Son visage est inconnu contrairement aux monstres qu’il incarne depuis 30 ans. Doug Jones commente cinq de ses créations les plus emblématiques. Son nouveau film, La forme de l’eau de Guillermo del Toro, sort en salles ce 21 février.

Doug Jones ©Juco pour Vulture

Doug Jones parle avec les mains. Beaucoup. Elles sont au bout de deux bras aussi interminables que ses jambes – qu’il peut accessoirement croiser derrière sa nuque. Doug Jones mesure 1,92 m, pèse 70 kg tout mouillé et possède une silhouette filiforme qui a toujours détonné parmi les Américains élevés au grain de son Indiana natal. Dès l’école, il utilise l’humour comme mécanisme de défense, préférant faire rire ses tourmenteurs que d’attendre qu’ils se moquent de lui. Puis, il apprend à contrôler son corps dégingandé dans des cours de mime. « En grandissant, je rêvais de devenir une star de sitcom, d’être célèbre et pourchassé par les paparazzi. Quand j’ai débarqué à Hollywood en 1985, mon profil atypique m’a fait me retrouver caché derrière divers masques de monstres dans des œuvres sombres et des pubs. » Dès 1986, grâce à son personnage à la tête en forme de quartier de lune pour les campagnes de McDonald’s, son nom devient une référence pour les maquilleurs spécialisés en effets spéciaux. L’un d’eux l’engage pour jouer un cafard humanoïde dans Mimic (1997) de Guillermo del Toro. Ce dernier se souviendra de lui cinq ans plus tard pour incarner Abe Sapiens dans Hellboy. Aujourd’hui, le bestiaire de Doug Jones approche la centaine de créatures. « Je suis finalement heureux de la tournure des événements et fier de ce que j’ai accompli. Je vis le meilleur des deux mondes : je peux aller au café du coin dans l’anonymat le plus complet et je peux me prendre pour une célébrité dans les conventions et les premières des films. Que demander de plus ? »

Le Gentleman (Buffy contre les vampires – Saison 4 Episode 10, 2000)

« L’épisode est réalisé par Joss Whedon. Après mon audition avec lui, il a dit : ‘Avec son horrible sourire, ce type m’a vraiment foutu la frousse.’ C’est le plus beau compliment que je pouvais recevoir. Le magazine TV Guide a écrit que ces Gentlemen étaient les méchants les plus terrifiants de toute la série. Bon ou maléfique, je dois aimer mon personnage pour lui rendre justice et créer de la compassion. Même le pire des êtres cherche à survivre. Et il ne sait pas qu’il est diabolique. Le Gentleman n’est pas conscient que c’est mal d’arracher un cœur. Il n’en a pas l’air comme ça mais c’était un monstre délicieux à jouer. » (Sourire)

Abe Sapiens (Hellboy, 2004 ; Hellboy II – Les légions d’or maudites, 2008)

« Afin de créer Abe, je me suis inspiré de mon poisson rouge pour les mouvements de tête et la fluidité des gestes. Et parce qu’un poisson dans un bocal a un effet calmant dans une pièce, comme Abe sur Hellboy. Dans mon bestiaire, c’est la créature qui me ressemble le plus par sa nature. Il est réfléchi, il parle beaucoup avec les mains. C’est aussi un des personnages qui m’a le plus touché le cœur et l’âme alors que je l’interprétais. Abe n’a pas d’identité secrète contrairement à d’autres superhéros. Il est ce qu’il est et il a l’impression d’être une bête curieuse. C’est un sentiment que tout humain éprouve à un moment de sa vie. »

Avec Guillermo del Toro

Le Faune (Le labyrinthe de Pan, 2006)

« C’est une créature magnifique, un hybride entre une chèvre, un homme et un arbre. Guillermo del Toro m’a demandé d’étudier les mouvements des bovidés pour adopter leur façon de poser le sabot à terre et de bouger leur postérieur. Je me déplaçais aussi sur des échasses car le Faune mesure 2,14 m. A chaque fois que j’apparaissais dans le même cadre que la petite Ivana Baquero qui faisait 1,52 m, Guillermo me criait tout le temps de me pencher toujours plus. Je devais alors faire attention de ne pas perdre l’équilibre et ne pas tomber sur la gamine. J’ai des cuisses en béton maintenant. » (Rires)

Avec Sonequa Martin-Green

Saru (Star Trek : Discovery – Saison 1, 2017)

« Quand vous créez un nouvel alien, vous avez la responsabilité qu’il soit différent de tous ceux qui l’ont précédé. Saru a un look peu courant de par sa taille, sa minceur et ses pieds qui ressemblent à des sabots. Pour moi, c’était comme marcher avec des talons aiguilles. Afin de garder mon équilibre, mes hanches sont plus en avant, ce qui me donne une posture et une démarche uniques. Saru est aussi le premier de sa race, les Kelpiens, à devenir officier sur un vaisseau. Il a donc tout à prouver d’où son air fier, son côté guindé, sa politesse exagérée et sa diction qu’il veut parfaite. En fait, je ressemble à un majordome. » (Rires)

L’Amphibien (La forme de l’eau, 2017)

Avec Sally Hawkins

« Il se rapproche plus de l’animal sauvage que de la créature aquatique. Il est aussi vénéré comme un dieu là d’où il vient, je devais donc lui donner une posture et une présence qui fassent écho à cette adoration. Guillermo del Toro voulait également que j’y ajoute une touche de matador. Je ne me suis jamais senti aussi sexy. (Rires) Mais la difficulté était de jouer le premier rôle romantique du film et de faire passer de l’amour, de la reconnaissance et de la beauté alors que j’étais déguisé en homme poisson et plongé dans l’eau ou suspendu à des câbles devant un fond vert. Et tout ça sans dire un mot. Le défi était tout autant émotionnel que physique. »

Article paru dans Le Parisien Week-End – 24-25 février 2018