Le 4 novembre 1979, des étudiants révolutionnaires iraniens ont pris d’assaut l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran. Ils ont retenus 52 diplomates et civils américains en otages. Dans le chaos, six Américains ont cependant réussi à s’échapper, trouvant refuge chez l’ambassadeur canadien. Argo raconte l’opération secrète de la CIA pour exfiltrer ces six personnes. Le président Bill Clinton a déclassifié ces informations en 1997, à l’occasion des cinquante ans de l’agence américaine du renseignement. Basé sur ces faits réels, le thriller réalisé par Ben Affleck prend quand même quelques libertés avec l’Histoire pour des besoins de dramatisation. Argo fête ses 15 ans cette année.

Ben Affleck

1 – Le scénario

Chris Terrio a écrit Argo en se basant principalement sur deux documents. D’un côté Le maître du déguisement ou les mémoires d’Antonio « Tony » Mendez, l’expert en exfiltration de la CIA – Central Intelligence Agency. De l’autre l’article « Comment la CIA a utilisé un faux film de science-fiction pour sauver des Américains de Téhéran » signé Joshuah Bearman et paru en 2007 dans le mensuel américain Wired.

2 – Ben Affleck, réalisateur et acteur

Après The Town (2010), qu’il avait réalisé pour la Warner, Ben Affleck a demandé à la société de production de lui envoyer des scénarios pour son prochain projet. Il a reçu Argo, un script appartenant à Smokehouse Pictures, la compagnie de George Clooney et Grant Heslov. Ces derniers lui ont donné carte blanche. Toujours à la recherche d’un bon film dans lequel joué, Ben Affleck s’est logiquement attribué le personnage principal de Tony Mendez.

3 – Le plan Mendez

En 1979-80, la solution diplomatique était au point mort dans la crise des otages de Téhéran. Les Etats-Unis n’avaient plus qu’une opération clandestine pour sauver les six Américains cachés chez les Canadiens. Ces « invités » – Cora et Mark Lijek, Kathy et Joe Stafford, Bob Anders et Lee Schatz – risquaient à tout moment de se faire découvrir, capturer ou pire. Tony Mendez n’a eu que quelques semaines pour trouver et mettre au point son plan d’évasion tout aussi brillant que rocambolesque. Il voulait faire passer ce groupe de six personnes pour une équipe de cinéma canadienne venue en repérages à Téhéran pour un film de science-fiction, Argo. Il comptait les faire sortir d’Iran à bord d’un avion commercial comme de simples visiteurs.

Tony Mendez n’aurait peut-être pas eu cette idée sans son amitié avec John Chambers (incarné par John Goodman). Ce maquilleur effets spéciaux a été oscarisé pour son travail et ses masques de La planète des singes (1968). Il n’en était pas à sa première mission pour la CIA.

John Goodman et Alan Arkin

Dans la réalité, John Chambers a fait appel à son ami et confrère Robert Sidell pour fonder Studio Six Productions, la fausse société de production du faux film de science-fiction. Dans Argo, le producteur Lester Siegel (interprété par Alan Arkin) est un mélange de plusieurs personnes : Robert Sidell, bien sûr, mais aussi de vrais producteurs existant ou ayant existé comme Jack Warner.

4 – Argo, le faux film dans le vrai

Le scénario utilisé par la CIA pour mener à bien leur opération est une adaptation de Lord of Light (1967). Ce roman de Roger Zelazny de science-fiction avec des aliens se passe sur une planète lointaine et aride. Le producteur Barry Geller avait essayé de produire le long métrage quelques années avant la crise des otages de Téhéran. Sans succès. Dans sa tentative, il avait confié la création du storyboard à Jack Kirby, célèbre artiste de comic books (Hulk, X-Men…). Quand Tony Mendez et John Chambers ont choisi le scénario de Lord of Light, ils l’ont rebaptisé Argo. De son côté, le nom de la société Studio Six Productions fait allusion aux six invités à sauver.

Dans la réalité, comme dans la fiction, le faux film Argo a fait l’objet d’une vraie campagne de communication : conférence de presse, articles dans les journaux professionnels de cinéma, affiche… Dans la réalité, ce lancement publicitaire a été si convaincant qu’il a mis Studio Six Productions sur la planète Hollywood. Pendant toute la durée de l’opération, et encore après le succès de la mission et la fermeture de la société, les scénarios – dont un de Steven Spielberg – ont afflué au bureau.

