’objets appartenant au détective.

11 – Avant chaque début de tournage, il rendait les costumiers fous au moment des essayages. Il avait adopté l’œil de Poirot et voyait quand une veste s’avérait plus longue d’un côté, même de quelques millimètres. Et il demandait alors que ce soit rectifier. Tout devait être aussi parfait que le fin limier l’aurait voulu.

12 – A chaque fois que Poirot était malade dans un épisode, inexplicablement, David Suchet l’était aussi dans la vraie vie. L’acteur s’est toujours demandé ce que Freud aurait pensé de tout ça.

13 – Il n’a jamais cherché à rendre le personnage délibérément aimable. Poirot est agaçant, déconcertant, tatillon, irritable et obsessionnel-compulsif. Agatha Christie, elle-même, en avait parfois assez de lui. Et logiquement, David Suchet par moments, trouvait également que le personnage l’énervait. Puis il réalisait que c’était aussi lui qui le jouait comme ça.

14 – Entre deux saisons, l’acteur jouait d’autres rôles dans diverses productions. Pour redevenir Poirot, il revisionnait dix à douze épisodes de la série, relisait les romans et retravaillait sa voix. Il passait également une journée à regarder la vie à la manière de Poirot.

15 – David Suchet considérait Hercule Poirot comme son meilleur ami. Il avoue que tourner les scènes de sa mort dans Hercule Poirot quitte la scène a été le moment le plus difficile de sa carrière.

Crédit photos : © ITV