Bryan Cranston, John Boyd et Chris Messina

5 – Le style des années 70

Pour Argo, Ben Affleck souhaitait recréer l’esthétique des films des années 1970. Il avoue s’être fortement inspiré des classiques de l’époque comme Les trois jours du Condor (1975) et Les hommes du président (1976) pour les scènes de bureau. Il a aussi emprunté au Bal des vauriens (1976) de John Cassavetes quelques idées de réalisation pour des scènes en extérieur. Pour les séquences de chaos dans la partie iranienne, il a revu des longs métrages tels que Sunday Bloody Sunday (1971), Missing (1982), Z (1969) ou encore La Bataille d’Alger (1966).

6 – Les acteurs séquestrés pour Argo

Quand la mission de sauvetage a été lancée, les six Américains vivaient enfermés chez l’ambassadeur depuis près de dix semaines. Afin que les six comédiens les incarnant se fassent une idée de leur état d’esprit, Ben Affleck leur a demandé, en guise de préparation, de passer une semaine dans le décor de la résidence de l’ambassadeur. La maison était prête pour le tournage, meublée et accessoirisée à la mode des années 1970. Les acteurs devaient aussi porter leur costume pour l’expérience.

L’immersion devant être totale, le réalisateur les a coupés du monde. Interdiction de sortir, d’utiliser un ordinateur, une tablette ou un smartphone ou d’avoir accès à quoi que ce soit de contemporain comme Internet ou la télé par câble. Ils avaient cependant à disposition des disques, des jeux de cartes et de société, des livres et des magazines et journaux de l’époque. Ils ont ainsi fait connaissance et développer une alchimie qui se voit à l’écran.

7 – Argo à Los Angeles et à Langley

Pour Argo, les studios de tournage de la Warner ont changé le logo emblématique de leur château d’eau. Le temps du tournage, ils sont revenus à celui de l’époque des Burbank Studios – quand la Warner partageait encore les lieux avec Columbia Pictures. Ils ont aussi accueilli les bureaux de Studio Six Productions.

A quelques pas des studios se trouve le restaurant Smoke House – qui a donné le nom à la société de production de George Clooney et Grant Heslov. C’est là que Tony Mendez et John Chambers ont commencé à développer leur projet de faux film.

La production a filmé les scènes d’intérieur de l’ambassade des Etats-Unis dans le bâtiment de la Veteran’s Administration à Los Angeles. Différentes séquences intérieures – bureau et salles de conférence de la CIA – ont été tournées dans les locaux du Los Angeles Times.

La maison figurant la résidence de l’ambassadeur canadien a été trouvée à Hancock Park, dans la banlieue de Los Angeles. La distribution des pièces et le jardin étaient parfaits, tout comme la peinture des murs et le papier peint de la cuisine qui dataient des années 70.

Des scènes ont également été filmées au Beverly Hilton Hotel. Une résidence de Bel Air, qui a appartenu à Zsa Zsa Gabor, est devenue la maison de Lester Siegel.

L’aéroport international d’Ontario, à 240 km à l’est de Los Angeles, a servi de doublure à l’aéroport international Mehrabad de Téhéran. L’équipe Décoration y a placé une signalisation en farsi et des posters de l’Ayatollah Khomeini.

La production a enfin eu l’autorisation de la CIA de tourner à son siège social de Langley, en Virginie.

Clea DuVall, Scoot McNairy, Christopher Denham, Tate Donovan, Rory Cochrane et Kerry Bishé

8 – Argo à Istanbul

Sachant qu’il était impossible de tourner Argo en Iran, la production a opté pour Istanbul, en Turquie. Elle a notamment filmé les extérieurs de la Mosquée bleue. Elle a aussi eu accès à la basilique Sainte-Sophie où Tony Mendez rencontre clandestinement son homologue du renseignement britannique.

Le quartier résidentiel de Barkikoy a accueilli la manifestation qui se finit en assaut contre l’ambassade des Etats-Unis. Des centaines de figurants portaient des pancartes et scandaient des slogans en farsi qu’ils venaient d’apprendre. Pour immerger le spectateur dans ce chaos, Ben Affleck a infiltré la foule de caméramen costumés en étudiants iraniens. Armés de cameras 16 mm, ils ont rapporté toutes sortent d’images. De son côté, Ben Affleck et le cinéaste iranien Rafi Pitts parcouraient la foule avec chacun une caméra Super 8.

La production a aussi tourné une scène de manifestation alors que Tony Mendez et les six invités se dirigent en van vers le Grand Bazard. Une vraie peur a commencé à gagner les comédiens quand les figurants ont secoué avec un peu trop d’ardeur le véhicule où ils étaient enfermés.

Les scènes du Grand Bazard ont été facilitées par le fait que, ce jour-là, les échoppes d’habitude bondées étaient fermées pour cause de fête nationale.

9 – Le détail qui tue

Dans l’entrée de la CIA, il y a un mur où chaque étoile représente un agent mort dans l’exercice de ses fonctions. Certaines ne sont pas encore associées à un nom car ces missions sont toujours classées top secret. Une scène montre Tony Mendez passer devant le mur. Des étoiles ont été effacées par ordinateur car leur nombre était moins important à l’époque.

Ben Affleck, fan de la première heure de Led Zeppelin, voulait absolument utiliser le titre « When the Levee Breaks ». Les rockers ont accepté mais à la condition que la scène – déjà filmée sans musique – soit retournée. Elle montrait en effet l’acteur Tate Donovan – qui joue Bob Anders – plaçant l’aiguille de l’électrophone sur la première piste d’un disque. « When the Levee Breaks » est en fait la dernière chanson de la face B de l’album « Led Zeppelin IV ». Le réalisateur avoue avoir apprécié ce soin du détail du groupe, même s’il a dû payer pour retourner le plan.

La basilique Sainte-Sophie est aujourd’hui éclairée par des douzaines de chandeliers circulaires. Leurs ampoules modernes non seulement n’existaient pas en 1980 mais, en plus, diffusent une lumière trop crue. L’équipe technique a donc passé la nuit à remplacer plus de 4 000 ampoules pour qu’elles diffusent une lumière plus douce.

Le défi de tourner dans le Grand Bazard n’a pas été de changer les objets en vente dans les boutiques. Etonnamment, ils donnaient déjà un sentiment d’intemporalité. Mais il a fallu mettre toute la signalisation turque en farsi.

10 – La CIA a l’œil

Lors du tournage au siège social de la CIA, les membres de l’équipe devaient laisser leur téléphone portable à l’entrée. Pour le principe, le producteur Grant Heslov n’a pas donné le sien. Quelques minutes plus tard, un agent de la CIA a rejoint le groupe. Il a demandé à la ronde qui avait gardé son iPhone. La CIA possède un système qui détecte tout téléphone en activité dans ses locaux. Grant Heslov a dû avouer que c’était lui.

11 – Aargau dans Argo

Dans la réalité, le mot Aargau était peint sur le fuselage de l’avion de Swissair des six Américains. Aargau est le nom de la région helvète d’où l’appareil était originaire.

12 – La vérité contre la fiction : le vrai rôle des Canadiens

Ben Affleck affirme que parce que son film est juste « basé » sur une histoire vraie, il peut prendre quelques libertés. Certains n’ont pas apprécié.

Victor Garber et Ben Affleck

Les Canadiens ont estimé que Argo glorifiait le travail de la CIA et minimisait celui de leur gouvernement et de l’ambassadeur Ken Taylor. Le réalisateur a alors changé le carton du générique de fin. Il précise désormais – sans vraiment satisfaire quiconque – que : « La CIA a appuyé les efforts de l’ambassade du Canada dans la libération des six retenus à Téhéran ».

Le président américain de l’époque, Jimmy Carter, a déclaré que 90% des contributions aux idées et au succès du plan viennent du Canada. Pour lui, le vrai héros est Ken Taylor qui a orchestré toute l’opération.

De son côté, Ken Taylor considère que le Canada avait la responsabilité des six. Selon lui, la CIA n’était qu’un « partenaire mineur » dans cette évasion.

Le gouvernement canadien affirme qu’il n’aurait jamais menacé de fermer l’ambassade pour pousser les six à partir. Il ne les aurait jamais abandonnés.

Après plusieurs nuits passées chez l’ambassadeur canadien, les six Américains ont été séparés. Ils se sont répartis entre la résidence des Taylor et celle d’un autre diplomate canadien, John Sheardown.

La loi canadienne interdit de créer de faux passeports pour quelque raison que ce soit. Il a donc fallu un vote exceptionnel lors d’une session urgente et secrète du Parlement – la première depuis la Seconde Guerre mondiale – pour qu’il accorde ces documents. Ces derniers ont été envoyés par valise diplomatique à l’ambassadeur Ken Taylor. Tony Mendez les a ensuite récupérés pour y apposer les visas iraniens adéquats. Il y a aussi indiqué la date d’entrée sur le territoire des six faux Canadiens.

13 – La vérité contre la fiction : le vrai rôle des Britanniques et des Néozélandais

Contrairement à ce qu’affirme Argo, les Britanniques et les Néozélandais n’ont jamais repoussé les six Américains. Bien au contraire.

Martin Williams était secrétaire de Sir John Graham, l’ambassadeur britannique en Iran au moment des événements. C’est lui qui a découvert cinq des Américains après avoir patrouillé les rues de Téhéran en voiture. (Le sixième avait trouvé refuge à l’ambassade de Suède.) Il est le premier à les avoir accueillis chez lui. Lors d’un blackout, un Gardien de la révolution a voulu fouiller sa maison. Son garde l’a cependant convaincu qu’il n’y avait personne et il est parti sans problème. (Le film montre une scène identique mais se passant devant la résidence de l’ambassadeur canadien et impliquant sa bonne.) Les Britanniques ont alors jugé que les Américains seraient plus en sûreté chez les Canadiens.

Le restaurant Smoke House

De leur côté, les diplomates néozélandais ont organisé un abri où les six Américains auraient pu se cacher si la résidence canadienne ne permettait plus de les accueillir. Et ce sont eux qui les ont conduits à l’aéroport le matin de leur évasion du pays.

Ben Affleck admet qu’il ne rend pas justice ni aux uns ni aux autres. Pour se défendre, il affirme avoir cherché à créer l’impression que les Américains n’avaient pas d’autre endroit où aller. Il n’a jamais eu l’intention de diminuer quiconque.

14 – La vérité contre la fiction : la version de la CIA

A l’occasion du 35è anniversaire de l’opération, la CIA a donné sa version des faits via Twitter. L’agence a ainsi relevé les différences majeures entre les événements réels et ceux qui sont relatés dans Argo.

Ainsi, deux agents, experts en faux et en exfiltration, ont été envoyés en Iran pour exfiltrer les Américains. Tony Mendez n’était pas seul.

L’agence confirme que les six Américains ne sont pas allés directement chez l’ambassadeur canadien juste après la prise de l’ambassade. Elle précise qu’avant de se retrouver en sûreté, cinq d’entre eux ont eu recours à différentes caches. Le sixième a dormi dans l’ambassade de Suède.

Tony Mendez et les six Américains n’ont jamais été faire des repérages dans Téhéran. Ils n’ont quitté la résidence des Taylor qu’au dernier moment.

L’annulation de la mission à la dernière minute n’a jamais eu lieu. Le président Jimmy Carter a en effet retardé l’autorisation de l‘opération mais seulement pour 30 minutes. Et avant que Tony Mendez ne parte pour l’Iran.

De ce fait, Jack O’Donnell (interprété par Bryan Cranston) n’a pas eu à se faire passer pour le principal de l’école des enfants du chef de cabinet Hamilton Jordan (incarné par Kyle Chandler). D’autant plus qu’à l’époque, ce dernier n’était ni marié ni père de famille.

Tony Mendez et les six Américains n’ont jamais eu à attendre ni à récupérer leurs billets d’avion à l’aéroport Mehrabad. Pat Taylor (jouée par Page Leong), la femme de l’ambassadeur canadien, avait acheté trois jeux de billets de trois compagnies aériennes différentes à l’avance. Et sans encombre.

Les Gardiens de la révolution n’ont pas non plus retenu les fugitifs à l’aéroport. Le vol choisi étant à 5h30 du matin, ils n’étaient pas assez zélés pour être au travail aussi tôt. Les agents de l’immigration n’ont pas fait attention à qui ils contrôlaient. Les Iraniens qui ont reconstitué les documents déchiquetés n’ont jamais pu identifier qui que ce soit. Il n’y a donc eu aucune poursuite à l’aéroport. De ce fait, à part un retard d’une heure de l’avion à cause d’un problème mécanique, l’évasion s’est déroulée sans problème.

15 – La CIA est partout

En April 2016, grâce au Freedom of Information Act, le mensuel américano-canadien Vice a eu accès à des documents concernant la CIA. Le magazine a découvert que l’agence s’était impliquée dans la production du film de Ben Affleck. Tout comme dans un certain nombre de longs métrages, tel que Zero Dark Thirty (2012).

Crédit photos : ©Warner Bros.